Crise de la représentation
Dissertation : Crise de la représentation. Recherche parmi 303 000+ dissertationsPar Antoine P • 27 Octobre 2025 • Dissertation • 2 698 Mots (11 Pages) • 7 Vues
Dans le journal politique national des États généraux et de la Révolution publié en 1789, Antoine de Rivarol, écrivain et essayiste monarchiste affirmait qu’« Il y a deux vérités qu’il ne faut jamais séparer, en ce monde : 1° que la souveraineté réside dans le peuple ; 2° que le peuple ne doit jamais l’exercer. ». Si Rivarol formulait cette phrase pour dénoncer le risque d’une démocratie sur le modèle antique où le peuple exercerait directement le pouvoir — et ainsi défendre le modèle monarchique —, elle trouve paradoxalement un écho dans notre démocratie actuelle, fondée sur la représentation. En effet, bien qu’aujourd’hui la souveraineté appartienne en principe au peuple, elle est exercée par l’intermédiaire de représentants élus.
Les démocraties représentatives reposent ainsi sur l’incarnation de la souveraineté du peuple par des représentants. Ce système semble contredire l’idée même de souveraineté populaire, qui peut être définie comme le pouvoir suprême de l’État détenu et exercé directement par le peuple. Pris dans sa pureté, ce principe s’oppose en effet à toute forme de représentation.
Toutefois, cette opposition doit être nuancée : la représentation joue un rôle essentiel en créant un lien entre gouvernants et gouvernés, entre représentants et représentés. C’est pourquoi les régimes représentatifs tendent à se rapprocher de l’idéal de la souveraineté populaire, en cherchant à établir la plus grande proximité possible entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux au nom desquels il est exercé.
Le problème c’est que, ce modèle représentatif se heurte aujourd’hui à une crise de la représentation, qui met en évidence les limites de ce lien entre gouvernants et gouvernés. Cette remise en cause s’exprime notamment à travers des mouvements comme « Bloquons Tout ». Né en 2025 sur les réseaux sociaux, ce mouvement social spontané illustre l’irruption du « peuple » dans la vie politique en marge des cadres institutionnels classiques, ce qui suscite la méfiance des gouvernants. Ainsi, dans l’émission C’est ce soir, le député de la majorité Mathieu Lefebvre enjoignait un membre du mouvement à « se présenter aux élections » pour faire valoir ses contestations. Or, ils choisissent de s’exprimer en dehors du cadre électoral précisément parce qu’ils estiment que les institutions et la représentation traditionnelles ne leur permettent pas de faire entendre leur voix et qu’ils n’ont plus confiance en leurs représentants.
Dans ce contexte, il convient de se demander si la souveraineté populaire, censée appartenir et revenir exclusivement au peuple, peut être réellement incarnée par des représentants sans en trahir le principe. Pour surmonter les critiques et les remises en cause dont elle fait l’objet (A), notre démocratie représentative doit être approfondie dans le sens d’une plus grande participation des citoyens (B).
I Le modèle représentatif, longtemps hégémonique, connaît aujourd’hui une crise.
A) L’incarnation de la souveraineté par des représentants a longtemps été justifié par des nécessités pratiques et la prétendue incompétence du peuple à se gouverner lui même.
L’incarnation de la souveraineté par des représentants, et corrélativement le rejet de la démocratie directe, a longtemps été justifié par des nécessités pratiques et l’incapacité du peuple à se gouverner lui même.
La représentation s’est d’abord imposée comme un outil d’organisation de l’exercice du pouvoir pour des raisons très pratiques.
L’exercice du pouvoir commande en effet de prendre des décisions claires et de réaliser des arbitrages. L’État ne saurait à cet égard prendre en compte l’avis de l’ensemble des citoyens pris individuellement, sous peine de voir sa politique devenir incohérente. La représentation en ce qu’elle permet de faire émerger une volonté unique s’est alors naturellement affirmée comme la solution.
Ainsi, Thomas Hobbes, dans Le Léviathan (1651), montre que le peuple, à l’origine une foule désordonnée, ne peut exister que par le biais de la représentation : le souverain, en incarnant l’unité du corps politique, donne au peuple sa volonté et rend possible l’exercice d’un pouvoir.
On peut citer encore l’Abbé Sieyes qui dans son discours en date du 7 septembre 1789, déclarait en ce sens que : « Puisqu'il est évident que 5 à 6 millions de citoyens actifs, répartis sur vingt-cinq mille lieues carrées, ne peuvent point s'assembler, il est certain qu'ils ne peuvent aspirer qu'à une législature par représentation. »
En outre, l’incarnation de la souveraineté par des représentants traduit une certaine méfiance à l’égard du peuple, perçue comme incapable de se gouverner tout seul.
Dés la naissance de la démocratie en Grèce, sous la forme de la démocratie directe, l’exercice de la souveraineté par le peuple a fait l’objet de violentes critiques. Derrière ses critiques, se trouvent l’idée que le peuple est incompétent et qu’ils ne saurait prendre des décisions justes et réfléchies. Socrate associe ainsi la souveraineté populaire (pas encore définie comme telle) « au règne des ignorants ». Les citoyens, manquant d’instruction seraient d’avantage touché par les émotions que par la raison. Aussi, la souveraineté populaire porterait en elle le risque que des démagogues poussent le peuple à adopter des décisions funestes, dans leur seul intérêt personnel. Platon préférait ainsi à la démocratie une aristocratie dans laquelle les philosophes dirigerait la cité.
De telles critiques se retrouvent à l’air moderne sous la plume notamment de Montesquieu et Madison. Montesquieu, dans L’Esprit des lois (1758), insiste ainsi sur le fait que « le peuple doit faire par ses représentants tout ce qu’il ne peut faire par lui-même », soulignant que les citoyens ne sont pas en mesure de gérer directement les affaires publiques. De même, James Madison, dans The Federalist, critique la démocratie directe qu’il associe à l’anarchie et défend la république, où le peuple exerce le pouvoir par l’intermédiaire de représentants capables de discuter et de trancher les affaires politiques, contrairement au peuple lui-même.
Cela étant, ces éléments qui justifiaient autrefois l’incarnation de la souveraineté par des représentants sont contestables aujourd’hui. Le développement des outils numériques permet désormais aux citoyens de s’exprimer et de participer directement à la vie politique, réduisant les problèmes techniques liés à la nécessité de faire émerger une volonté générale à partir de l’ensemble des citoyens d’un territoire vaste et très peuplé.
Par ailleurs, l’école républicaine vise à former des citoyens éclairés, capables de prendre des décisions réfléchies, ce qui affaiblit l’argument fondé sur l’incompétence du peuple.
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