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Préface Aux Nouveaux Essais Sur L'entendement Humain

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Par   •  6 Juillet 2013  •  8 739 Mots (35 Pages)  •  1 334 Vues

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NOUVEAUX ESSAIS SUR L’ENTENDEMENT HUMAIN

Par l’auteur du système de l’harmonie préétablie

LEIBNIZ

1704

trad. Jacques Brunschwig

PREFACE

1) (hommage à Locke)

L'Essai sur l'Entendement donné par un illustre Anglais, étant un des plus beaux et des plus estimés ouvrages de ce temps, j'ai pris la résolution d'y faire des remarques, parce qu'ayant assez médité depuis longtemps sur le même sujet et sur la plupart des matières qui y sont touchées, j'ai cru que ce serait une bonne occasion d'en faire paraître quelque chose sous le titre de Nouveaux Essais sur l’entendement et de procurer une entrée favorable à mes pensées, en les mettant en si bonne compagnie. J'ai cru encore pouvoir profiter du travail d'autrui non seulement pour diminuer le mien (puisque en effet il y a moins de peine à suivre le fil d'un bon auteur qu'à travailler à nouveaux frais en tout), mais encore pour ajouter quelque chose à ce qu'il nous a donné, ce qui est toujours plus facile que de commencer. Il est vrai que je suis souvent d'un autre avis que lui, mais bien loin de disconvenir du mérite de cet écrivain célèbre, je lui rend témoignage en faisant connaître en quoi et pourquoi je m'éloigne de son sentiment, quand je juge nécessaire d'empêcher que son autorité ne prévale sur la raison en quelques points de conséquence.

2) (Locke/Aristote = Leibniz/platon)

En effet, quoique l'auteur de l'Essai dise mille belles choses où j'applaudis, nos systèmes diffèrent beaucoup. Le sien a plus de rapport à Aristote, et le mien à Platon, quoique nous nous éloignions en bien des choses l'un et l'autre de la doctrine de ces deux anciens. Il est plus populaire, et moi je suis forcé quelquefois d'être un peu plus acroamatique et plus abstrait, ce qui n'est pas un avantage pour moi, surtout écrivant dans une langue vivante. Je crois cependant qu'en faisant parler deux personnes dont l'une expose les sentiments tirés de l'Essai de cet auteur, et l'autre y joint mes observations, le parallèle sera plus au gré du lecteur que des remarques toutes sèches dont la lecture aurait été interrompue à tout moment par la nécessité de recourir à son livre pour entendre le mien. Il sera pourtant bon de conférer encore quelquefois nos écrits et de ne juger de ses sentiments que par son propre ouvrage, quoique j'en aie conservé ordinairement les expressions. Il est vrai que la sujétion que donne le discours d'autrui dont on doit suivre le fil, en faisant des remarques, a fait que je n'ai pu songer à attraper les agréments dont le dialogue est susceptible : mais j'espère que la matière réparera le défaut de la façon.

3) (deux thèses sur l’origine de la connaissance)

Nos différends sont sur des sujets de quelque importance. Il s'agit de savoir si l'âme en elle même est vide entièrement comme des tablettes, où l'on n'a encore rien écrit (tabula rasa) suivant Aristote et l'auteur del'Essai, et si tout ce qui y est tracé vient uniquement des sens et de l'expérience, ou si l'âme contient originairement les principes de plusieurs notions et doctrines que les objets externes réveillent seulement dans les occasions, comme je le crois avec Platon et même avec l’École et avec tous ceux qui prennent dans cette signification le passage de saint Paul (Rom. 2, 15) où il marque que la loi de Dieu est écrite dans les cœurs. Les Stoïciens appelaient ces principes Prolepses, c'est à dire des assomptions fondamentales, ou ce qu'on prend pour accordé par avance. Les mathématiciens les appellent Notions communes (koïnas ènnoïas). Les philosophes modernes leur donnent d'autres beaux noms, et Jules Scaliger particulièrement les nommait Semina aeternitatis, item zopyra, comme voulant dire des feux vivants, des traits lumineux, cachés au-dedans de nous, mais que la rencontre des sens fait paraître comme les étincelles que le choc fait sortir du fusil. Et ce n'est pas sans raison qu'on croit que ces éclats marquent quelque chose de divin et d'éternel qui paraît surtout dans les vérités nécessaires.

4) (l’expérience ne nous fournit que des vérités particulières)

D'où il naît une autre question, savoir si toutes les vérités dépendent de l'expérience, c'est à dire de l'induction et des exemples, ou s'il y en a qui ont encore un autre fondement. Car si quelques événements se peuvent prévoir avant toute épreuve qu'on en ait faite, il est manifeste que nous y contribuons quelque chose de notre part. Les sens, quoique nécessaires pour toutes nos connaissances actuelles, ne sont point suffisants pour nous les donner toutes, puisque les sens ne donnent jamais que des exemples, c'est à dire des vérités particulières ou individuelles. Or tous les exemples qui confirment une vérité générale, de quelque nombre qu'ils soient, ne suffisent pas pour établir la nécessité universelle de cette même vérité, car il ne suit pas que ce qui est arrivé arrivera toujours de même. Par exemple les Grecs et Romains et tous les autres peuples de la terre ont toujours remarqué qu'avant le décours de 24 heures, le jour se change en nuit, et la nuit en jour. Mais on se serait trompé, si l'on avait cru que la même règle s'observe partout, puisque on a vu le contraire dans le séjour de Nova Zembla. Et celui là se tromperait encore qui croirait que c'est dans nos climats au moins une vérité nécessaire et éternelle, puisqu'on doit juger que la terre et le soleil même n'existent pas nécessairement, et qu'il y aura peut être un temps où ce bel astre ne sera plus, au moins dans sa présente forme, ni tout son système.

5) (les vérités universelles et nécessaires sont innées)

D'où il paraît que les vérités nécessaires, telles qu'on les trouve dans les mathématiques pures et particulièrement dans l'arithmétique et dans la géométrie, doivent avoir des principes dont la preuve ne dépende point des exemples, ni par conséquence du témoignage des sens; quoique sans les sens

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