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Canal de Craponne

Commentaire d'arrêt : Canal de Craponne. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  25 Novembre 2018  •  Commentaire d'arrêt  •  2 667 Mots (11 Pages)  •  2 265 Vues

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Séance 7 : L’imprévision

Commentaire d’arrêt : civ, 6 mars 1876, « Canal de Craponne »

        Le 6 mars 1876, la chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt relatif à la théorie de l’imprévision, notion qui se rattache à l’intangibilité en matière contractuelle.

        Un homme s’engage à construire un canal destiné à arroser les propriétés des habitants d’une commune. Pour entretenir l’ouvrage, son propriétaire demande, par le biais d’un contrat, une redevance à chaque fois qu’un habitant arrose sa propriété. Cependant, il apparaît que 3 siècles plus tard, le montant de la redevance stipulée devient largement dérisoire par rapport au coût réel de l’entretien dudit canal dû à la dépréciation monétaire survenue depuis la conclusion du contrat. Alors, le propriétaire va demander aux tribunaux de réviser à la hausse le montant des redevances fixées 300 ans auparavant.

        On ne connaît pas la décision rendue en première instance mais on sait qu’elle va faire l’objet d’un appel de la part du propriétaire du canal. En effet, dans un arrêt en date du 31 décembre 1873, la cour d’appel d’Aix va faire droit à sa demande. Un pourvoi en cassation est alors formé (probablement) par les bénéficiaires à la convention (les habitants), la Cour de cassation va donc rendre un arrêt de principe le 6 mars 1876.

        La cour d’appel, dans son arrêt rendu le 31 décembre 1873, ne remet pas en cause la force obligatoire du contrat, mais elle va estimer que les contrats qui revêtent un caractère successif ne rentrent pas le domaine applicable attaché à l’ancien article 1134 du Code civil. Selon elle, étant donné qu’ils reposent sur une redevance « périodique », ces contrats peuvent être modifiés par le juge à partir du moment où, l’écoulement du temps et des changements de circonstances, vont entraîner un fort déséquilibre entre le montant des redevances et le montant des charges.

        Un apparent déséquilibre contractuel résultant d’un changement de circonstances économique donne t’il le droit au juge de porter atteinte à l’intangibilité du contrat en modifiants les stipulations originelles d’un contrat ?

        Par cet arrêt de principe, la Cour de cassation va accueillir le pourvoi en cassation du bénéficiaire, il va annuler la décision rendue par la cour d’appel d’Aix en date du 31 décembre 1873. Elle va estimer que le principe fondamental qu’est la force obligatoire du contrat était absolue, il n’appartient donc pas au juge d’intervenir dans une convention et encore moins de prendre en compte le temps et les circonstances pour modifier les stipulations des parties au contrat, comme l’a fait la cour d’appel. Comme le dit l’adage, « ce qui est dit est dû », alors la Cour de cassation va aller dans ce sens : par cet arrêt de principe, elle va encore une fois réaffirmé le principe d’intangibilité des conventions et ce, même lorsque les circonstances se voient bouleversées et ont un impact direct sur l’équité du contrat. En effet, elle va baser sa décision sur l’ancien article 1134 du Code civil qui disposait que « les conventions légalement formées tiennent lieux de loi à ceux qui les ont faites », on ne peut alors autoriser le juge à modifier la substance même du contrat résultant des volontés des parties lors de la conclusion d’un contrat, le juge ne pourra jamais (en principe) se placer au-dessus de « la loi » voulue par les parties à la convention, la cour d’appel a alors violé l’article 1134 : « En aucun cas il n’apparaît aux tribunaux, quelque inéquitable que puissent paraître leurs décisions, de prendre ne considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des partis et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants. ».  La juridiction suprême va alors rejeter totalement la théorie de l’imprévision (I), non sans des critiques virulentes qui seront par la suite appuyées par la réforme du droit des obligations ordonnée par l’ordonnance de 2016 (II).

  1. Le refus de révision judiciaire d’un contrat pour motif d’imprévision

L’arrêt « canal de Craponne » est l’un des arrêts les plus célèbre en droit des obligations. A travers ce dernier, la Cour de cassation va apparaître totalement indifférente à l’iniquité contractuelle pourtant manifeste (A), en effet, il va appliquer sèchement et absolument le principe d’intangibilité contractuelle (B).

  1.  Un désintérêt pour l’iniquité contractuelle

La Cour de cassation, par cet arrêt de principe en date du 8 mars 1876 va balayer toute modification judiciaire potentielle qui pourrait atteindre la substance et les stipulations d’un contrat et ce, même si certains arguments « forts » ont été avancés en faveur de la modification du contrat par le juge sans pour autant, soyons clair, réussir à convaincre le juge de cassation de porter atteinte au contrat. La notion d’équité en matière contractuelle peut renvoyer à la distinction doctrinale entre ce qu’on appelle la conception libérale du contrat et la conception solidariste. La plus marginale mais celle qui nous intéresse le plus est la conception solidariste du contrat. En effet, pour les auteurs partisans de cette dernière, les parties doivent se comporter comme des frères / amis contractuels, on considère aussi que les cocontractants sont égaux : chacun doit agir dans l’intérêt de l’autre, de bonne foi et ne pas nuire à son cocontractant. Or, en l’espèce, la convention devient totalement déséquilibrée donc heurte l’équité contractuelle, les stipulations initiales vont « ruiner » ici un des parties étant donné que le montant des redevances devient avec le temps et les circonstances dérisoire comparé au coût que le propriétaire doit supporter pour entretenir l’ouvrage (changement de circonstances et de temps qui pourrait être assimilé à un cas de force majeure qui permettrait de pouvoir modifier les stipulations initiales par le juge). Ensuite, on sait que les conventions doivent être exécutées de bonne foi, mais ici, le créancier exige l’exécution de garder en état l’ouvrage alors même que sa prestation (redevance) ne correspond absolument plus à la contrepartie, il n’agit donc pas de bonne foi. Enfin, on peut soulever l’adage rebus sic stantibus : tant que les choses restent en l’état. En effet, lors de la conclusion d’un contrat, les parties, en principe, prennent en compte les changements prévisibles. Il existe alors une volonté commune d’inclure implicitement une clause rebus sic stantibus. En l’espèce, le contrat était appelé à durer, donc, implicitement à subir un potentiel changement de circonstances (et de temps étant donné qu’il dure). Et justement, une dépréciation monétaire et l’augmentation du coût de la main d’œuvre ont totalement rompu l’équilibre originel des prestations. C’est pourquoi la cour d’appel a décidé d’élever le montant des redevances dans un but de considération de l’iniquité due au passage du temps et du changement de circonstances. Cependant, l’avis de la Cour de cassation est tout autre, elle va complétement s’opposer à l’arrêt rendu par la cour d’appel en estimant que l’iniquité était indifférente et qu’il fallait faire prévaloir l’intangibilité du contrat.

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