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Le néologisme " postmoderne "

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Par   •  8 Septembre 2014  •  Analyse sectorielle  •  4 890 Mots (20 Pages)  •  767 Vues

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A compter de la fin des années 1970, la notion de postmodernité a fait son entrée sur la scène intellectuelle dans le but de qualifier le nouvel état culturel des sociétés développées. Apparue initialement dans le discours architectural en réaction contre le style international, elle a très vite été mobilisée pour désigner, tantôt l’ébranlement absolu des fondements de la rationalité et la faillite des grandes idéologies de l’histoire, tantôt la puissance dynamique d’individualisation et de pluralisation de nos sociétés. Par-delà les diverses interprétations proposées, l’idée s’est imposée qu’on avait affaire à une société plus diverse, plus facultative, moins chargée d’attentes tournées vers le futur. Aux visions enthousiastes du progrès historique succédaient des horizons plus courts, une temporalité dominée par le précaire et l’éphémère. Se confondant avec la débâcle des constructions volontaristes du futur et le triomphe concomitant des normes consuméristes centrées sur la vie au présent, la période post-moderne indiquait l’avènement d’une temporalité sociale inédite marquée par le primat de l’ici-maintenant.

Le néologisme « postmoderne » avait un mérite : celui de mettre en relief un changement de cap, une réorganisation en profondeur du mode de fonctionnement social et culturel des sociétés démocratiques avancées. Essor de la consommation et de la communication de masse, dépérissement des normes autoritaires et disciplinaires, poussée de l’individualisation, consécration de l’hédonisme et du psychologisme, perte de la foi dans l’avenir révolutionnaire, désaffection des passions politiques et des militantismes : il fallait bien donner un nom à la formidable transformation qui se jouait sur la scène des sociétés opulentes délestées des grandes utopies futuristes de la modernité inaugurale.

Mais en même temps, l’expression « postmoderne » était ambiguë, maladroite, pour ne pas dire floue. Car c’est bien sûr une modernité d’un nouveau genre qui prenait corps, non un quelconque dépassement de celle-ci. D’où les réticences légitimes qui se sont exprimées à l’endroit du préfixe « post ». Ajoutons encore ceci. Il y a vingt ans, le concept « postmoderne » donnait de l’oxygène, il suggérait le nouveau, une bifurcation majeure. Il fait maintenant vaguement désuet. Le cycle postmoderne s’est déployé sous le signe de la décompression « cool » du social ; nous avons de nos jours le sentiment que les temps se durcissent à nouveau, chargés qu’ils sont de sombres nuages. On a vécu un bref moment de réduction des contraintes et des impositions sociales, les voici qui réapparaissent sur le devant de la scène, fût-ce sous de nouveaux traits. A l’heure où triomphent les technologies génétiques, la mondialisation libérale et les droits de l’homme, le label postmoderne a pris des rides, il a épuisé ses capacités à exprimer le monde qui s’annonce.

Le « post » de postmoderne dirigeait encore le regard vers l’arrière décrété mort, il donnait à penser une disparition sans préciser ce que nous devenions comme s’il s’agissait de préserver une liberté nouvellement conquise dans la foulée de la dissolution des encadrements sociaux, politiques et idéologiques. De là sa fortune. Cette époque est révolue. Hypercapitalisme, hyperclasse, hyperpuissance, hyperterrorisme, hyperindividualisme, hypermarché, hypertexte, qu’est ce qui n’est plus « hyper » ? Qu’est-ce qui ne révèle plus une modernité élevée à la puissance superlative ? Au climat d’épilogue fait suite une conscience de fuite en avant, de modernisation effrénée faite de marchandisation proliférante, de dérégulations économiques, de déchaînement technico-scientifique dont les effets sont autant porteurs de promesses que de périls. Tout a été très vite : l’oiseau de Minerve annonçait la naissance du postmodernisme au moment où s’ébauchait déjà l’hypermodernisation du monde.

Loin qu’il y ait décès de la modernité, on assiste à son parachèvement, se concrétisant dans le libéralisme mondialisé, la commercialisation quasi générale des modes de vie, l’exploitation « à mort » de la raison instrumentale, une individualisation galopante. Jusqu’alors la modernité fonctionnait encadrée ou entravée par tout un ensemble de contrepoids, contre-modèles et contre-valeurs. L’esprit de tradition perdurait dans divers groupes sociaux ; la répartition des rôles sexuels restait structurellement inégalitaire : l’Eglise conservait une forte emprise sur les consciences ; les partis révolutionnaires promettaient une société autre, libérée du capitalisme et de la lutte des classes ; l’idéal de la Nation légitimait le sacrifice suprême des individus ; l’Etat administrait de nombreuses activités de la vie économique. Nous n’en sommes plus là.

La société qui s’agence est celle dans laquelle les forces oppositionnelles à la modernité démocratique, libérale et individualiste ne sont plus structurantes, où les grandes visées alternatives ont périclité, où la modernisation ne rencontre plus de résistances organisationnelles et idéologiques de fond. Tous les éléments pré-modernes ne se sont pas volatilisés, mais ils fonctionnent eux-mêmes selon une logique dérégulée et désinstitutionnalisée. Même les classes et les cultures de classes s’estompent au profit du principe de l’individualité autonome. L’Etat recule, la religion et la famille se privatisent, la société du marché s’impose : ne reste plus en lice que le culte de la concurrence économique et démocratique, l’ambition technicienne, les droits de l’individu. S’est mise en orbite une seconde modernité déréglementée et globalisée, sans contrainte, absolument moderne, reposant pour l’essentiel sur trois axiomatiques constitutives de la modernité elle-même : le marché, l’efficacité technicienne, l’individu. Nous avions une modernité limitée, voici le temps d’une modernité achevée.

Dans ce contexte, les sphères les plus diverses sont le lieu d’une montée aux extrêmes, livrées à une dynamique illimitée, à une spirale hyperbolique. Ainsi est-on témoin d’un formidable gonflement des activités financières et boursières, d’une accélération de la vitesse des opérations économiques fonctionnant désormais en temps réel, d’une explosion phénoménale des volumes de capitaux en circulation sur la planète. Depuis longtemps la société de consommation s’affiche sous le signe de l’excès, de la profusion des marchandises ; cela s’est encore amplifié via les hypermarchés et centres commerciaux de plus en plus gigantesques offrant un éventail de produits, de marques et

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