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Prise de parole et construction identitaire dans Chroniques des sept misères de Patrick Chamoiseau

Dissertation : Prise de parole et construction identitaire dans Chroniques des sept misères de Patrick Chamoiseau. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  20 Juin 2018  •  Dissertation  •  3 229 Mots (13 Pages)  •  683 Vues

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FRANÇOIS CHARPENTIER

LIT1213-01 Littérature de la francophonie

Respiration

L’essoufflement des djobeurs

Prise de parole et construction identitaire dans

Chroniques des sept misères de Patrick Chamoiseau

Travail présenté à

M. Fednel Alexandre

Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

11 avril 2017

The sea pirates were white. The people who were already on the continent when the pirates arrived were copper-colored. When slavery was introduced onto the continent, the slaves were black.

Color was everything.

- Kurt Vonnegut,                Breakfast of Champions

                                                Pa konnet mové                                                                                 (Il est mauvais de ne pas savoir)

-Proverbe Martiniquais


        

Depuis son apparition, le concept de Francophonie, terme créé par Onésime Reclus à la fin du XIXe siècle pour dénommer l’ensemble des personnes et des pays parlant le français, a du adapter sa définition aux transformations des siècles suivants.  Reflétant à l’origine le rayonnement de l’Empire colonial Français, le mot est devenu un fourre-tout[1] politique, culturel, économique et historique.  La Charte de la Francophonie, adoptée en 1997, a permis d’instaurer une distinction : il y a dorénavant la francophonie, qui désigne les locuteurs de français et la Francophonie, qui désigne l’institution. Les relations politiques et économiques diffèrent entre le parent Français et ses anciennes colonies, certaines sont indépendantes, d’autres sont des départements d’Outre-mer, comme la Martinique. Mais au-delà des définitions institutionnelles, la langue et la culture françaises ont joué un rôle important dans la construction de l’identité de ces multiples peuples.  

        Depuis la décolonisation, une ouverture a permis l’expression d’identités et cultures jusque-là perçues comme mineures, secondaires et peu dignes d’intérêts.  La sphère du langage est particulièrement marquée par des frictions entre la langue des anciens maîtres, le français[2], et la langue du peuple, le créole, en ce qui concerne la Martinique.  Depuis la fin de l’hégémonie française, en 1946, la culture et la langue des maîtres sont remis en question.  Une situation de diglossie prévaut sur l’île, comme dans bien d’autres anciennes colonies. Le français, toujours symbole de culture, de littérature et de pouvoir politique, est considéré socialement supérieur au créole, langue d’usage privé, confinée à l’expression orale et au folklore.  La construction de l’identité d’un peuple passe inéluctablement par la reconnaissance de sa culture, de sa langue et de son histoire.  Ainsi, le créole, langue clandestine des esclaves au temps des colonies, est devenu la langue maternelle de leurs descendants.  Mais le français résiste, il est la langue écrite de l’histoire, le parler des institutions contre lequel le créole doit lutter et prendre la place qui lui revient.  Ce ne sera qu’à ce moment que les Martiniquais ne feront plus partie de l’histoire France, et pourront exhumer ce qui a été tu si longtemps.

Le roman Chronique des sept misères de Patrick Chamoiseau représente bien ce cheminement identitaire parcouru en Martinique depuis plus d’une cinquantaine d’années.  Tant dans les actions des personnages que dans la structure du récit, Chamoiseau élabore une réappropriation de l’histoire et de la langue qui ne peut se reconnaitre uniquement avec la France ou l’Afrique comme points d’origines. Le personnage de Pipi, Pierre Philomène, le roi des djobeurs, traverse et vit ces moments où l’identité martiniquaise s’est remise en question.  Sous la dénomination de « chronique », qui suggère chronologie et rapport de faits, le texte éclatera et adoptera une forme particulière, plus représentative de la culture créole.  

La Martinique étant en situation de diglossie, l’une des deux langues occupe nécessairement un statut supérieur à l’autre.  Le texte de Chamoiseau illustre bien cette situation où le français conserve un statut et un attrait symbolique particulier.  Celui qui le maîtrise s’élève au-dessus des autres.  C’est d’abord, entre les individus, une langue particulièrement efficace pour la séduction. Tel personnage séduit avec sa parole, « […] avec tellement de français huilé aux r. » (p.122) et l’on ne peut lui résister.  Tel autre impressionne parce qu’il « détenait la parole » alors qu’il « maitrisait tout bonnement le français.(p.72). Celui qui parle français occupe une place de choix dans les rapports sociaux, surtout si ses interlocuteurs ne possèdent pas la même maitrise.  Lorsque Pipi est questionné en un excellent français par Aimé Césaire, il en perd tous ses moyens et en oublie son français.  Il devient « ababa » et « agoulou », le lexique familier revient pour répondre à la langue européenne.  Par la suite,  même s’il parvient  finalement à bafouiller une réponse en créole, la simple traduction de sa réponse en français à la télévision fait en sorte qu’au marché, « tout le monde crut Pipi docteur en langage de France. » (p.201) Le lustre perdure, mais le le lien hiérarchique est trop grand, les deux langues ne peuvent décrire les mêmes expériences.

Ainsi, lorsque les scientifiques du ministère débarquent chez Pipi afin d’étudier son jardin, la langue devient une source d’aliénation et d’incompréhension.  Même si Pipi a une connaissance phénoménale de son jardin, ses savoirs participent à une culture qui ne peut s’exprimer en français.  Le vocabulaire de la science, de l’école, de l’institution, est menaçant et domine. C’est « [d]ans un français redoutable […] » (p.202) que l’on tente d’échanger avec Pipi, et, fracture notable, celui-ci n’y a pas accès, perdu devant des textes « ésotériques ».  L’incompréhension est totale : la transmission de savoirs ne passe pas d’un registre à l’autre.  Après le départ des agronomes, le jardin qui a attiré l’attention des autorités est dévasté. La langue des anciens maîtres a transformé le quotidien en une chose difforme qui a perdu son sens.  De jardin à fumisterie.

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