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Construire, c’est collaborer avec la terre / Marguerite Yourcenar / les mémoires d'Adrien

Commentaire de texte : Construire, c’est collaborer avec la terre / Marguerite Yourcenar / les mémoires d'Adrien. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  30 Décembre 2021  •  Commentaire de texte  •  2 487 Mots (10 Pages)  •  3 278 Vues

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Texte 7 :

« Construire, c’est collaborer avec la terre : c’est mettre une marque humaine sur un paysage qui en sera modifié à jamais ; c’est contribuer aussi à ce lent changement qui est la vie des villes. Que de soins pour trouver l’emplacement exact d’un pont ou d’une fontaine, pour donner à une route de montagne cette courbe la plus économique qui est en même temps la plus pure… L’élargissement de la route de Mégare transformait le paysage des roches skyroniennes ; les quelque deux mille stades de voie dallée, munie de citernes et de postes militaires, qui unissent Antinoé à la Mer Rouge, faisaient succéder au désert l’ère de la sécurité à celle du danger. Ce n’était pas trop de tout le revenu de cinq cents villes d’Asie pour construire un système d’aqueducs en Troade ; l’aqueduc de Carthage repayait en quelque sorte les duretés des guerres puniques. Élever des fortifications était en somme la même chose que construire des digues : c’était trouver la ligne sur laquelle une berge ou un empire peut être défendu, le point où l’assaut des vagues ou celui des barbares sera contenu, arrêté, brisé. Creuser des ports, c’était féconder la beauté des golfes. Fonder des bibliothèques, c’était encore construire des greniers publics, amasser des réserves contre un hiver de l’esprit qu’à certains signes, malgré moi, je vois venir. J’ai beaucoup reconstruit : c’est collaborer avec le temps sous son aspect de passé, en saisir ou en modifier l’esprit, lui servir de relais vers un plus long avenir ; c’est retrouver sous les pierres le secret des sources. Notre vie est brève : nous parlons sans cesse des siècles qui précèdent ou qui suivent le nôtre comme s’ils nous étaient totalement étrangers ; j’y touchais pourtant dans mes jeux avec la pierre. Ces murs que j’étaie sont encore chauds du contact de corps disparus ; des mains qui n’existent pas encore caresseront ces fûts de colonnes. Plus j’ai médité sur ma mort, et surtout sur celle d’un autre, plus j’ai essayé d’ajouter à nos vies ces rallonges presque indestructibles. » 

Mémoires d’Hadrien, « Tellus stabilita », p.140-141,

Marguerite YOURCENAR.

Texte 2 : L’Empereur bâtisseur ! Lutter contre le temps !« construire, c’est collaborer avec la terre … » jusqu’à « … indestructibles », Tellus stabilita, p.140-141.

Contexte et situation du passage :

        Situé dans le troisième chapitre « Tellus stabilita » (la terre pacifiée), Hadrien expose ses premières mesures politiques, économiques, sociales, militaires, dans les années 118-121 ap.J-C . C’est une volonté de réorganiser le monde, d’instaurer une paix durable, en rendant Rome éternelle, en stabilisant l’Empire, mais aussi en améliorant la condition des femmes, des esclaves, des soldats, des gladiateurs… L’Empereur entend faire appliquer sa devise « Humanité, Bonheur, Liberté ». Parcourant l’Empire, il fait également œuvre de bâtisseur de monuments encore présents parmi nous.

Problématique :

        Dans quelle mesure la réflexion qu’Hadrien mène sur l’art de bâtir est utile et correspond aux idées de cet empereur « bâtisseur », en quête d’éternité.

Première partie : présentation de la réflexion sur l’art de bâtir (l.1 à 8)

        La première partie débute par un exorde qui annonce le thème du passage : l’art de bâtir. Hadrien y donne une définition de l’art de construire qui repose sur l’emploi d’une énumération de plusieurs verbes d’action à l’infinitif et l’anaphore du présentatif « c’est » : « Construire, c’est collaborer…c’est mettre une marque… c’est contribuer… trouver l’emplacement…donner à une route… ». Le ton est didactique et assez impersonnel (oratio togata : style togé)[1] : bâtir, c’est aménager, mettre en ordre et humaniser l’espace, après s’en être rendu maître et possesseur, dans la recherche de l’équilibre et de l’harmonie.

Les figures de style avec la paronomase « vie des villes », l’anaphore, l’énumération verbale, l’emploi de la phrase exclamative « Que de soins … », le rythme tantôt binaire « d’un pont ou d’une fontaine », tantôt ternaire « construire…collaborer…contribuer » renforcent ce souci de construire le paysage de même que l’auteur prend soin de bâtir le travail d’écriture des Mémoires d’Hadrien. Marguerite Yourcenar donne ainsi vie et voix à cet empereur bâtisseur. Le souci d’exactitude et d’efficacité est similaire pour ces deux types de construction, architecture et écriture. Ecrire, c’est aussi bâtir un pont, pour Yourcenar, entre le passé et le présent, mais aussi réunir le lecteur du présent avec les personnages du passé, en usant du style togé le plus précis pour faire vrai.  Construire induit d’être efficace[2] comme l’illustre le superlatif aux lignes 7 et 8 « la plus économique… la plus pure », modifier la nature en essayant de la respecter, ce qui correspond à la philosophie morale d’Hadrien pour lequel la sagesse s’accompagne toujours d’une quête de l’utile et du juste équilibre, le fameux « mêdèn agan »[3] des Grecs.

Deuxième partie : quatre exemples de constructions en harmonie avec l’éthique d’Hadrien (l.8-17)

        Hadrien nous donne quatre exemples de constructions qu’il a dirigées : les deux routes et les deux aqueducs par leur symétrie et leur équilibre reflètent sa recherche de la juste mesure et de l’harmonie qui correspond à sa philosophie. L’emploi de l’imparfait de description (« transformait », « faisaient succèder », « ce n’était », « repayait ») renvoie au temps du récit dans un discours indirect libre qui rend compte des pensées de l’empereur. C’est une carte géographique du monde romain sous le règne d’Hadrien qui est dépeint au lecteur à travers les nombreux noms de lieux qui sont cités : « Mégare » en Grèce, « Antinoé » en Egypte[4], « la Troade » en Asie Mineure, « Carthage » en Afrique du nord. Il s’agit pour l’empereur de protéger durablement l’empire des ennemis du dehors, d’« élever des fortifications », le mur d’Hadrien en Ecosse par exemple, « la ligne sur laquelle une berge ou un empire peut être défendu », allusion au limes romain sur le Danube ou encore en Germanie, et d’ainsi conforter les frontières de l’Empire. L’emploi d’un vocabulaire militaire : « voie dallée », « citernes », « postes militaires », rappelle qu’Hadrien fut également un très bon administrateur militaire, même s’il ne voulut pas continuer la politique guerrière de conquête de son prédécesseur Trajan. Après avoir triomphé des obstacles de la nature « faisant succéder au désert l’ère de la sécurité à celle du danger », il la domine pour amener l’eau en Troade[5] ou encore à Carthage[6] comme en compensation des ravages des lointaines guerres puniques[7] sous la République romaine (« Delenda carthago est »[8] : il faut détruire Carthage !). On peut remarquer la recherche de l’harmonie des contraires entre tous les éléments avec une succession d’antithèses « élargissement /roches », « sécurité/danger », « repayait/duretés », « élever/creuse ». Notons aussi le souci de la vérité historique, à travers les précisions numériques : « deux mille stades », « cinq cent villes ». 

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