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Simone Weil, La Condition ouvrière

Commentaire de texte : Simone Weil, La Condition ouvrière. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  23 Janvier 2023  •  Commentaire de texte  •  3 307 Mots (14 Pages)  •  776 Vues

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Simone Weil, La Condition ouvrière.

Explication de texte n°1 : la pénibilité du travail

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  1. Introduction

La condition ouvrière est l'une des formes modernes du travail où cette activité de transformation de la nature et de sa propre nature se transforme en une expérience d'humiliation et d'exploitation. Cet extrait tiré du livre posthume de Simone Weil intitulé La condition ouvrière, a pour thème la signification et la portée de la pénibilité du travail éprouvée en usine. Elle y défend la thèse selon laquelle l'épuisement conduit à la tentation de ne plus penser, c'est-à-dire à la tentation de renoncer à ce qui fait d'un être humain un sujet doué de conscience : la pensée. Le problème auquel ce texte tente d'apporter une réponse est d'expliquer ce qui, concrètement dans la condition ouvrière conduit à l'incapacité dans laquelle la majorité des ouvriers se trouvent de dénoncer leurs conditions de travail et d'œuvrer à une amélioration de leur sort. L'enjeu n'est rien moins que de comprendre, en s'enracinant dans l'expérience pour renforcer le jugement, pourquoi les prolétaires ne se révoltent pas contre l'aliénation dont ils sont l'objet quand ils sont confrontés à une organisation de la production qui transforme le travail en souffrance. Pour ce faire, l'auteur structure son argumentation en trois temps. Dans le premier mouvement du texte, elle soutient sa thèse (lignes 1-6), puis dans un deuxième mouvement (lignes 6-18) elle montre comment et jusqu'où la pénibilité du travail peut causer l'oubli de soi, enfin dans un troisième et dernier moment (lignes 19-24), elle expose les conséquences de la pénibilité du travail sur la condition humaine.

  1. Partie I.          La tentation de ne plus être un sujet A.          Connaître de l'intérieur la condition ouvrière : le projet de Simone Weil (lignes 1-3)

À la différence des ouvriers de l'usine Renault où elle s'est faite engagée afin de connaître concrètement le travail et de ne pas en rester à un jugement abstrait sur celui-ci, la jeune philosophe Simone Weil a choisi les conditions de travail dans lesquelles elle se retrouve au début des années 1930. Depuis la Révolution industrielle, la création des manufactures poussée par l'invention de la machine à vapeur a transformé progressivement l'expérience du travail et conduit une main d'œuvre de plus en plus nombreuses dans les usines. Une classe nouvelle de travailleurs est née : le prolétariat. Ne possédant que leur corps en guise de moyen de production, les prolétaires vendent leur force de travail afin de pouvoir subvenir à leurs besoins élémentaires. Par excellence, la condition du prolétariat a notamment été dénoncée par Karl Marx et tous les auteurs marqués par le socialisme et le communisme, comme représentant une expérience oppressive et déshumanisante du travail humain. Or, pour pertinente qu'elles aient été, ces critiques ont été théoriques. Elles ont reposé sur certaines idées rationnellement et systématiquement développées sur l'essence du travail et ses contradictions manifestées dans le développement d'une économie de type capitaliste. Simone Weil, pour sa part, cherche, dans la lignée de son maître Émile Chartier, dit Alain, à associer l'expérience et le jugement afin de connaître le réel. Pour ce faire, elle décide donc d'ajouter la pratique, c'est-à-dire une connaissance des faits reposant sur l'expérience sensible, à la théorie du travail. En effet, la condition ouvrière ne peut être pleinement connue en l'absence de connaissance du corps de l'ouvrier au travail. À un certain niveau, les facteurs humains sont déterminants pour comprendre la condition ouvrière car ils concernent la compréhension de l'effort physique, de la fatigue qui en résulte, mais aussi de tout ce qui fait de cette condition un malheur pour celui qui la subit.  

Or, bien que portée par ce désir, Simone Weil en vient à éprouver dans son corps même, ce que la fatigue extrême née des conditions de travail, c'est-à-dire l'épuisement à la tâche produit sur l'âme : l'oubli des raisons de son séjour en usine (ligne 1-2). Une telle tension entre l'âme et le corps souligne d'emblée les limites d'une connaissance purement rationnelle du travail puisque seul celui qui n'est pas épuisé par la tâche peut encore réfléchir à ce qu'elle signifie pour celui qui l'effectue. Oublier, c'est-à-dire perdre la mémoire de son objectif, indique combien des conditions de travail difficiles ont pour conséquence de produire involontairement d'abord, ce qu'elle avait à l'esprit en s'engageant dans cette aventure. Néanmoins cet oubli est plus profond.

  1. B.  La perte de soi pour ne plus souffrir : de la deshumanisation comme expérience ouvrière (lignes 3-6)

En effet, provoqué par l'épuisement physique, il est secondé par un désir néfaste qui met non seulement l'ouvrière mais également l'être humain à l'épreuve : la "tentation la plus forte que comporte cette vie" (ligne 4)". L'expression n'est pas anodine. Mot a connotation religieuse et morale tout à la fois, "tentation" renvoie à la sollicitation au mal auquel l'être humain est confronté en raison d'une force extérieure qui le divise. Si dans la tradition chrétienne, le serpent ou le diable incarne cette force, dans le monde du travail, c'est le fait d'être en bute à une activité qui vide le travailleur de toute sa substance, de toute sa force au point de le laisser sans rien qui agit comme telle. Pour un être humain et a fortiori pour une intellectuelle, ressentir la tentation de ne plus penser représente le comble de la perversité inhérente aux conditions modernes du travail ; un mal dont les conditions concrètes du travail serait la cause : " ne plus penser" (ligne 5).  

Car, que signifie "ne plus penser" ? Il ne s'agit pas comme on le dirait aujourd'hui de mettre son cerveau sur la fonction "pause" afin d'accéder à une forme de calme mental. Non, il n'y a rien là qui concerne la seule psychologie. L'enjeu se situe ailleurs, sur le plan métaphysique, celui où se joue les conditions de possibilité de l'existence de l'homme en tant qu'homme. Penser, en effet, c'est ce qui définit la conscience et l'être humain comme sujet. Dans le Discours de la méthode (1537), René Descartes énonce ce qui deviendra la formule de la conscience de soi : "Je pense, donc je suis" ; "Cogito ergo sum". C'est dans la mesure où elle se ressaisit elle-même par cette faculté de l'esprit qu'est la pensée, que l'existence peut être assurée d'elle-même ; qu'elle peut atteindre la certitude de soi. C'est parce qu'il se sait pensant pendant qu'il pense que l'homme peut ne pas douter de sa propre existence et ne pas sombrer dans le doute. Penser, pour l'être humain, c'est également ce qui le différencie des autres animaux. La pensée est ce qui distingue l'homme de la bête : en l'absence de celle-là, l'être humain n'est plus qu'un être sensible parmi d'autres ; un vivant parmi d'autres. Dès lors, ressentir la tentation de ne plus penser, revient à ressentir la tentation de la deshumanisation. Désirer l'impensable : renoncer à ce qui fait l'humanité de l'homme ; renoncer à être soi. Demeurer en tant que corps et rien d'autre. Or, parce que la deshumanisation est incontestablement un mal, cette inclination est une "tentation" à laquelle il s'agit, comme pour toutes les tentations, de ne pas succomber.

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