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Rabelais, L'Abbaye de Thélème

Commentaire de texte : Rabelais, L'Abbaye de Thélème. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  17 Août 2020  •  Commentaire de texte  •  2 504 Mots (11 Pages)  •  1 118 Vues

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Texte 1 : Rabelais, l’abbaye de Thélème

Afin de récompenser Frère Jean des Entommeures de ses exploits lors de la guerre contre Picrochole, le géant Gargantua lui offre de fonder une abbaye qui soit « au contraire de toute autre », l’abbaye de Thélème, c’est-à-dire une abbaye nommée « Désir » selon l’étymologie grecque. La description de cet univers idéal occupe les six derniers chapitres du Gargantua. Cet édifice accueille ses pensionnaires selon des règles particulières.

Toute leur vie était réglée non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur volonté et leur libre arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boire ni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Et toute leur règle tenait en cette clause :

FAIS CE QUE VOUDRAS,


parce que des gens libres, bien nés, bien éduqués, vivant en bonne société, ont naturellement un instinct, un aiguillon qu’ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement et les éloigne du vice. Quand ils sont affaiblis et asservis par une vile sujétion ou une contrainte, ils utilisent ce noble penchant, par lequel ils aspiraient librement à la vertu, pour se défaire du joug de la servitude et pour lui échapper, car nous entreprenons toujours ce qui est défendu et convoitons ce qu’on nous refuse.

Grâce à cette liberté, ils rivalisèrent d’efforts pour faire tout ce qu’ils voyaient plaire à un seul. Si l’un ou l’une d’entre eux disait : « buvons », tous buvaient ; si on disait « jouons », tous jouaient ; si on disait « allons nous ébattre aux champs », tous y allaient. Si c’était pour chasser au vol ou à courre, les dames montées sur de belles haquenées, avec leur fier palefroi, portaient chacune sur leur poing joliment ganté un épervier, un lanier, un émerillon ; les hommes portaient les autres oiseaux.

Ils étaient si bien éduqués qu’il n’y avait aucun ou aucune d’entre eux qui ne sût lire, écrire, chanter, jouer d’instruments de musique, parler cinq ou six langues et s’en servir pour composer en vers aussi bien qu’en prose. Jamais on ne vit des chevaliers si preux, si nobles, si habiles à pied comme à cheval, si vigoureux, si vifs et maniant si bien toutes les armes, que ceux qui se trouvaient là. Jamais on ne vit des dames si élégantes, si mignonnes, moins désagréables, plus habiles de leurs doigts à tirer l’aiguille et à s’adonner à toute activité convenant à une femme noble et libre, que celles qui étaient là.

Pour ces raisons, quand le temps était venu pour un des membres de l’abbaye d’en sortir, soit à la demande des parents, soit pour d’autres motifs, il emmenait avec lui une des dames, celle qui l’avait choisi pour chevalier servant, et on les mariait ensemble. Et s’ils avaient bien vécu à Thélème dans le dévouement et l’amitié, ils cultivaient encore mieux ces vertus dans le mariage ; leur amour mutuel était aussi fort à la fin de leurs jours qu’aux premiers temps de leurs noces.

                                                

Rabelais, Gargantua, chapitre LVII (1534)

                                                Version modernisée

Texte 1 : Rabelais

Intro : Rabelais lui-même ancien moine (puis médecin et écrivain avec les aventures des géants Pantagruel et Gargantua) propose à la fin de Gargantua la description d’une abbaye idéale, une utopie qui permet, à la manière de la cité idéale Utopia de Thomas More publiée quelques années plus tôt, en 1516, de donner vie à un idéal d’éducation et de vie en commun qui est celui du premier humanisme.

Cette « abbaye de Thélème » est conçue et bâtie « au contraire de toutes les autres » : tout s’y oppose à l’ascétisme qu’on associe d’ordinaire à la vie monacale ; la seule règle de l’abbaye est d’ailleurs « Fais ce que voudras »

I Le paradoxe d’une anti-abbaye

a) une présentation sous forme d’énigme

- effet de surprise au début du passage : définition sous forme de rectification et d’opposition « non par…. mais », qui prétend définir une règle de vie (« Toute leur vie était réglée l 1) par une absence de règle commune. Antithèses entre le champ lexical de l’ordre « statuts, règles » et celui de la liberté « volonté, libre arbitre ».

- illustration de cette liberté individuelle l 2 à 4 : imparfaits d’habitude, succession de verbes d’action « sortaient du lit, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient » qui accordent une grande place au corps (4/5 des verbes, « travaillaient » paraît assez isolé)

- confirmation de cette liberté par les anaphores l 3-4 : Nul, ni (pronom indéfini, adverbe négatif) qui conduisent à l’indéfini au sens le plus vaste « quoi que ce soit »

[place particulière accordée au sommeil, comme plaisir et liberté première]

- Ce qui règle la vie des Thélémites est donc le plaisir, souligné par deux propositions marquées par l’anaphore et le parallélisme « quand bon leur semblait / quand le désir leur en venait »

CCl : abbaye idéale qui s’oppose au fondement même de la vie monastique qui est la règle. Correspond aux idées qui ont conduit à la conception même d’un bâtiment à l’allure d’un palais renaissance, sans mur d’enceinte, ni cloche et somptueusement décoré pour le plaisir.

b) le paradoxe de la règle

L’énoncé de l’unique règle à la fois résout l’énigme et renforce la contradiction, avant qu’une analyse de la nature humaine ne vienne justifier ce qui semble au premier regard un ferment d’anarchie.

- la « règle » est constituée sur un paradoxe interne : associe un impératif d’ordre « fais » à une complétive qui prône la liberté individuelle « ce que voudras » ; elle rend donc impérative la liberté ! (= ce sur quoi ne peut s’exercer aucune contrainte)

- Cette règle paradoxale laisse présager le plus grand désordre, or selon Rabelais, elle produirait l’effet inverse. La justification est introduite nettement par une subordonnée de cause (« parce que » l 7) et une métaphore qui s’oppose à celle associée à la règle contraignante.

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