Robert Browning Le Chevalier Roland S'en Vint A La Tour Sombre (français)
Mémoires Gratuits : Robert Browning Le Chevalier Roland S'en Vint A La Tour Sombre (français). Recherche parmi 298 000+ dissertationsPar • 4 Avril 2015 • 1 082 Mots (5 Pages) • 1 890 Vues
I
Je pensai tout de suite, il ment à chaque mot,
Ce vieil estropié à l’œil si sournois,
Guettant dans mes prunelles l’œuvre de sa duperie,
Sa bouche non sans peine dissimulant une joie
Qui en pinçait et plissait les contours,
Alléchée par la vue d’une victime nouvelle.
II
Qu’attendrait-il d’autre, son bâton à la main ?
Qu’attendrait-il ? sinon d’accoster et de tromper
Le voyageur qui le découvrirait en cet endroit posté,
Et lui demanderait sa route ? J’imaginais alors le rire
De ce crâne grimaçant, et voyais sa béquille désœuvrée
Tracer mon épitaphe dans la poussière du chemin,
III
Si d’aventure, sur son conseil, je m’engageais
Sur la sente sinistre qui, aux dires de chacun,
Cache la Tour Sombre. Malgré tout, j’obéis
Et suivis la route indiquée par son doigt : la gloire,
Ni l’espoir rallumé par la vision de l’arrivée ne me poussaient,
Mais la simple joie d’entrevoir la fin du voyage.
IV
Pour avoir tant erré par le vaste monde,
Pour avoir tant d’années à ma quête voué,
Mon espoir n’est plus qu’un fantôme qui chancelle
Devant la joie tonitruante qu’eût donné le succès,
C’est à peine si j’essayai de retenir le bond
Que fit mon cœur devant le spectacle de ma défaite.
V
Semblable au malade qui sur son lit de mort
A tout l’air d’un défunt, qui voit poindre et tarir
Les pleurs de ses amis, qui reçoit leurs adieux,
Entend l’un s’inviter l’autre à se retirer, à prendre
L’air frais dehors (« Puisque tout est fini, dit-on,
Et qu’aucune plainte ne peut réparer le coup du sort ») ;
VI
Pendant que l’on s‘inquiète de savoir si sa tombe
Trouvera une place à côté des autres, du jour
Le plus approprié pour emporter la dépouille,
Du choix des bannières, des hampes et du linceul,
L’homme entend tout cela et désire ardemment
Ne pas démériter, en tardant à passer, ce tendre attachement.
VII
J’endurai de telles souffrances au cours de la quête,
J’entendis si souvent de funestes augures, on me compta
Tant de fois parmi les rangs de « La Troupe » – celle
Des chevaliers qui à la quête de la Tour Sombre vouèrent
Leurs pas – que je n’aspirais qu’à partager leur défaite,
La seule question était désormais : serai-je à la hauteur ?
VIII
Alors, calme comme le désespoir, je me détournai
De l’odieux éclopé, quittai la grand route
Pour m’engager sur la sente indiquée. Mornes
Furent les heures les plus claires, désormais l’obscurité
Tombait sur le jour finissant qui lançait son œil rouge
Et torve sur l’ouaille prisonnier de la plaine.
IX
Écoutez-moi! Je ne m’étais pas plus tôt
Engagé par la plaine que je fis halte
Après un pas ou deux, pour jeter un dernier regard
Sur la grand route : le néant ; autour de moi une grise plaine:
Rien qu’une étendue grise, à perte de vue.
Autant aller de l’avant ; n’ayant guère d’autre choix.
X
J’allai donc. Jamais je ne vis, je crois,
Nature si chétive et si vile ; ici, point de luxuriance.
Des fleurs ? – autant chercher un bosquet de cèdres !
Seules l’ivraie et l’épurge, suivant la loi de leur espèce,
Pouvaient proliférer tout à leur guise,
Semblait-il. Une pousse de bardane eût été merveille.
XI
Hélas ! Disette, Apathie et Disgrâce
Par étrange malheur échurent à cette terre.
« Ouvre les yeux, disait Nature rétive, ou tiens-les clos,
En somme, peu me chaut car je n’attends rien
Que le feu du Jugement Dernier par lequel ce lieu sera guéri,
Ses glèbes calcinées, ses prisonniers libérés. »
XII
Si la tige dégarnie d’un chardon venait à pousser
Plus haut que ses voisines, on la décapitait,
Sans quoi le chiendent l’aurait jalousée. Qui perce et déchire
XXIV
Et pire encore – à quelques pas – pourquoi ?
