LaDissertation.com - Dissertations, fiches de lectures, exemples du BAC
Recherche

Pére Goriot

Documents Gratuits : Pére Goriot. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  15 Mai 2013  •  4 857 Mots (20 Pages)  •  577 Vues

Page 1 sur 20

Le père Goriot

Goriot a donné son nom à l’œuvre, et son patronyme a été accolé à l’appellation de père. Cette dénomination a deux origines.

La première est peu flatteuse. Elle est due à la minable jalousie de Madame Vauquer, à sa vengeance mesquine, à sa sournoise cruauté : elle entend faire endosser à un innocent la responsabilité des déboires financiers qui ont fait suite aux impayés de la comtesse de l’Ambermesnil. Cette dénomination familière traduit la baisse de considération, puis le mépris déguisé de l’hôtesse qui perçoit la baisse des revenus de son pensionnaire : « Malheureusement, à la fin de la deuxième année, monsieur Goriot justifia les bavardages dont il était l’objet, en demandant à madame Vauquer de passer au second étage, et de réduire sa pension à neuf cents francs. Il eut besoin d’une si stricte économie qu’il ne fit plus de feu chez lui pendant l’hiver. La veuve Vauquer voulut être payée d’avance, à quoi consentit monsieur Goriot, que dès lors elle nomma le père Goriot. Ce fut à qui devinerait les causes de cette décadence. »

La seconde que le lecteur averti découvre progressivement est plus élogieuse. Elle correspond au projet de Balzac. Elle est une qualification absolue : Goriot est fondamentalement un père. Il n’existe que comme père. Balzac entend peindre dans ce personnage la passion paternelle. Cette vertu poussée à l’extrême devient un martyre. Comme toute passion, elle est aveuglement et côtoie la folie. Balzac veut faire œuvre de moraliste en étudiant un beau spécimen de vertu dégénérée5. Balzac cultive le paradoxe en montrant magistralement que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. Goriot s’enfonce peu à peu dans sa monomanie, perdant tout contact avec le réel lorsqu’il ne s’agit plus du bonheur de ses filles. Sa déchéance est d’autant plus pathétique que le pauvre père s’illusionne et qu’il se trompe radicalement dans sa conception de la paternité. Pour lui, l’idéal du père est de satisfaire les moindres caprices de ses enfants. Son éducation est non seulement laxiste, mais de plus elle se trompe sur les moyens de parvenir au bonheur familial. Il donne sans cesse l’impression de vouloir acheter l’affection de ses filles. Finalement il est rejeté par ses gendres6 comme un être peu fréquentable car il n’a pas su inspirer le respect et s’est dépossédé du seul bien qui le rendait aimable. De même il s’expose à l’ingratitude de ses filles qui ne voient en lui que le pourvoyeur de leur vicieuse paresse, de leur inconséquente futilité. Faute de leur avoir appris la frustration, la valeur du manque, Goriot ne leur a pas permis d’accéder à une autonomie affective. Sa passion fusionnelle a infantilisé ses enfants.

Balzac a décrit une pathologie qui va détruire le pauvre homme. Goriot se refuse à juger ses filles. Il leur porte une affection sans mesure, c’est un torrent d’amour qui se déverse à fonds perdu, c’est un sacrifice perpétuel puisque Goriot a renoncé à sa propre existence. Goriot, dans son mépris des convenances et dans l’excès de sa tendresse, est devenu tout à la fois un père et une mère de remplacement pour ses enfants. Il attend en vain leurs confidences et ne reçoit que leurs besoins. Ces besoins qui le réduisent à n’être qu’un pourvoyeur de fonds l’avilissent en lui faisant perdre toute retenue et toute conscience morale. Le voilà transformé en voyeur, puis en entremetteur pour satisfaire son affection insatiable.

Balzac donne à cette affection désordonnée un caractère absolu en l’élevant à une mystique pas très catholique. « Enfin, je vis trois fois. Voulez-vous que je vous dise une drôle de chose ? Eh bien ! quand j’ai été père, j’ai compris Dieu. Il est tout entier partout, puisque la création est sortie de lui. Monsieur, je suis ainsi avec mes filles. Seulement j’aime mieux mes filles que Dieu n’aime le monde, parce que le monde n’est pas si beau que Dieu, et que mes filles sont plus belles que moi. » Il semble d’abord que Balzac ait voulu souligner les divagations du vieil homme. En effet il faut être présomptueux ou illuminé pour prétendre comprendre Dieu. Goriot dépasse ensuite la mesure en se posant en créateur de ses enfants et en avouant innocemment son amour fusionnel. On peut comprendre que cette affirmation exorbitante de la toute-puissance paternelle ait pu constituer l’origine du rejet par les filles d’un père trop encombrant. Goriot confirme ses propos blasphématoires en se prétendant supérieur à Dieu dans son œuvre créatrice. Il cherche ensuite à gommer quelque peu la prétention de son discours par une humilité qui le conduit à s’effacer devant l’accomplissement de ses enfants. Le bon vieillard s’aveugle quand il voit ses filles meilleures que lui-même : cet amour de dépossession est en effet payé d’ingratitude. Plus loin Balzac relève l’aspect sacrificiel du père Goriot : « Pour bien peindre la physionomie de ce Christ de la Paternité, il faudrait aller chercher des comparaisons dans les images que les princes de la palette ont inventées pour peindre la passion soufferte au bénéfice des mondes par le Sauveur des hommes. » Là encore, il y a inflation du propos : si Goriot rachète quelque chose, ce sont les dettes de ses filles, non leurs âmes.

Ainsi Goriot aime beaucoup mais il aime mal. Il aime d’un amour baroque dans sa démesure. Le romancier ne s’y trompe pas, il fait de Goriot une victime, un faible sans volonté ni intelligence. Mené par son instinct7, Goriot s’achemine vers une fin sublime par son sacrifice, mais en même temps horrible par ses erreurs. Il faut une agonie insupportable pour dessiller les yeux du pauvre père. Dans un de ces éclairs de lucidité qui parsèment ses divagations, il avoue : « J’ai bien expié le péché de les trop aimer. Elles se sont bien vengées de mon affection, elles m’ont tenaillé comme des bourreaux. Eh ! bien, les pères sont si bêtes ! je les aimais tant que j’y suis retourné comme un joueur au jeu. Mes filles, c’était mon vice à moi ; elles étaient mes maîtresses, enfin tout ! »

Goriot reconnaît ainsi la misère de sa passion qui l’a maintenu en esclavage. Goriot est un père qui a su séduire Eugène. Il est évident que le jeune homme a fait capituler sa conscience en acceptant les cadeaux empoisonnés de ce père fou de la vie de ses filles. Eugène se rend bien compte que son voisin achève de se déposséder jusqu’au dénuement. De plus il perçoit, sans se l’avouer, que Goriot se conduit de manière immorale en favorisant les amours adultères de Delphine. Eugène, comme Christophe, a d’abord une dette envers

...

Télécharger au format  txt (29.8 Kb)   pdf (256.1 Kb)   docx (21.2 Kb)  
Voir 19 pages de plus »
Uniquement disponible sur LaDissertation.com