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La Troisième Culture

Lettre type : La Troisième Culture. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  19 Novembre 2013  •  Lettre type  •  2 027 Mots (9 Pages)  •  635 Vues

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Une « troisième culture » émerge avec Internet, rivalisant avec les institutions de production et de diffusion du savoir. L’avènement d’un tiers-état culturel annonce-t-il le début d’une révolution mentale ?

Levé à 6 h 55. À peine dix minutes plus tard, je suis face à mon écran, assis sur un fauteuil, le portable sur mes genoux, un café à portée de main. Première urgence : les emails. Par magie, la pluie de spams qui inondaient ma boîte à lettres virtuelle s’est épuisée depuis un mois. Je relève donc quelques courriels personnels et professionnels. Parmi eux une newsletter scientifique me livre une information qui m’intrigue, une découverte sur les plus vieilles traces humaines. Une équipe d’archéologues annonce avoir trouvé en Égypte des traces de pas fossilisées remontant à plus de deux millions d’années ! Je laisse mes emails en souffrance (je répondrai plus tard…) pour suivre la piste.

Elle m’amène à un site d’archéologie où la découverte est exposée en détail. Cela se passe dans l’oasis de Siwa. Où est-ce exactement ? Pour mieux localiser le site, j’ouvre Google Earth. En moins d’une minute me voilà en train de survoler l’Afrique, puis de zoomer sur une oasis égyptienne comme si j’étais à bord d’un satellite. À peine un quart d’heure après être sorti du sommeil, je suis embarqué dans mon cocon numérique à planer au-dessus de l’Afrique. Première promenade informationnelle de la journée. Première dérive aussi. Parti dans le but de relever le courrier, je me suis déjà laissé embarqué dans une ballade cognitive, stimulante et stressante à la fois.

Il est banal de dire que nous vivons, avec Internet et le Web, une révolution technique et culturelle. Banal, mais pas forcément faux. Qu’elle sera son ampleur ? Jusqu’où la dynamique enclenchée nous entraînera-t-elle ? Nul ne le sait. Serions-nous plutôt engagés dans une « révolution symbolique » aussi profonde que l’invention de l’écriture ou de l’imprimerie (1) ? L’anthropologue Jack Goody a consacré plusieurs ouvrages à étudier l’impact de l’écriture comme « technologie intellectuelle ». L’écriture, nouveau tremplin pour la pensée, a démultiplié les capacités de notre mémoire, stimulé le raisonnement et la réflexivité et permis aux idées de franchir les frontières du temps et de l’espace. Sur le plan institutionnel, la civilisation de l’écrit a aussi donné naissance à de nouvelles élites intellectuelles (scribes, lettrés…) et canonisé certains savoirs (lois écrites, religions du Livre…) (2). Transformation des institutions de savoir d’une part, changement cognitif d’autre part, tels sont les grands bouleversements engendrés par l’écriture. Internet et le Web auront-ils des effets similaires sur la pensée ? Peuvent-ils eux aussi bouleverser les dispositifs de production et de diffusion du savoir, changer le travail intellectuel et transformer de fond en comble la culture ?

Un tiers état culturel

Internet, c’est d’abord l’avènement d’une « troisième culture », qui s’affirme aux côtés des autres pouvoirs culturels (la culture académique et celle des médias). Le succès du Web tient avant tout à l’essor des sites personnels et associatifs, forums, blogsu et autres wiki (voir p. 48), offrant un nouvel espace public pour l’expression des idées, opinions et créations personnelles jusque-là cantonnées à la sphère privée. Artistes en herbe, savants amateurs, pirates, diaristes et autres passionnés en tout genre forment de nouveaux bataillons d’un nouveau « tiers état culturel ». Les analyses vont bon train. Si les uns saluent l’avènement d’une nouvelle « démocratie cognitive », les autres s’alarment des dangers d’une « sous-culture Web » qui nivelle tout sur son passage. Pour Joël de Rosnay, le Web sonne la « révolte du proNetariat » : rien moins qu’une nouvelle lutte de classes centrée autour de la maîtrise du savoir (3). Andrew Keen s’inquiète de l’avènement d’un « amateurisme culturel », superficiel et médiocre, qui tue la véritable culture (4). Pour Cyril Lemieux, la « blogosphère citoyenne » traduit l’exaspération d’une nouvelle couche d’« intellectuels frustrés ».

Une analyse circonstanciée du contenu du Web inviterait à la prudence. Internet est un espace culturel très hétérogène qui ne se laisse réduire ni à une glorieuse révolution culturelle détrônant sur son passage les ordres culturels établis, ni à une « sous-culture » dégradée.

La presse et l’édition bouleversées

Une chose est sûre, la troisième culture ébranle le « second pouvoir » culturel – celui de la presse et l’édition. L’onde de choc est brutale. La baisse des ventes des libraires et journaux est un phénomène international, massif et structurel (5). Aux États-Unis, le nombre de lecteurs de journaux et magazine a baissé de 10 % entre 1994 et 2006, pendant que le nombre d’Internautes explosait. La France comptait 28 millions d’internautes en février 2007, soit plus de la moitié de la population (une augmentation de 7 % par rapport à 2006). Dans le même temps, la lecture des journaux s’érodait. Le paradoxe de la presse est qu’elle nourrit elle-même sa propre concurrence en offrant l’essentiel de ses éditions quotidiennes gratuites. De leur côté, les formules de « journalisme citoyen » (comme Agoravox) tiennent en fait une place infime dans la production d’informations sur le Web.

L’édition est également malmenée par la Toile. Nombre d’anciens lecteurs voraces sont devenus des accros du Web et passent leur soirée derrière leur écran plutôt qu’avec un livre. Parfois, les ordinateurs portables ont pris la place des livres sur les tables de chevet. Tous les secteurs du marché du livre ne sont pas affectés de la même façon. Les romans, biographies, essais BD n’ont guère à craindre de la concurrence. L’e-book lancé au début des années 2000 reste un échec retentissant. Les livres qui peuvent migrer en partie sur le Web ont des caractéristiques précises : ce sont les textes que l’on ne lit pas en continu (roman ou biographie) mais que l’on consulte (dictionnaires, encyclopédies, manuels, etc.), les ouvrages spécialisés au coût élevé, avec un faible tirage, un public dispersé et une longue durée de vie. La production numérique (avec support papier limité et large diffusion sur le Web) offre même à ces ouvrages une opportunité nouvelle : le volume de texte n’est plus un obstacle, la couleur et l’image peuvent être réintroduites, les mises à jour sont aisées. Le coût de production et de diffusion est bien inférieur à celui du support papier.

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