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Une Maison de Poupée

Commentaire d'oeuvre : Une Maison de Poupée. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  21 Octobre 2018  •  Commentaire d'oeuvre  •  2 178 Mots (9 Pages)  •  6 748 Vues

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Fondateur du théâtre moderne norvégien, Henrik Ibsen rompt avec les conventions théâtrales de son époque dixhuitiemiste. Lorsqu’il écrit Une maison de poupée, en 1879, la Norvège est repliée sur elle-même depuis la domination danoise dont elle sort tout juste dans le seconde moitié du XIXe: la soumission est un thème lié à la Norvège car elle se sent mise sous tutelle danoise, comme Nora. Elle ne sait pas user de sa liberté car pour l’auteur « la Norvège est un pays libre où vivent des hommes enchaînés ». Dans Une maison de poupée, Ibsen met en lumière les valeurs d’une société bourgeoise et puritaine qui se réduisent à l’ambition sociale, l’argent et l’apparente respectabilité à laquelle le personnage de Krogstad est particulièrement attaché. Les personnages sont soumis à un déterminisme mais Nora s’en détache pas à pas pour bâtir son propre destin. Entre forces conservatrices et novatrices, c’est la condition de la femme comme « deuxième sexe », c’est-à-dire comme partie secondaire de la société, qui est en question.

Nous chercherons alors à comprendre l’évolution de la moralité à travers le personnage de Nora. Cette dernière traduit une évolution des jugements moraux en deux temps: sa double identité se manifeste d’abord par sa soumission à la domination masculine et familiale, pour ensuite se révéler pleinement dans l’affirmation d’elle même et dans ce qu’elle appelle la « construction de soi ».

Une maison de poupée met en scène des hommes et des femmes enfermés dans leur identité. Le drame n'est pas à circonscrire dans la seule dénonciation de l'oppression des femmes. Ainsi c'est le père de Nora qui a institué la servitude et la mise sous tutelle, dans l'espace de la famille, avant que son mari prenne le relais et ne la transforme à nouveau en enfant. Les personnages de Choderlos De Laclos et de Ibsen ont ceci de commun qu’ils refusent de se soumettre au déterminisme de leur condition. Dans Les Liaisons, la Marquise de Merteuil se détache de la société qui lui a dicté sa conduite lorsqu’elle prend conscience que le jeu mondain derrière lequel la bourgeoisie se cache causerait la perte de son individualité. De même, pour Nora il s’agit de refonder les dogmes qui lui ont été inculqués. Dans Une maison de poupée, ces « dogmes » sont cultivés par une atmosphère sociale qui s'immisce dans la conscience de soi de chacun des personnages et qui n'a de relais que dans l'organisation sociale.

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Le mariage est l’instance sociale majeure qui ancre dans la loi un rapport de tutelle et de domination. Il est un moyen de créer une cellule sociale contrôlée par les lois masculines. Nora en est une figure archétypale. On pourrait même dire qu’elle en devient aliénée, c’est-à-dire qu’elle est, et a toujours été, dépendante et dépossédée d’elle même. Elle est privée de sa liberté et devient alors étrangère à elle même. La définition même du mariage pour Helmer fait de Nora un enfant et un fardeau : « toi que j'ai portée dans mes bras d'un bout à l'autre de notre vie commune » (acte III). Si elle est perçue comme un être irresponsable, elles est tout de même soumis au jugement moral (contrairement à un enfant) et donc reconnue responsable de ce qu’elle fait: responsable pénalement mais irresponsable économiquement. Ainsi elle n’a aucune expérience sur les relations économiques et juridiques qui entourent sa vie d’adulte, alors que Torvald ne manque pas de lui rappeler ses devoirs d’épouse. C’est pourquoi elle se leurre en attendant de lui un dévouement total.

Nora symbolise l’innocence, voire la naïveté : elle ne voit pas que sa position est humiliante au départ puisque son mariage ne fait que reproduire la structure où elle a vécu depuis son enfance. Cette situation abaissante se manifeste d’une part à travers le filtre du langage. Il déshumanise Nora en l’assimilant aux idées de séduction, légèreté ou encore d’animal fragile (notamment des oiseaux sauvages et libres alors qu’elle est en fait mise en cage par son mari). La négation du statut d'être humain par l'animalisation se dissimule en marque d'affection. Nora est lui-même un diminutif de Eleonora, qui vient d'un nom norvégien « Nor » désignant un petit enfant: Nora est donc vouée à rester un être enfantin. Par ailleurs Torvald ne s'adresse pas à son épouse comme à une adulte et fait souvent précéder ses qualificatifs de «petite ». Alors qu’ils semblent flatter, ils la dépersonnalisent et l’infantilisent. Nora devient ainsi un objet que l'on peut prétendre posséder.

D’autre part, la domination de Torvald envahit l'espace. Loin d'être une maîtresse de maison, Nora n'est qu'un élément décoratif dans un espace divisé. Torvald peut se retirer à tout moment dans son bureau, lieu des occupations sérieuses et Nora est vouée au salon, assignée à résidence, c’est-à-dire un espace mi privé mi public où les personnages font irruption. Il contrôle les entrées et les sorties de sa femme comme il surveille la boîte aux lettres et la porte de la maison dont il a les clés. Il devine d’ailleurs, à la fin de l'acte I, la visite de Krogstad à sa femme. Nora est ainsi limitée dans ses mouvements. L'espace est donc étroitement lié à sa dépendance.

Ainsi la construction du féminin et du masculin empêche les personnages d'être vraiment hommes et femmes et de transformer la vie commune en mariage. Chaque fois que le terme « femme » est employé dans l’oeuvre, il souligne le handicap que cela représente dans la société : signaler le caractère dépensier de Nora, affirmer ses faiblesses, se scandaliser de ses discours. A contrario, quand Nora l’emploie, c'est pour revendiquer une existence par rapport à l'homme, défendre le droit du coeur, affirmer la supériorité des femmes en matière de sacrifice. Pour accéder à une autre conception de la femme, elle devra rompre.

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Au fur et à mesure de la pièce, la double identité du personnage de Nora se manifeste, et son existence pour soi, qui en fait un être moral et responsable, se révèle au delà de son existence en soi, dictée par la société et notamment par son mari et son père avant lui. On peut ainsi souligner les limites de l'omniscience de Helmer qui ne se rend pas compte que Nora a emprunté et travaillé en cachette, et qui n'a aucune idée du coût réel de la vie domestique: c'est lui qui distribue l'argent mais cela relativise sa domination économique car il ignore les économies qu'elle a réalisées. Le travail ou les tâches domestiques mettent

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