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Un Ordre De Vengeance

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Par   •  23 Mai 2014  •  3 223 Mots (13 Pages)  •  1 733 Vues

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Un Ordre de Vengeance

À l’entrée de la récipiendaire, surprise non loin de la salle du Conseil et « ramenée », mains liées, comme une coupable probable dont on « ignore les desseins », un cri collectif, primal, retentit : « Vengeance ! »

Vengeance, violence, vociférations vindicatives. Ce sont de bien brutales allitérations qui font passer la M\ maçonne de sa L\ Bleue aux Chapitres du Rite français. Les mots de crime, vengeance, punition et leurs dérivés sont prononcés plus de trente fois lors de la cérémonie de réception au 1er Ordre. Et, lorsqu’on la libère de ses liens, ayant ainsi reconnu son innocence, c’est pour la faire passer immédiatement dans le clan des vengeurs, celui du Conseil des Élues qui a pour mission énoncée de « venger le crime ».

« Nekam, nekat ». « Vengeance, vengé ». Est-ce donc là le choix binaire et primitif qui articule la symbolique du 1er Ordre en l’enfermant dans un cycle clos de répétition, éternel « lieu de la stérilité » ?

Aussi, ce rituel, qui ne manque pas, à chaque fois, de questionner notre conscience d’êtres « civilisés », a fortiori notre conscience de FF\ MM\, suscite-t-il un rejet spontané dont témoignent, souvent avec force, les impressions de réception des nouvelles Élues. À la force de la réactivité, répond la rapidité de la rationalisation, visant à justifier intellectuellement, voire moralement, le rejet : comment admettre un message qui serait porteur de valeurs incompatibles avec notre modernité, avec notre éthique, voire avec notre féminité ? Il nous était déjà peu naturel de manier le glaive mais que penser de l’omniprésence du poignard ? Comment ne pas rejeter la sacralisation de la punition, l’exhortation à la dette de sang, le recours à la délation ? Comment adhérer à ce qui semble fouler aux pieds les fondamentaux de la maçonnerie et plus encore ceux de la Maîtrise ?

Faudrait-il d’emblée récuser ou modifier un rituel si dérangeant ? Faudrait-il, comme le proposent certains, qu’il n’énonce la vengeance que lavée par l’écho immédiat de la justice ? Certains Grands Chapitres ont tranché en ce sens. Ce sont là, aussi, des propositions que l’on entend, avec une âpreté variable, chez de nouvelles Élues.

À ces Élues, nous pourrions répondre que seul un rituel porteur de rupture, de déstabilisation, s’inscrit dans les fondamentaux de la démarche maçonnique. Pourquoi faudrait-il que nos rituels accusent la dérive d’une pédagogie laborieuse en faisant l’économie de cet entre-deux, celui de l’élaboration de la pensée et de la conscience ? Si la méthode maçonnique nous commande d’aller « visiter l’intérieur de la terre pour y trouver la pierre cachée », n’est-ce pas qu’il nous faut « travailler les résistances » comme dirait le psychanalyste ? Affronter les démons de la caverne ou ceux du miroir ? Bref, savoir qu’en matière de connaissance de soi et de rectification, il n’est jamais inutile d’explorer le terrain le plus sensible ? Nous ne souscrivons pas, quant à nous, à une lecture – a fortiori à une réécriture – unilatérale qui s’affirmerait moderne, d’un texte écrit au xviiie siècle, sans qu’il ait été interrogé à divers cribles : celui de la mise en perspective historique des notions que le rituel du 1er ordre met en mouvement, celui du nécessaire questionnement quant à l’articulation entre la vengeance et la justice, entre la violence réelle et la violence imaginaire.

Toutes les sociétés humaines connaissent la vengeance, acte à but strictement punitif qui s’inscrit dans une psychologie primaire où l’on fait souffrir celui par qui on a souffert et où seul l’offensé a qualité à punir l’offenseur. La vengeance, qui se veut mécanisme de simple réciprocité, destinée en quelque sorte à purger le crime, devient en fait, le plus souvent, un cycle infernal qui s’emballe et ne connaît plus ni origine, ni dénouement. Que ce soit la vengeance individuelle de celui qui s’estime attaqué et qui peut assumer sa propre vengeance ou en charger un allié : c’est le fantôme de son père qui arme le bras d’Hamlet, c’est Salomon qui dirige celui de Joaben ; ou que ce soit la vengeance collective, celle du groupe solidairement atteint qui se venge solidairement du groupe agresseur, lequel se vengera collectivement à son tour. La vengeance, spirale de destruction a, paradoxalement, un rôle constitutif pervers. Se venger de quelqu’un c’est lui reconnaître un statut identitaire comparable au sien et affirmer par-là même sa propre identité.

La justice est un principe moral qui s’inscrit dans une organisation sociale et qui exige le respect du droit dont on peut tenter ainsi une définition : un ensemble de règles dépassant le cas particulier pour définir des qualifications générales. Le principe moderne de légalisation de la peine pose qu’on ne peut poursuivre quelqu’un que si la définition de l’infraction préexistait à celle-ci. La justice impose la nécessité de distanciation, entre l’affect et le jugement, entre le coupable et la victime, entre le juge et la partie. Il s’agit là, sans contestation possible, d’un progrès de la civilisation.

Mais comment appréhender ces notions de vengeance et de justice sans les relativiser par une mise en contexte ? En ce qui concerne les Ordres Français, il existe plusieurs temps qui se superposent : les temps bibliques, où se situe la légende d’Hiram, les représentations qu’on pouvait avoir de ces temps bibliques au xviiie siècle, époque où ont été élaborés les rituels, le temps historique ou événements réels, du xviiie siècle, enfin, le temps d’aujourd’hui qui est celui de notre propre lecture, des textes. Il y a bien eu, par exemple, au cours des temps, un glissement sémantique : « Vindicare », c’était précisément : « réclamer en justice » une compensation en châtiant l’offenseur. On peut également suivre des grandes lignes d’évolution de la notion de vengeance à travers les représentations bibliques puis historiques.

Avec Caïn, les règles du jeu ne sont pas encore clairement établies. Il est certain que « le crime ne peut rester impuni », que, « l’œil, dans la tombe » est bien « la conscience, juge inflexible » mais puni par qui ? Comment ? Où ? Rien ne permet d’en préjuger. Et combien énigmatique peut apparaître l’injonction de Dieu de protéger Caïn.

Avec la loi du talion apparaît une première forme de proportionnalité. Elle est la première tentative de loi, c’est-à-dire de dépassement de la pulsion et du cas personnel pour poser une

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