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Poèmes " Poètes de sept ans " (Lettre à Pavel Demeny, 10 juin 1871)

Commentaire d'oeuvre : Poèmes " Poètes de sept ans " (Lettre à Pavel Demeny, 10 juin 1871). Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  30 Mai 2015  •  Commentaire d'oeuvre  •  4 760 Mots (20 Pages)  •  619 Vues

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Poésies, « Les Poètes de sept ans » (Lettre à Paul Demeny du 10 juin 1871)

À M. P. Demeny

Et la Mère, fermant le livre du devoir,

S'en allait satisfaite et très fière, sans voir,

Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences

L'âme de son enfant livrée aux répugnances.

Tout le jour il suait d'obéissance ; très

Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits,

Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.

Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,

En passant il tirait la langue, les deux poings

À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.

Une porte s'ouvrait sur le soir : à la lampe

On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,

Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été

Surtout, vaincu, stupide, il était entêté

À se renfermer dans la fraîcheur des latrines :

Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.

Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet

Derrière la maison, en hiver, s'illunait,

Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne

Et pour des visions écrasant son œil darne,

Il écoutait grouiller les galeux espaliers.

Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers

Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue,

Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue

Sous des habits puant la foire et tout vieillots,

Conversaient avec la douceur des idiots !

Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,

Sa mère s'effrayait ; les tendresses, profondes,

De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.

C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment !

À sept ans, il faisait des romans, sur la vie

Du grand désert, où luit la Liberté ravie,

Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait

De journaux illustrés où, rouge, il regardait

Des Espagnoles rire et des Italiennes.

Quand venait, l'œil brun, folle, en robes d'indiennes,

À Huit ans, - la fille des ouvriers d'à côté,

La petite brutale, et qu'elle avait sauté,

Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,

Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,

Car elle ne portait jamais de pantalons ;

- Et, par elle meurtri des poings et des talons,

Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.

Il craignait les blafards dimanches de décembre,

Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,

Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ;

Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.

Il n'aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu'au soir fauve,

Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg

Où les crieurs, en trois roulements de tambour,

Font autour des édits rire et gronder les foules.

- Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles

Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,

Font leur remuement calme et prennent leur essor !

Et comme il savourait surtout les sombres choses,

Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,

Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,

Il lisait son roman sans cesse médité,

Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,

De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,

Vertige, écroulements, déroutes et pitié !

- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,

En bas, - seul, et couché sur des pièces de toile

Écrue, et pressentant violemment la voile !

26 mai 1871

« Les poètes de sept ans » font partie d'une lettre qu'Arthur Rimbaud écrit à Paul Demeny le 10 juin 1871, le poème étant lui-même daté du 26 mai 1871. Dans cette lettre, le jeune Arthur prie Demeny - poète à Douai qui publie à Paris - « de brûler tous les vers qu['il] fu[t] assez sot pour [lui] donner » précédemment. Il semblerait que Rimbaud, par la présente lettre, en reniant ses anciens écrits, fasse place à une nouvelle poésie, à un style différent, qui se manifesterait dans « Les poètes de sept ans. » Cette remise en question est à rattacher au contexte politique du moment : après la guerre contre la Prusse, la Commune de Paris s'organise, pour reprendre l'Alsace-Lorraine et défendre les intérêts nationaux, battus en brèche par la capitulation et le nouveau régime bourgeois de Thiers. Arthur Rimbaud se rend à Paris (la légende veut qu'il ait participé à la Commune, en rédigeant des articles de journalisme). Mais ce qui est plus remarquable encore, c'est de comprendre comment s'articule révolution intérieure

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