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Les banques et la fraude : un risque permanent (1850-1950)

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Par   •  24 Août 2013  •  Dissertation  •  7 374 Mots (30 Pages)  •  739 Vues

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Les banques et la fraude : un risque permanent (1850-1950)

 

Hubert Bonin, professeur d’histoire économique contemporaine à l’Institut d’études politiques de Bordeaux et au Centre Montesquieu d’histoire économique (Ifrede-Bordeaux 4)

[h.bonin@sciencespobordeaux.fr]

 

 

L’histoire bancaire est riche en aventures qui alimentent une « histoire à scandales » car elle est jalonnée de krachs, de ruines d’actionnaires et de déposants, de chutes d’entreprises perdant le soutien de leur prêteur. L’image des banquiers est mauvaise puisqu’ils sont identifiés à des « escrocs » dans nombre de romans – et ce dès le milieu du xixe siècle (Saccard, chez Zola ; Nucingen, chez Balzac, etc.). Notre propos ne vise pas à une réhabilitation morale de la profession ; mais nous souhaitons montrer que, pour la période des années 1850-1950, celles de la deuxième révolution bancaire contemporaine, les banques ont été moins des fraudeuses que des victimes de la fraude, puis que leurs « déviances » par rapport aux codes de la moralité financière entraient dans les mœurs courantes des places d’argent de l’époque. Sans pouvoir nous livrer à une (ambitieuse) reconstitution systématique, notre analyse empirique se contentera de déterminer comment, dans trois domaines, des éléments de « fraude » peuvent apparaître : la fraude en interne due aux pesanteurs qui freinent la structuration des banques en organisations de firme ; les troubles provoqués par une mauvaise appréciation des risques causés par des clients eux-mêmes fraudeurs ; enfin, les comportements bancaires que, de façon anachronique, l’on pourrait juger contraires à une éthique de place.

 

Il faut en tout cas bien distinguer le comportement de « spéculation » qui caractérise des prises de risque parfois téméraires, qui marque l’histoire de toute communauté capitaliste sur chacune des places bancaires et financières, avec donc le risque de krach, de ruine des porteurs de titres, et qui implique les banques en tant qu’intermédiaires, du comportement de « fraude » lui-même, qui exprime le franchissement d’une ligne délicate à dessiner. Il traduit en effet moins l’entrée dans l’illégalité – faute, jusqu’aux années 1930-1970, d’un code légal structuré – que le glissement vers la dissimulation d’informations sur la situation réelle des opérations en cours, que ce soit dans les comptes des entreprises clientes, dans les bilans des banques ou dans les programmes financiers des émissions de titres. Il faut donc éviter la confusion quasi pamphlétaire ou caricaturale et bien cerner les poches de fraude qui ont pu se constituer en histoire bancaire.

 

1. La fraude et la gestion interne des banques

 

De façon banale, les banques sont victimes de la fraude quand leur organisation interne est défectueuse. L’histoire de la banque en tant que « firme » révèle de façon récurrente combien les dirigeants des banques ont peiné à diversifier leur savoir-faire de celui de simple « banquier » gérant crédits et titres à celui de manageur. Chaque jeune organisation a pâti de lacunes dans le contrôle des opérations des services, des agences et des salariés. Ainsi, nos histoires de la Société générale et du Crédit du Nord indiquent la multiplication des déficiences de gestion : aucun « système de contrôle » de l’organisation n’est encore réellement en place. Des directeurs d’agence ne respectent pas les règles de fonctionnement : ils dissimulent des informations sur l’état des positions débitrices de certains clients avec lesquels ils sont trop complaisants ou trop laxistes – en une connivence entre notables quand le client est le patron d’une pme locale.

 

Des directeurs rusent alors pour dissimuler l’état réel de la situation de leur agence. Une enquête auprès de témoins survivants de l’entre-deux-guerres – les plus vieux ayant débuté dans les années 1920 – révèle le mécanisme du « chemin de fer » : lorsque, peu avant l’échéance mensuelle, il faut préparer les comptes pour les envoyer au Siège, le directeur fait partir des traites à échoir par courrier vers une autre agence, pour recouvrement, avant que celle-ci ne les renvoie à l’agence d’origine – pour erreur ; dès lors, elles ne figurent plus sur le compte de cette dernière, ce qui allège sa situation pour un mois. Couramment, des agences trafiquent leurs comptes : des effets ne sont pas inscrits dans les bonnes catégories de recouvrement, ce qui réduit l’engagement de l’agence vis-à-vis de certains clients ; des découverts sont accordés au-delà des plafonds prévus par les instructions ; on ne demande pas les autorisations réglementaires pour de tels dépassements ou, plus simplement, pour prolonger la durée de ces prêts en blanc.

 

On est donc loin du simple laxisme des directeurs à propos desquels la Banque de France a une expression révélatrice, puisqu’elle les traite d’« ardents », donc trop prompts à se laisser suborner par les demandes de crédits de leurs clients, au nom de la conquête de positions commerciales plus fortes par rapport à la concurrence sur la place bancaire. Il s’agit bien d’une « fraude », en interne certes, sans conséquence le plus souvent, quand les affaires de l’agence s’arrangent au bout de quelques semaines ou mois. Cependant, quand les comptes du client se détériorent sensiblement pour cause de mauvaise gestion ou de conjoncture difficile, le rétablissement des affaires de l’agence est compromis et le Siège découvre l’ampleur et la portée de tels errements. Il doit passer les mauvais crédits en provisions ; le compte de l’agence devient négatif ; il faut régulariser les comptes et licencier quelques cadres.

 

Ces signes de la « maladie infantile » de nombreuses banques – dans les années 1870-1890, par exemple à la Société générale et au Crédit du Nord – expriment leur « désorganisation », les failles de leur organisation. C’est ce qui explique la montée en puissance de l’Inspection générale, des contrôles réguliers ou inopinés, des recueils d’instruction qui visent à uniformiser le traitement des opérations, tandis que la centralisation de ce dernier se développe, par exemple à la Société générale, sous la férule du nouveau patron, Louis Dorizon, à partir des années 1890. Mais des banques jeunes endurent

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