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Analyse Barbara

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Par   •  10 Juin 2022  •  Analyse sectorielle  •  2 642 Mots (11 Pages)  •  241 Vues

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Barbara

        C’est au lendemain de la guerre, en 1946, que le poète Jacques Prévert public le recueil Paroles, dont le succès immédiat va contribuer à faire de son auteur un grand poète populaire. Conformément à l’esthétique surréaliste qui se fonde sur le renouvellement des formes poétiques et sur l’exploration des possibilité du langage, Prévert privilégie dans ce recueil l’oralité et la liberté poétique. Dans le poème «Barbara», le poète évoque un souvenir heureux dans une suite de vers libres rappelant une chanson : la rencontre, dans une rue de Brest, d’une jeune femme prénommée Barbara et de son amoureux ; mais depuis, la guerre est passée par là : que sont devenus les deux jeune gens ? Lire le texte. Nous verrons que «Barbara», comme de nombreux poèmes de Prévert, s’inspire de la réalité quotidienne à travers l’évocation d’un souvenir, mais que cette scène de la vie de tous les jours lui permet d’introduire une dénonciation de la guerre, et que le poème tout entier se révèle être, finalement, une célébration de l’amour , du bonheur de vivre et de la poésie qui vient s’opposer à la folie meurtrière des hommes. Ce texte, malgré sa simplicité apparente, pose en fait une question essentielle, celle du rôle de la poésie : en quoi ce texte est-il révélateur du rôle que Prévert assignait à la poésie ?

        Ce poème se présente tout d’abord comme l’évocation lyrique, d’une scène de la vie quotidienne dont le poète lui-même a été le témoin. Premièrement, nous constatons la présence du poète dans son propre texte grâce aux pronoms personnels de la 1ère personne du singulier qui apparaissent à plusieurs reprises dans la première moitié du texte v.8 : «je t’ai croisée» ; v.10 : «je souriais» ; v.14 : «toi qui ne me connaissais pas». L’utilisation de la première personne est associée à celle de la deuxième personne, puisque le poète s’adresse à une jeune femme, prénommée Barbara, comme le montrent notamment la répétition de l’anaphore «Barbara» v.1, v.6, v.11, v.23, v.29, v.37, v.45, l’emploi de l’impératif «rappelle-toi» (souvent associé à cette anaphore «Barbara») et les pronoms personnels de la deuxième personne présents jusqu’au v.39 : v.3 : «tu marchais» ; v.8 : «je t’ai croisée» ;  v.9 : «tu souriais», etc. La présence est également marquée par l’utilisation du présent de l’énonciation, qui interrompt à plusieurs reprises le récit. Il y a le présent de l’impératif : «rappelle-toi», «ne m’en veux pas» et le présent de l’indicatif au v.24 «si je te tutoie» et aux v.25 et 27 «je dis tu».

        Deuxièmement, le poète fait le récit d’une scène de la vie quotidienne dans les v.1 à 36 : la rencontre d’une jeune femme et de son amoureux dans une rue à Brest, un jour de pluie ; le poète ne les connaissent pas : l’homme n’est pas nommé, mais le poète a entendu le prénom de la jeune fille, crié par son amant v.17 à 19. Les temps employés dans cette première partie du texte sont en effet ceux du récit au passé : l’imparfait de description pour l’arrière-plan du récit v.2 : «il pleuvait» ; v.3 : «tu marchais» ; v.9 «tu souriais» ; v.17 : «s’abritait», et le passé composé pour les actions de premier plan v.8 : «et je t’ai croisée» ; v.18 : «et il a crié» ; v.20 : «et tu as couru» ; v.22 : «et tu t’es jetée». On note également la présence d’indications spatio-temporelles qui encrent le récit dans un lieu précis, puisque la scène se déroule à Brest v.2 et 7 : «Brest» ; v.8 : «rue de Siam» ; v.34 : «sur la mer» ; v.35 : «sur l’arsenal» ; v.36 : «sur le bateau d’Ouessant» et dans le décor habituel de la ville v.8 : «rue» ; v.17 : «sous un porche». La scène se déroule, d’autre part, dans un passé indéterminé «ce jour là», v.2 et 15, mais que le lecteur peut situer avant la guerre grâce au v.33 : «sur cette ville heureuse». Le niveau de la langue employé contribue également à indiquer qu’il s’agit d’une scène de la vie quotidienne : le lexique appartient en effet au langage courant, et le texte comporte un certains nombre de répétition v.31 à 33 : répétition de l’adjectif «heureux» ; l’emploi de vers libres, non ponctué et non rimés (même si l’on note le retour de certaines sonorités), rapproche aussi le texte poétique du langage oral, notamment par la prédominance de verts courts, hexasyllabes notamment.

