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Commentaire: L'Évenement (Annie Ernaux)

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Par   •  16 Janvier 2023  •  Commentaire d'oeuvre  •  1 536 Mots (7 Pages)  •  648 Vues

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En octobre, Annie Ernaux remporte le Prix Nobel de Littérature “pour le courage et la précision clinique avec lesquels elle dévoile les racines, l’étrangeté et les limitations collectives de la mémoire personnelle.” En suivant la diffusion de remise des prix, je me rappelle m’être demandé, n’étant pas familier avec le travail de l’écrivaine, à quoi cet éloge pouvait bien rimer. Deux mois plus tard, la lecture d’un seul - très court - récit suffit pour saisir le sens de ce motif, ou du moins sa synthèse. En effet, la lecture de l'Événement suffit pour comprendre qu’Ernaux ne s’est jamais autorisée à écrire ce qu’elle ne connaît pas ou n’a pas vécu. Cette “mémoire personnelle” dont il est question ne représente pas uniquement le fil conducteur de son oeuvre, une véritable table de commandements, une éthique, une hygiène personnelle explicitée maintes fois par l’auteure: “D’avoir vécu une chose, quelle qu’elle soit, donne le droit imprescriptible de l’écrire.” En d’autres mots, le vécu serait la condition sine qua non de la création littéraire - et à en suivre les dires d’Ernaux dans ses ouvrages et interviews, le terme droit pourrait presque être remplacé par un devoir. Mais si Annie Ernaux a bien vécu cet épisode de vie dans les années soixante - années bouleversantes dans la représentation des femmes par la conscience collective - elle attendra trois décennies avant de se sentir prête à immortaliser par l’encre son histoire jusque-là intériorisée. Le courage requis pour s’ouvrir ainsi, s’exposer nue devant le public littéraire du monde entier, est incommensurable.

Mais avant même d’ouvrir le livre, la couverture et surtout le titre intriguent. Un Événement ? Sobre terminologie pour ce qui aurait pu s’intituler Bouleversement, Cataclysme, ou pour le moins Mésaventure. À lire l’ouvrage, le lecteur comprendra rétrospectivement que l’intention d’Ernaux transparaissait dès la page de titre. Car le récit entier est marqué par une question, ou plutôt une discussion: Comment dire, comment écrire l’horreur vécue en demeurant au plus près de la vérité? En restant sincère, juste et précis, “sans pathos excessif” ? (Cela dit, même cette contrainte paraît dérisoire: quel récit plus terrifiant, plus abject - moins dans l’acte même que dans la réaction commune à la détresse d’une femme - mériterait plus l’utilisation du pathétique que celui-ci?)... Annie Ernaux tentera de répondre à ce questionnement tout au long du récit, par l’utilisation de parenthèses issues d’un hors-temps, résonnantes comme une voix d’outre-tombe par le détachement que confèrent à la narratrice les 35 années qui se sont écoulées depuis les faits. Dès lors, plus qu’un récit, L'Événement s’affiche comme une réflexion métalittéraire autour de la mémoire, la vérité personnelle et historique, et le rôle de l’écrivain dans le genre autobiographique.

Cette recherche de la simplicité transparaît de toutes parts, de la narration des actions du quotidien les plus banales à la description de scènes inqualifiables, où une épuration excessive aurait pourtant semblé presque réductrice face à la nature sordide de l’acte. Dès les premières lignes du livre (“Je suis descendue à Barbès.”), Ernaux fait entrer le lecteur dans l’action la tête la première, de la même manière que ce bouleversement est entré dans la sienne. L’on comprend que le récit commence précisément ici, et ne nécessite pas d’informations préalables. Il s’agit ici de raconter juste les faits, dans leur forme la plus pure et par là-même la plus terrifiante.

Fidèle à son mantra, l’auteure ne prétend avoir vécu, pensé ou ressenti quoi que ce soit d’autre que ce qui est écrit: pas d’arrêt sur la décision de garder l’enfant (car l’avortement lui a paru tout de suite comme une “évidence”). Aucun ornement linguistique fantaisiste ou inutile: le livre raconte le concret, le réel.

Pour autant, rien ne nous est épargné des détails sordides de l’avortement, de la douleur physique, de la détresse morale. Tout est narré simplement, sans trémolos ni sentimentalisme. Faire vivre cet avortement à un lecteur qui y serait étranger , tâche complexe, implique de devoir passer par des périphrases explicatives, voir des métaphores ou comparaisons, pour mieux décrire l’acte vécu. Quand Annie Ernaux utilise ces tournures de langage, c’est toujours avec justesse et sincérité - elle précise dans ses nombreuses parenthèses à quel point l’utilisation de métaphores lui paraît être importante. Ainsi, lors de la scène climactique de l’expulsion du foetus, mieux que d’utiliser un cortège confus d’adjectifs et d’émotions, l’auteure compare la scène au “jaillissement d’un obus ou d’une grenade, la bonde d’un fût qui saute”.

Tout au long du récit, le point de vue ne se détache pas du “je” autour duquel gravite un véritable cortège d’acteurs - passagers, ceux-ci ne sont jamais présents très longtemps pour soutenir la narratrice dans

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