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Commentaire sur le poème A la mystérieuse: j'ai tant rêvé de toi de Robert Desnos

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Par   •  22 Janvier 2013  •  2 432 Mots (10 Pages)  •  4 830 Vues

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Au cœur des nuits, les amants rêvent de celles qu’ils aiment, et s’ils sont poètes, ils recueillent leurs rêves dans leurs vers. Depuis les origines de la poésie lyrique amoureuse, le rêve de la femme aimée constitue un topos récurrent. Le rêve aiguise le désir, offre à l’amant un espace où réaliser l’union impossible, mais, pour apaisant qu’il soit, reste secondaire par rapport à la conquête de la femme aimée. Dans son recueil Corps et Biens, publié en 1930, Robert Desnos reprend ce topos du rêve de la femme aimée, dans un poème en prose intitulé « A la mystérieuse : j’ai tant rêvé de toi ». La thématique du rêve et du sommeil est particulièrement chère à Desnos, comme d’ailleurs à tous les surréalistes : il partage avec ses amis Breton, Aragon, Eluard… la fascination pour le pouvoir de l’inconscient. Tous se livrent à des expériences diverses pour explorer le continent mystérieux de l’onirisme, et Breton salue à plusieurs reprises les dons exceptionnels de medium de Desnos, par ailleurs sujet au somnambulisme. De fait, l’onirisme est au cœur de ce poème, et infléchit ainsi considérablement le topos lyrique traditionnel.

Comment ce poème d’amour paradoxal organise-t-il l’effacement progressif de la femme réelle, pour faire triompher le sujet rêvant, et le rêve sur la vie ?

Le poème est d’abord structuré par un mouvement de désincarnation progressif. Le poète fait petit à petit gagner l’onirisme sur la rencontre réelle avec la femme. Enfin, cette rencontre de l’onirisme et de la poésie donne naissance à un poème quasi hypnotique.

I. UN MOUVEMENT DE DESINCARNATION ET D’EFFACEMENT PROGRESSIF

1.1 De l’adresse à la femme à la solitude du rêveur

La poésie lyrique amoureuse est le lieu privilégié de la subjectivité. Dans le poème s’exprime un JE, poète et amant, omniprésent. Il apparaît dès le titre : « j’ai tant rêvé de toi ». D’emblée, dès la dédicace, le sujet écrivant est mis sur le même plan que la destinatrice. Ceci constitue la première entorse au topos. Ce JE est présent dans tout le texte, de manière très appuyée, puisqu’on le retrouve en tête de l’anaphore qui structure le texte « J’ai tant rêvé de toi ».

Dans le topos poétique lyrique, le poème est généralement adressé. Desnos ne déroge pas à la règle : le titre du poème est bien une dédicace « A la mystérieuse ». Cependant, on note déjà un refus d’une caractérisation trop précise : l’évocation du mystère, et l’utilisation d’un nom commun au lieu d’un nom propre ,ce qui est pourtant la règle générale en matière de poésie amoureuse. La destinatrice est elle aussi présente dans tout le texte, mais le plus souvent sous forme de pronom « toi », « ton », « tes », et non comme sujet « Tu ». Ces pronoms signalent une certaine objectivation, une mise à distance. D’autres indices vont dans le même sens : la femme est désignée par la métaphore « ce corps vivant » dans le deuxième paragraphe, par la périphrase « ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années » dans le troisième. Une fois de plus, le démonstratif « ce » dénote la distance prise par le Je. La femme n’est jamais précisément caractérisée, on ne relève aucun adjectif la qualifiant. Elle n’est que « corps », « bouche », « front ». Cette femme aimée est totalement désincarnée, et elle apparaît donc bien plus absente dans le poème que ne le laissait présager le titre. A l’inverse, le Je dilate sa présence au fil des lignes.

1.2 L’acceptation du rêve dans le mouvement du texte : « les balances sentimentales ».

Le poème part d’une structure qui fonctionne comme matrice du poème « J’ai tant rêvé de toi que … ». Cette structure de balancement porte une valeur causale : « tant…que ». Elle est reprise en anaphore tout le long du poème, son complément variant à chaque fois.

Le §1 « J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité » a l’allure d’un constat, avec l’utilisation du présent simple. Elle énonce le phénomène – la désincarnation de la femme – qui donne naissance au poème. Ce constat initial est suivi d’une interrogation : « Est-il encore temps… », où le poète exprime son hésitation entre domaine du concret et domaine du rêve. La modalisation par l’adverbe « encore » révèle que le poète a déjà le sentiment qu’il est trop tard.

Les § 3 et 4 constituent une première réponse, en reprenant la structure matricielle « J’ai tant rêvé de toi que… ». Ils expriment les doutes sur une possibilité toujours existante de contact tangible avec la femme. Mais le poète n’est certain de rien : il emploie le conditionnel, temps de l’irréel, et plusieurs modalisateurs « sans doute », « peut-être ». Rejeter les modalisateurs en fin de phrase au lieu de les insérer dedans, comme il est coutume, permet de les mettre en valeur et de souligner les hésitations du poète.

Le § 5 est très court et marque une rupture « Ô balances sentimentales. ». Cette apostrophe poétique, jointe à l’idée d’oscillation inscrite dans « balances », souligne nettement l’état d’indécision du poète. Mais les deux derniers paragraphes semblent apporter une réponse.

Le § 6 s’ouvre une fois de plus sur l’anaphore « J’ai tant rêvé de toi que… », mais celle-ci est maintenant suivie du présent, certes toujours modalisé « sans doute » : « qu’il n’est plus temps sans doute… ». L’effet d’écho avec le §2 fait clairement réponse à la question initiale. Par contre, le conditionnel de « je pourrais moins toucher ton front … » a moins une valeur d’hypothétique que de futur du passé. Le §7 reprend cet usage du présent qui assène une conclusion « il ne me reste plus qu’à… ». L’emploi successif des deux modalisateurs « peut-être, et pourtant » est quelque peu obscur. On peut interpréter le « peut-être » comme l’expression d’un doute, que le « pourtant » annulerait. Ces deux modalisateurs sont encastrés dans un long paragraphe qui se poursuit sur encore trois lignes : leur force en est réduite.

A partir du constat initial de déréalisation, le poète construit un mouvement de balancement entre réel et rêve, mais il semble bien qu’il finisse par préférer le rêve…

II. TRIOMPHE DE L’ONIRISME

2.1 le balancement entre palpable et impalpable, corps et fantasme

Le texte est travaillé par un balancement constant entre la femme réelle et la femme rêvée, entre le domaine du fantasme et celui du rêve. Ceux-ci constituent les deux axes sémantiques

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