Le poème se présente donc comme un souvenir heureux d’une scène de la vie quotidienne ; mais cette poésie du quotidien heureux s’interrompt à partir du v.37 pour faire place à un présent qui contraste violemment avec le passé. La poésie se fait alors dénonciatrice.

        La présence de ce souvenir heureux se justifie, en réalité, par la volonté du poète d’évoquer le destin de la ville de Brest lors de la Seconde Guerre mondiale. Le poème amoureux devient poème engagé, puisque l’auteur y dénonce la guerre et ses conséquences. Pour cela, le poète oppose passé et présent à partir du vers 37. En effet, le poète quitte le récit au passé pour évoquer le temps présent, comme le montrent les verbes conjugués au présent de l’énonciation v.44 : «est-il mort» ; v.44 : «il pleut» ; v.48 : «ce n’est plus pareil», «tout est abîmé» ; v.53 : «qui crèvent»… et l’adverbe de temps «maintenant» associé au passé composé «qu’es-tu devenue» v.39.

        Ensuite, le poète évoque la guerre et ses ravages. Si la guerre n’est évoquée explicitement qu’à partir du v.38 «Quelle connerie la guerre», elle avait été annoncée précédemment par certains indices : le nom de la ville de Brest, qui est l’un des principaux ports militaires français, et surtout, dans les vers 34-36, la mention de la mer, de l’arsenal (ensemble d’installations militaires et navales) et d’Ouessant (petite île occupée par les Allemands dès 1940 pour surveiller le trafic des bateaux sur la Manche). D’autre part, la guerre est présente à travers l’image de la «pluie», qui rappelle la véritable pluie du récit de rencontre ; il s’agit maintenant d’une «pluie de fer / De feu d’acier de sang» v.40-41 d’un «orage / De fer d’acier et de sang» v.51 et d’«une pluie de deuil terrible et désolée» v.49, métaphore filée qui désigne de manière imagée les bombardements alliés qui ont partiellement détruit la ville de Brest. On note dans ces vers la présence d’une accumulation «De feu d’acier de sang», «De fer d’acier de sang» et d’une allitération en d créée par la répétition de la préposition «de», et, plus loin v.53-58, une allitération en r «crèvent», «disparaissent», «Brest», «pourrir», «très», «reste», «rien» : ces sonorités dures accompagnent la violence des deux images, celle de la pluie de bombes, et celle des nuages comparés à des chiens. Enfin, nous pouvons remarquer à partir du v.45, l’absence d’êtres humains : les sujets des verbes sont impersonnels «Il pleut», v.46 ; «ce n’est plus pareil», v.48 ; «c’est une pluie», v.49 ; «il ne reste rien», v.58, ce qui suggère la mort et la déshumanisation provoquées par la guerre. Le poème semble d’ailleurs effectuer ce qu’on appellerait au cinéma un zoom arrière, puisque le poème se focalise dans un premier temps sur Barbara (et même, par un effet de «gros plan», sur son visage : «souriante», v.3 ; «ton visage heureux», v.32) et sur les corps élancés des deux amants v.36 : avant de s’élargir à la ville v.33, à la mer v.34 : «sur la mer» ; v.35 : «Sur l’arsenal» ; v.36 : «Sur le bateau d’Ouessant» et de s’éloigner de Brest dans les derniers vers, v.56-57 : au loin / Au loin très loin de Brest» , là où il n’y a plus aucun être humain.

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