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Thérèse Raquin : Laurent

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Par   •  10 Février 2013  •  2 578 Mots (11 Pages)  •  5 909 Vues

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Laurent est présenté dès l'abord comme un personnage tout à fait à l'opposé de Camille. C'est « un grand gaillard », « d'une beauté sanguine », « un vrai fils de paysan, d'allure un peu lourde, le dos bombé, les mouvements lents et précis, l'air tranquille et entêté ». Son portrait physique est développé au début du chapitre V. Tout son être dégage une puissance qui renvoie au mythe panthéiste de la terre et de l'animalité. Selon cette sorte de classification qui rattache les êtres aux éléments et aux espèces naturelles, Laurent est à la fois un bœuf et un taureau (dont il a le cou), à la fois bête de somme et symbole de virilité, passif et sporadiquement violent. Entre ses crises de violence ou de rut, il s'affaisse dans le contentement de ses appétits. Il est vu en masse à travers le regard émerveillé de Thérèse, comme « tout un corps d'une chair épaisse et ferme ».

Laurent a beau avoir refusé le destin successoral paternel, il n'en est pas moins « fils de paysan », paysan lui-même. C'est un immigré de la province, un « rural », avec son morphotype et ses caractéristiques conventionnelles.Zola reprend un certain nombre de clichés qu'on trouvera développés en 1887 dans La Terre, son quinzième roman des Rougon-Macquart : la matérialité, l'épaisseur sanguine, l'âpreté au gain qui suscite la ruse, l'intelligence cauteleuse… Laurent annonce ainsi partiellement le personnage de Buteau, qui tue son père, le vieux Fouan. Cette pulsion de meurtre habite également le fils indigne de Thérèse Raquin. Elle est réalisée par l'assassinat de Camille et en germe dans l'impatience à voir le père « laisser la place » : « Le père mourra bien un de ces jours ; j'attends ça pour vivre sans rien faire » (ch. V).

L'évocation du père Laurent, « le paysan de Jeufosse » (un lieu que connaissait bien Zola) est souvent confondue avec un réquisitoire contre les paysans. Mais il faut réinterpréter les informations dont dispose le lecteur en signalant qu'elles sont inscrites dans un discours négatif du fils. Ce dernier se plaint des « ambitions utiles » de son père, un riche propriétaire fermier qui aurait souhaité faire de son fils son avocat dans les nombreux procès qui l'opposent à ses voisins. Dans cette optique, Laurent a pu bénéficier d'une éducation assez soignée dont le couronnement aurait été un titre obtenu à la faculté de droit de Paris. Pendant deux ans, le père a versé très régulièrement une « pension de douze cents francs » à son fils, qui la détourne pour mener la « vie d'artiste », aux antipodes du modèle de réussite bourgeoise dont rêve le vieux Laurent pour sa descendance. Le calcul du paysan échoue devant le naturel paresseux et jouisseur de son fils, qui reconnaît néanmoins que le projet était valable : « Oh ! le père Laurent n'a que des ambitions utiles ; il veut tirer parti même de ses folies » (ch. V). La première de ces folies a été de fonder des espoirs sur un fils indigne, et la seconde de l'avoir exposé à l'influence pernicieuse de la capitale, où le vieux ne met à peu près jamais les pieds. Si la passion de la terre attache ainsi le propriétaire à ses « beaux champs », il n'en a pas moins été capable de sacrifices et d'ambition pour assurer un destin honorable à son fils. Quand il aura compris l'inanité de ses espoirs, il prendra des mesures concrètes, afin que l'héritage, échappant à son fils, aille « dans les poches d'un de ses cousins » (ch. XVIII). Finalement, « le paysan de Jeufosse, dur mais juste, exigeant avec les autres, parce qu'il est impitoyable avec lui-même, se dresse comme une grande figure, celle du seul homme véritable de Thérèse Raquin[4] ».

Laurent est donc présenté d'emblée comme un personnage amoral et comme un organisme parasite. Lorsqu'il se rappelle aux Raquin, il ne fait pas mystère de son histoire, il ne cherche pas à se faire hypocritement valoir selon les règles tacites (de pudeur ou de mensonge aménagé) du theatrum mundi, de la société bourgeoise, qui valorise en particulier l'honnêteté des sentiments, l'amour du travail, la rectitude morale : lui avoue carrément ses penchants à la sensualité, sa paresse et son matérialisme. Il ne semble pas avoir conscience de son cynisme.

Zola insiste précisément sur cette amoralité du personnage et sur le matérialisme vulgaire qui caractérise effectivement la « brute » humaine qu'il a voulu mettre en scène dans son roman : « Laurent parlait d'une voix tranquille. Il venait, en quelques mots, de conter une histoire caractéristique qui le peignait en entier. Au fond, c'était un paresseux, ayant des appétits sanguins, des désirs très arrêtés de jouissances faciles et durables. Ce grand corps puissant ne demandait qu'à ne rien faire, qu'à se vautrer dans une oisiveté et un assouvissement de toutes les heures. Il aurait voulu bien manger, bien dormir, contenter largement ses passions, sans remuer de place, sans courir la mauvaise chance d'une fatigue quelconque » (ch. V). Ce commentaire, qui substitue à l'analyse psychologique attendue une physiologie, suffit effectivement à la caractérisation du personnage et rend compte de son comportement. La définition du tempérament sanguin incluait, selon les théories médicales en vigueur, les deux dimensions, alimentaire et sexuelle, de l'appétit. Après avoir repoussé les métiers qui demandaient trop d'efforts (l'idée même de la profession d'avocat, celle de « piocher la terre » et finalement aussi la peinture, lorsqu'il est acquis qu'il faut travailler pour y réussir un tant soit peu), Laurent se trouve assez « à l'aise » dans la condition médiocre d'employé : « Il vivait très bien en brute, il aimait cette besogne au jour le jour, qui ne le fatiguait pas et qui endormait son esprit. Deux choses l'irritaient seulement : il manquait de femmes, et la nourriture des restaurants à dix-huit sous n'apaisait pas les appétits gloutons de son estomac. » L'arrivée de Laurent dans la famille Raquin va lui permettre de combler ces manques et, comme pour un organisme animal même élémentaire, de trouver son biotope : rapportée à la satisfaction de ses besoins élémentaires, « la boutique du passage du Pont-Neuf devint pour lui une retraite charmante, chaude, tranquille, pleine de paroles et d'attentions amicales » (ch. VI). La prédominance des fonctions de nutrition sur celles de relation chez le sanguin Laurent se traduit par une disponibilité toujours en éveil et par l'immédiateté. Il accepte « carrément » toutes les invitations, s'introduit

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