Sujet D'invention à Propos De Caligula

Un homme et une femme, d’une vingtaine d’années, sortirent tranquillement du théâtre Jean Genet, main dans la main, et ils s’assirent sous l’abribus situé le plus proche, l’esprit encore plein des images de ce qu’ils avaient vus. La jeune femme se nommait Lucie et son fiancé, Dante. Ils étaient tous les deux en faculté de Lettres, et la pièce qu’ils venaient tous deux de voir, Caligula faisait partie des pièces qu’ils avaient étudiés en cours. Cette pièce de Camus y avait été mise en scène par Javor Gardev.

«- En tout cas, il faut avouer que Caligula était vraiment beau, soupira Lucie, une lueur d’extase dans le regard.

- Hum… Je ne suis pas sûr que l’idée du metteur en scène de faire jouer son acteur torse nu était vraiment réaliste. Il est vrai que cela mettait en évidence sa fragilité face à l’imminence de sa mort mais cela réduit ce personnage à une dimension trop mince, celle des biceps de l’acteur qui le joue et je trouve cela…

-… T’es juste jaloux que je le trouve beau. Il faut dire cette mise en scène était vraiment spectaculaire ! Et puis ce bassin, auprès duquel il s’est agenouillé en s’exclamant « Mais où étancher ma soif ? Quel cœur, quel dieu aurait pour moi la profondeur d’un lac ? »… Tout simplement subjuguant.

- Trop, sans doute ! En mettant ainsi en valeur le tyran, Gardev fait perdre sa valeur didactique au texte d’origine ! Et puis, ces libertés prises par rapport au texte ! Où a-t-on vu qu’un bassin rempli d’eau pouvait remplacer un miroir ? Ce n’est pas la mise en scène de Narcisse, que je sache ! s’exclama le jeune homme, pris d’une fougue subite, envenimée certes par l’intérêt porté par sa douce au bel acteur.

- Il faut dire, mon cœur, que pour toi seul semble compter le texte ! Le metteur en scène a son mot à dire, dans la représentation de la pièce ! Et ce n’est pas plus mal. Le fait que le corps de Caligula soit si érotisé montre justement le charisme qu’ont les tyrans, les dictateurs, et la mise en scène de ce Gardev est justement très moderne, tout comme le texte de Camus qui, comme tu le sais sans doute, est une critique des régimes totalitaires tels le national-socialisme, le…

-… Ce que tu dis est vrai, chérie, la coupa Dante. Mais je trouve que cette mise en scène « moderne » comme tu dis, fait perdre sa valeur poétique au texte en lui-même. Certes, les acteurs focalisent tous les regards –essentiellement féminins, ceci dit- mais les paroles semblent perdre leur valeur. Malheureusement, la prose de Caligula ne semble pas à la hauteur de son physique. »

Lucie ne répondit pas, à court d’arguments. Elle aurait voulu faire ressentir à Dante les émotions qui l’avait traversé quand, alors qu’il était frappé de tous côtés, Caligula riait et niait sa mort. Elle avait tout d’abord ressentie une sorte d’impatience, connaissant d’avance le dénouement mais ne pouvant rester insensible à la fougue de cet homme qui venait tout juste de montrer des failles dans sa dureté. Cet homme qui regrettait de ne pas avoir eu d’amour, à qui elle était tentée de

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