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La Turquie : Une Construction Territoriale récente

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Par   •  10 Décembre 2013  •  3 692 Mots (15 Pages)  •  752 Vues

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La Turquie est une jeune formation politique et territoriale, héritière d’un très long passé. Ce passé est diversement écrit et réinterprété, selon les appartenances politiques, les jeux d’intérêts et la conjoncture internationale ou interne. Aussi, parler de «la Turquie» et «des Turcs», quand on évoque des périodes qui précèdent 1923, est contestable, malgré l’habitude occidentale, installée depuis la fin du XVe siècle au moins, d’utiliser ces expressions, pour désigner l’Empire ottoman et ses sujets. Les lectures ethniques et nationalistes de l’histoire ottomane sont le fruit d’illusions rétrospectives et de projections déformantes. Le nationalisme turc est en effet une construction idéologique cristallisée seulement dans les dernières années de l’Empire ottoman. L’«Association de la Patrie turque», un des acteurs de l’émergence de ce nationalisme, n’est ainsi apparue à Istanbul qu’en 1911; de même que le mouvement du «Foyer turc» n’est effectivement entré en activité qu’en 1912.

En tant que formation politique, la République turque est officiellement née le 29 octobre 1923, date de sa proclamation par l’Assemblée nationale d’Ankara, organe législatif de facto en activité depuis avril 1920. Parallèlement, en tant que formation territoriale, la Turquie s’est constituée à partir du début des années 1920, pour vraiment se stabiliser dans ses limites actuelles au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Des débats de l’Assemblée nationale turque avant la proclamation de la République révèlent même une hésitation quant au nom à donner au nouveau pays en cours de formation. Le nom de «Turquie» ne faisait alors pas l’unanimité, tant le mot «turc» en ottoman, tout au moins avant le début du XXe siècle, était chargé de connotations péjoratives. Il renvoyait aux «provinciaux» anatoliens, stigmatisés comme incultes et rustres.

Le nationalisme turc a ainsi hésité quant à son aire d’épanouissement et de légitimité, entre une option restrictive (celle qui fut adoptée), focalisée sur l’Anatolie, et une option large, finalement écartée, s’étendant jusqu’à l’Asie centrale. Cette dernière option s’alimentait à la fois au panturquisme, communauté ethnico-linguistique incluant les «Turcs de l’extérieur» dont la langue est apparentée à la langue turque parlée en Anatolie, au panislamisme — renvoyant à une communauté de croyance — et à l’ottomanisme — renvoyant à une communauté culturelle et historique; les trois communautés convoquées étant imaginées. En cela, le territoire turc dans ses limites présentes n’a rien d’évident ou de naturel, en dépit des productions idéologiques et des institutions visant à le naturaliser et à le sacraliser. À l’instar de tous les autres territoires nationaux plus ou moins objets d’idéalisation, il est un produit contingent et finalement récent, même si un certain discours nationaliste essaie de légitimer la présence turque en Anatolie en remontant aux Hittites, aux Sumériens ou aux Étrusques.

Dans ses limites actuelles, avec ses 783 560 km2 (compte tenu des surfaces en eau), la Turquie est un résidu de l’Empire ottoman — dont l’extension a dépassé les trois millions de km2 au milieu du XVIe siècle —, réduit à sa partie anatolienne, à laquelle un fragment de la Thrace (extrémité orientale des Balkans) aurait été rattaché. Si la fin politique de l’Empire ottoman date de novembre 1922 — avec l’abolition du sultanat par le gouvernement d’Ankara —, et si la fin spirituelle de celui-ci date de mars 1924, sa fin territoriale est plus précoce. En effet, le démantèlement de l’Empire ottoman, entamé à la fin du XVIIIe siècle, s’est accéléré à partir des dernières décennies du XIXe siècle, sous le coup des ambitions des voisins, comme de celles des grandes puissances du moment

À propos des frontières terrestres — 2 753 km en tout —, on pourrait distinguer d’un côté des frontières ottomanes, plus ou moins anciennes, et de l’autre des frontières datant de l’après 1920. En fait, seule la frontière avec l’Iran est, dans ses grandes lignes, une frontière ottomane de longue date, sur ses plus de 450 km: elle remonte aux XVIe et XVIIe siècles. Tracée pour l’essentiel aux termes des guerres ottomano-persanes et ottomano-géorgiennes du XVIe siècle, elle a été juridiquement consolidée beaucoup plus tard, au début du XXe siècle. À l’extrême ouest, avec la Grèce et la Bulgarie, du côté de la Thrace ou de ce que l’on désignait comme la «Turquie d’Europe» ou la Roumélie à l’époque ottomane, les frontières sont aussi ottomanes, mais beaucoup plus tardives. En effet, elles remontent à la guerre russo-ottomane de 1877-1878 et aux guerres balkaniques (1912-1913). Le traité de San Stefano (aujourd’hui Yesilköy, dans la périphérie occidentale d’Istanbul), puis le Congrès de Berlin (juillet 1878) ont établi la frontière avec la Bulgarie nouvellement indépendante. Les guerres balkaniques ont aussi eu pour effet de fixer une nouvelle frontière avec la Grèce, plus à l’est que la précédente: c’est seulement en 1912 que Thessalonique est perdue pour l’Empire ottoman (en même temps que la Crète).

Les frontières avec la Syrie (877 km) et l’Irak (331 km) sont, elles, «post-ottomanes». Leur délimitation principale s’est opérée entre 1921 (accords franco-turcs du 20 novembre 1921) et 1929. De même, les frontières avec la Géorgie (276 km) et l’Arménie (316 km) peuvent aussi être qualifiées de «post-ottomanes», puisqu’elles datent des accords de Kars (13 octobre 1921) et de Moscou (16 mars 1921) signés par le gouvernement «nationaliste» d’Ankara.

De ce fait, si les centres névralgiques (et notamment les capitales politiques) de l’Empire ottoman, quelle que soit la date de fondation retenue — toujours objet de vives discussions —, ont été situés dans les limites de la Turquie actuelle (Bursa, Edirne ou Istanbul), il ne faudrait pas oublier que l’Empire a été à la fois beaucoup plus européen (au sens strictement géographique), beaucoup plus moyen-oriental et beaucoup plus méditerranéen que la Turquie actuelle. En ce sens, par sa dimension méditerranéenne et européenne, l’Empire ottoman était bien l’héritier de l’Empire byzantin. À cet égard, il faut préciser que jamais l’Empire ottoman ne s’est étendu en Asie centrale. S’il a eu pendant de courts moments (XVIe-XVIIe siècles et à nouveau de façon éphémère en 1918) des velléités d’extension du côté de la Transcaucasie, celles-ci ont rarement dépassé Bakou et Tabriz. Ce rappel paraît utile, à l’heure où la légitimité de la Turquie en Europe fait l’objet de polémiques, parce qu’il

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