Quel terrible usage réservait-on à cette machine, cette roue,
Non, ce chevalet – cette herse à dévider
Les entrailles des hommes comme des fils de soie,
Engin d’enfer abandonné sur terre par mégarde,
Ou apporté là pour affûter ses dents d’acier rouillées.
XXV
Puis ce fut un champ de souches, jadis un bois,
Qui devint marécage et n’est plus qu’une terre
Mise à nu, épuisée ; (tel l’idiot qui, hilare,
Fait une chose pour ensuite la ruiner, change d’humeur
Puis s’en va !) ; sur quelques enjambées, tout n’était que
Tourbe, glaise, rocaille, désert désolé de sable noir.
XXVI
Çà et là, la surface bariolée des plaies suppurantes,
Un maigre sol dont les lambeaux
S’abîment en plaques de mousse purulente ;
Puis un chêne paralytique barré d’une crevasse,
Bouche distordue à la lèvre fendue,
Qui bée et se rétracte devant la mort.
XXVII
Et j’étais toujours aussi loin de toucher la fin !
Rien à l’horizon que le soleil couchant,
Rien d’autre pour conduire mon chemin !
Alors un grand oiseau noir, ami d’Apollyon,
Passa ; en planant, sa grande aile de dragon,
Effleura mon heaume – la chance m’envoyait-elle un guide ?
XXVIII
Levant les yeux, je perçai peu à peu le crépuscule :
Autour de moi la plaine avait laissé place
À des montagnes – si un tel nom peut convenir
Aux laides éminences qui s’offrirent soudain à ma vue.
Par quel mystère m’étaient-elles apparues ? – à vous de le lever !
Par quelle voie leur échapper, rien n’était moins clair.
XXIX
À peine semblai-je déceler quelque mauvais tour
Du sort qui m’avait frappé, Dieu sait quand –
Dans un cauchemar, qui sait ? Là s’arrêtait
Mon cheminement. Comme j’étais sur le point
De renoncer, un bruit sec retentit
Comme un piège refermé – te voici captif !
XXX
Sur moi tomba le feu de la révélation:
J’y étais ! à droite les deux collines ramassées
Comme deux taureaux corne contre corne,
À gauche, un haut mont chauve… insensé,
Stupide, toi qui, en cet instant crucial, trouves à t’assoupir
Toi qui, toute ta vie, t’es préparé à cette vision.
XXXI
Que voyait-on au beau milieu, sinon la Tour, elle-même !
Ronde et trapue, aveugle comme un cœur privé de raison
Bâtie de pierres brunes, sans rien qui lui ressemble
Sur toute la terre. Ainsi le génie de la tempête, dans sa malice,
Pointe du doigt au marin l’écueil ignoré,
Au moment où la coque commence à céder.
XXXII
Rien ne frappe votre œil ? la nuit sans doute ? –
Mais le jour reparut bientôt et avant de tomber,
Le rayon mourant du couchant embrasa une crevasse,
Les collines, tels des géants à l’affût, s’étaient allongées
Le menton dans les mains, épiant le gibier pris en chasse,
« Frappez-le, – jusqu’à la garde – achevez-le ! »
XXXIII
Rien ne frappe votre ouïe ? avec tout ce bruit ! Le tintement du glas
S’enflait comme celui d’une cloche. À mes oreilles
Le nom de ceux perdus dans l’aventure, mes pairs –
Ô la force de l’un, la bravoure de l’autre, la fortune du troisième,
Mais chacun depuis a passé, oui, passé !
L’instant sonna le glas d’années endeuillées.
XXXIV
Ils se tenaient là, sur les flancs de la colline alignés,
Contemplant mes instants derniers, cadre vivant
D’un nouveau tableau ! Devant le rideau de flammes,
Je les vis tous et reconnus chacun, cependant que
Sur mes lèvres impavides je posai l’oliphant
Et soufflai : « le chevalier Roland s’en vint à la Tour Sombre. »
Traduction par charlotte michaux du poème de Robert Browning « Childe Roland to the Dark Tower Came »
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