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Comment Wang-Fô fut sauvé Par Marguerite Yourcenar

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Par   •  24 Décembre 2014  •  Fiche de lecture  •  2 393 Mots (10 Pages)  •  2 297 Vues

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Comment Wang-Fô fut sauvé

Par Marguerite Yourcenar

Partie 1 :

Le vieux peintre Wang-Fô et son disciple Ling vagabondaient le long des routes du royaume des Hans. Le royaume des Hans c’était le nom qu’en ce temps là on donnait à la grande Chine.

Personne ne peignait mieux que Wang-Fô les montagnes sortant du brouillard, les lacs avec des vols de libellules, et les grandes houles du pacifique vues des côtes. On disait que ses images saintes exauçaient d’emblée les prières ; quand il peignait un cheval , il fallait toujours qu’il le montrât attaché à un piquet ou tenu par une bride, sans quoi le cheval s’échappait au grand galop du tableau pour ne plus revenir. Les voleurs n’osaient pas entrer chez les gens pour qui Wang-Fô avait peint un chien de garde.

Wang-Fô aurait dû être riche, mais il aimait mieux donner que vendre. Il distribuait ses peintures à ceux qui les appréciaient vraiment, ou bien les troquait contre un bol de nourritures. Il ne chérissait que ses pinceaux, ses rouleaux de soie ou de papier de riz, et ses petits bâtons d’encres de diverses couleurs qu’il frottait contre une pierre pour en mélanger la poudre avec un peu d’eau.

Ling, en échange de ses leçons, lui donnait tous les soins qu’un disciple doit à son maître. Il mendiait du riz quand Wang et lui étaient à court de piécettes d’argent ; et, quand les gens étaient trop avares pour donner, il volait. Il massait le soir les pieds fatigués du vieux, et, le matin, il se levait de très bonne heure pour aller voir aux alentours s’il n’y avait pas un paysage que le maître aimerait peindre.

Un soir, au soleil couchant, ils atteignirent les faubourgs de la capitale, et Ling chercha pour Wang-Fô une auberge où passer la nuit. Le vieux s’enveloppa dans des loques et Ling se coucha contre lui pour le réchauffer, car le printemps commençait à peine, et le sol de terre battue était encore gelé. Ling souffrait de la saleté de l’auberge, mais le vieux s’enchantait des ombres tremblotantes qu’une maigre lampe jetait sur les murs et des étranges dessins que faisaient au plafond les traces de la suie. A l’aube, des pas lourds retentirent dans les corridors, et des commandements criés en langue barbare. Ling frémit, se rappelant qu’il avait volé la veille un gâteau pour le repas du maître. Ne doutant pas qu’on ne vint l’arrêter, il se demanda qui aiderait le vieux à passer le gué du prochain fleuve.

Les soldats entrèrent avec des lanternes. La flamme filtrant à travers le papier bariolé mettait sur leurs visages des reflets rouges, jaunes et bleus. Ils rugissaient comme des bêtes fauves et la corde de leur arc vibrait à chaque cri. L’un d’eux posa rudement la main sur la nuque de Wang-Fô, qui ne pouvait s’empêcher d’admirer la broderie de leurs manteaux.

Soutenu par son disciple, Wang-Fô les suivit en trébuchant le long des routes inégales. Les passants attroupés se moquaient de ces voleurs qu’on menait sans doute exécuter. A toutes les questions de Wang, les soldats répondaient par une grimace sauvage. Ses mains ligotées souffraient, et Ling désolé regardait son maître en souriant, ce qui était pour lui une façon plus tendre de pleurer.

Partie 2 :

Ils arrivèrent sur le seuil du palais impérial, dont les murs violets mettaient en plein jour un pan de crépuscule. Les soldats firent franchir à Wang-Fô des salles rondes ou carrées dont les formes symbolisaient les saisons, les points cardinaux, la lune, le soleil, la longévité et la Toute-Puissance. Les portes tournaient sur elles mêmes en émettant des notes de musique et leur agencement était tel qu’on parcourait toute la gamme en traversant le palais de l’aube au couchant. Enfin, le silence devint si grand qu’on osait à peine respirer ; un esclave souleva un rideau, et la petite troupe entra dans la salle où trônait le Fils du Ciel.

C’était une grande pièce soutenue seulement par d’épaisses colonnes de pierres bleues. Un jardin s’épanouissait tout autour, et chaque fleur de ses bosquets appartenait à une espèce rare venue d’au-delà les océans. Mais elles étaient sans parfum, de peur que les méditations du Dragon Céleste ne fussent troublées par les bonnes odeurs. Un mur énorme séparait le jardin du reste du monde, afin que le vent qui passe sur les quartiers des pauvres et les champs de bataille ne pût se permettre de frôler la manche de l’Empereur.

Le Maître Céleste était assis sur un trône de jade, et ses mains étaient ridées comme celles d’un vieillard, bien qu’il eût à peine vingt ans. Comme ses courtisans rangés au pied des colonnes, tendaient l’oreille pour recueillir le moindre mot sorti de ses lèvres, il avait pris l’habitude de parler toujours à voix basse.

-Dragon Céleste, dit Wang-Fô prosterné, je suis vieux, je suis pauvre, je suis faible. Tu es comme l’été ; je suis comme l’hiver. Tu as dix mille vies ; je n’en ai qu’une et qui va finir. Que t’ai-je fait ? On a lié mes mains, qui ne t’ont jamais nui.

-Tu me demandes ce que tu m’as fait, vieux Wang-Fô ? Dit l’Empereur.

Sa voix était si douce qu’elle donnait envie de pleurer. Il leva sa main droite, que les reflets du pavement de jade faisaient paraître verte comme une plante sous-marine, et Wang-Fô, émerveillé par la longueur de ses doigts minces, chercha dans ses souvenirs s’il n’avait pas fait de l’Empereur ou de ses ascendants, un portrait médiocre qui méritait la mort.

Partie 3 :

Mais c’était peu probable car Wang-Fô jusqu’ici avait peu fréquenté la cour des empereurs, lui préférant les huttes de fermiers, ou, dans les villes, les tavernes le long des quais où se querellent les portefaix.

-Tu me demandes ce que tu m’as fait, vieux Wang-Fô ? Reprit l’empereur en penchant son cou grêle vers le vieil homme qui l’écoutait. Je vais te dire. Mon père avait rassemblé une collection de tes peintures au fond de son palais, et c’est dans ces grandes salles que j’ai été élevé, vieux Wang-Fô, car on ne me permettait pas de sortir, de peur que la vue de malheureux ne me troublât l’esprit ou ne m’agitât le cœur. Personne, sauf quelques vieux serviteurs qui se montraient le moins possible, n’avait le droit de franchir mon seuil, de crainte que l’ombre de ces passants ne s’étendît jusqu’à moi. La nuit, quand je ne parvenais pas à dormir,

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