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“Vénus Anadyomène”, Rimbaud

Fiche de lecture : “Vénus Anadyomène”, Rimbaud. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  11 Avril 2018  •  Fiche de lecture  •  2 106 Mots (9 Pages)  •  1 618 Vues

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LA2 : “Vénus Anadyomène”, Rimbaud

 

I. Une description dérangeante 

1.  Un personnage repoussant 

Le personnage apparaît dans un décor peu engageant : il se trouve dans une “vieille

baignoire” v.3 qui nous est présentée dès le premier vers comme un “cercueil”. Le fait de mettre le comparant ainsi en avant insiste sur l’atmosphère de décrépitude qui règne dans le poème. Comme en écho au décor, le personnage semble porter le poids de l’âge. En témoignent sa lenteur indiquée au vers 3, ses cheveux “fortement pommadés” qui font signe vers un soin de beauté excessif (adv “fortement”) et de mauvais goût ne permettant pas de cacher la vieillesse, enfin l’usage du participe passé “ravaudés” inapproprié pour évoquer le visage qui s’applique aux vêtements usés qu’on raccommode et qui montre l’écart, le décalage entre l’effort pour paraître et le résultat obtenu. L’usure des ans ne peut être cachée. Nous voici mis en présence d’un corps décrépit.

Ce corps n’est pas seulement vieux, il est aussi laid. Le poids de l’âge se trouve ainsi

renforcé par le poids de la chair : “le col gras et gris” v.5, “la rondeur des reins” v.7, “la graisse” v.8, autant de termes dépréciatifs soulignés par l’allitération désagréable à l’oreille en [gr] ou en [r]. De plus les éléments de la description dessinent un corps plutôt trapu : la répétition de l’adj “large” qualifiant les épaules et les fesses : “larges omoplates” v.5 et “large croupe” v.13 qui trouve un écho dans l’adj “court”, “le dos court” v.6 suggérant un personnage de petite taille. Tous ces éléments disgracieux sont évoqués avec une précision clinique. Ils visent clairement à provoquer le dégoût.

Il convient enfin de prendre en compte la nudité du personnage offert à notre regard. Il

s’agit de nous montrer un corps laid dans ses moindres détails puisqu’il est fait usage d’une “loupe” v. 11. On entre même dans l’intériorité de ce corps avec l’évocation de la “graisse sous la peau”. Le poète emploie des formules hyperboliques en s’appuyant sur des adverbes volontairement longs “horrible étrangement” et “belle hideusement”. La baigneuse est un modèle absolu de laideur et l’adverbe “étrangement” suggère une laideur inhabituelle. De là à faire du personnage une sorte de monstre vivant, il n’y a qu’un pas. Du moins peut-on relever les termes qui l’animalisent : “bête” v.3 (à noter le double sens animal/stupidité) “col” v.5, mais surtout “échine” v.9, et “croupe” v.13. Ce point de vue traduit un certain mépris pour un corps obscène qui s’exhibe et finit par tendre au lecteur rendu voyeur son “ulcère à l’anus”! La chute finale est préparée par l’odeur qui s’exhale du corps “le tout sent un goût/Horrible” la synesthésie mêlant l’odeur et le goût. Ainsi le portrait ne repose pas exclusivement sur la vue, il met en jeu les autres sens, de façon à faire éprouver la matérialité repoussante du corps.

 

2.  Un contre-blason 

Tous les éléments du corps sont cités : “tête”, “cheveux”, “col”, “dos”, “reins”, dans un

ordre cohérent. Le champ lexical du corps apparente le sonnet dans un premier temps à un blason. Surtout le titre crée un horizon d’attente. Le lecteur connaît Vénus, la déesse de l’amour et de la fécondité et l’usage de l’adjectif “anadyomène” (signifiant “qui sort des eaux”) plutôt savant annonce un poème sérieux et élogieux. On se figure donc une réécriture d’un motif bien connu pour avoir été représenté souvent par les peintres : Botticelli, mais aussi Cabanel, Ingres, Redon. L’attente est très vite déçue avec l’emploi dès le premier vers du mot “cercueil” et l’on perçoit alors le décalage extrême entre le titre et le contenu du poème. Aucune ressemblance entre les deux femmes si bien qu’on cherche Vénus sans la trouver. Le cercueil est en “fer-blanc” un matériau banal là où on aurait attendu du marbre, la conque a été remplacée par une “vieille baignoire”. Les cheveux de la femme sont “bruns” et non d’un blond vénitien.  La peau est de couleur grise ou rouge v.5 et 9 au lieu de la blancheur, indice de pureté. La femme est vieille, à l’opposé de la fécondité. On peut alors percevoir toute l’ironie du titre et comprendre que le poème est un contre-blason. Le poète n’hésite pas à blasphémer en transformant Vénus en une prostituée et en renversant ainsi les valeurs esthétiques et morales : à l’époque la baignoire est l’attribut des filles de joie, la tatouage est aussi emblématique de la prostituée d’où un détournement des deux mots “Clara Vénus” (= illustre Vénus) qui loin de faire son éloge révèle son identité, enfin l’ulcère est bien évidemment lié à ses activités professionnelles.  

On est ici loin des premiers poèmes de Rimbaud consacrés à Vénus qui en donnaient une

image plus traditionnelle : “Invocation à Vénus” et “Soleil et chair”. 

 

II. Les intentions de l’auteur 

1. Une provocation évidente 

Dans ce poème apparaît d’abord clairement la révolte d’un poète qui se cherche par rapport à

ses pairs (Gautier, de Lisle, Banville). La “Vénus anadyomène” est une provocation adressée aux Parnassiens qui rêvent d’édifier une poésie magnifiant la beauté. Avec le Parnasse (mouvement qui tire son nom du mont Parnasse, situé en Grèce, consacré dans la mythologie à Apollon et considéré comme la montagne des Muses), la poésie se fait monument. La métaphore de la sculpture est ainsi souvent employée dans ce mouvement qui avec Théophile Gautier défend “L’art pour l’art” autrement la poésie tournée exclusivement vers le Beau. Vénus est le symbole de la femme idéalisée, muse des poètes, sortant vivante des eaux autant que statue. Rimbaud dénonce ainsi avec une certaine cruauté l’archaïsme de ses prédécesseurs. Il convient de lire pour mieux comprendre ce refus du Parnasse le poème de Rimbaud intitulé “Ce que dit le poète à propos des fleurs”, dont un extrait est mis en annexe.

A une Vénus censée provoquer l’admiration, Rimbaud oppose une prostituée afin de

choquer son lecteur et il y a dans cette proposition une forme de plaisir ou de jubilation éprouvée dans le fait de produire un poème de mauvais goût. Il s’agit pour lui de parodier, d’imiter de façon burlesque le mouvement de la déesse sortant des eaux. A noter que la femme décrite dans le poème nous tourne le dos, il s’agit donc bien de tourner le dos à la Vénus habituelle pour nous présenter une femme grotesque, vulgaire et pour cela risible, une caricature. Le poète va plus loin, il s’invente médecin ou détective (client ? après tout pourquoi pas…) et muni de sa “loupe” il nous révèle in extremis l’identité de sa nouvelle Muse. Comment ne pas voir aussi dans sa démarche un jeu avec son lecteur ?

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