Oeuvres-monde au XIXème siècle.

Christophe Pradeau, dans un article intitulé "Le décloisonnement du monde" (Romantisme, 2007) se pose les questions suivantes : "Est-il légitime de voir dans les cycles romanesques une mise en forme, une pensée en acte du décloisonnement du monde ? La floraison d’œuvres-mondes doit-elle se comprendre comme une façon pour le XIXe siècle de penser les mutations économiques et sociales, perceptives et cognitives, induites par le passage en régime mondial des activités humaines ?" A partir de vos lectures d’œuvres-monde, vous répondrez à ces propositions.

L'idée d’œuvre totale a particulièrement marqué le XIX ème siècle, ce qui est à l'origine de l'apparition de nombreux cycles romanesques comme ceux de Balzac par La Comédie humaine, Jules Verne dans les Voyages extraordinaires ou Zola par Les Rougon-Macquart. Si ce siècle a connu une telle floraison d’œuvres-monde, d’œuvres qui tentent de rivaliser avec le monde, il est nécessaire de s'interroger sur la question de la mise en forme du monde dans ces cycles romanesques. Il est aussi approprié de s'interroger sur le lien qu'il peut exister entre « les mutations économiques et sociales, perceptives et cognitives induites par le passage en régime mondial des activités humaines », selon l'expression de Christophe Pradeau dans l'article « Le décloisonnement du monde », et la représentation du monde dans ces œuvres. Pour cela, nous examinerons dans un premier temps de quelle manière les phénomènes historiques ont participé à l'élaboration des projets d’œuvre totale et, dans un second temps, comment la littérature romanesque a mis en forme la perception du monde du XIX ème siècle.

La volonté d'écrire une œuvre totalisante a été présente à plusieurs époques de la littérature. Ainsi le Moyen-Age a connu le cycle du Graal, le XVIII ème siècle et l'époque des Lumières ont construit l'Encyclopédie dans le but de recenser la totalité des connaissances de l'époque, enfin le XX ème siècle a vu la popularité du roman fleuve, œuvre totale qui peut prendre en compte la vie entière d'un personnage. Cependant le XIX ème siècle a engendré de nombreuses entreprises de construction d’œuvres-monde, par de nombreux auteurs et sous des formes diverses comme le cycle de romans, le recueil de poésie ou le roman-feuilleton.

L'apparition des cycles romanesques prenant le monde en tant que sujet principal peut être expliquée par des phénomènes historiques, éditoriaux ou scientifiques propres à ce siècle.

L’œuvre qui cherche à décrire l'histoire d'une époque, voire de l'époque correspondant à l'époque de son écriture, ne peut être qu'influencée par le contexte historique dans lequel vit son auteur. L'auteur prend donc parfois le rôle de l'historien afin d'expliquer dans son œuvre les événements qu'il décrit, c'est le cas de Balzac qui accorde une place importante à l'histoire dans les romans de La Comédie Humaine en décrivant toutes les classes sociales de la société de la Révolution, de l'Empire, de la Restauration et de la Monarchie de Juillet dans un souci d'inventaire du monde. L'auteur prend à la fois le rôle d'historien mais aussi le rôle du journaliste reporter dans le but de décrire de la façon la plus précise possible les différents milieux sociaux que le lecteur rencontre dans l’œuvre, à la manière de Zola, connu pour les enquêtes qu'il mène, étant allé jusqu'à se rendre dans les mines avant d'écrire Germinal. L’œuvre monde est donc liée à l'entreprise réaliste, inscrite dans une époque pour laquelle la référence au monde dans un roman est essentielle, ce qui fait la différence entre les cycles romanesques du XIX ème siècle et les romans médiévaux pour lesquels la référence à la littérature construisait l’œuvre, ainsi que c'est le cas pour les romans antiques comme Le Roman d'Enéas basé sur la réécriture de l'Enéide d'Homère. C'est en effet la volonté de réalisme qui a permis de construire des œuvres imitant la complexité du monde par une série fragmentaire de romans se rassemblant dans une même entité romanesque qui par son caractère vaste donne l'impression d'englober toute une société. C'est l'objectif que les auteurs de cycles romanesques Balzac et Zola expriment par le moyen de préfaces ou, dans le cas d'Emile Zola qui exprime par l'intermédiaire du personnage de Sandoz dans L’œuvre qui a le rêve de composer des romans contenant « la vie totale, la vie universelle ».

L'écriture romanesque et l'écriture journalistique s'affrontent pourtant dans cette période et cette rivalité est à l'origine d’œuvres qui reprennent à la fois les caractéristiques du roman et les caractéristiques du journal. C'est le cas du roman-feuilleton, dont le premier est La vieille fille de Balzac qui emprunte à l'écriture journalistique la possibilité d'écrire au jour le jour. L'écriture du roman-feuilleton est influencée par la pression du lectorat qui influence l'écriture quand la rédaction du roman est presque contemporaine à la publication, de la façon dont Eugène Sue a rédigé une partie des Mystère de Paris.

De plus, l'écriture des romans est souvent influencée par la demande éditoriale. Ainsi le roman des Mystères de Paris a été influencé par une décision extérieure à l'auteur, celle de l'éditeur de prendre pour sujet la société des bas-fonds parisiens de la même manière que ceux de Londres avaient été décrits dans un romans.

D'une manière similaire, l’œuvre des Voyages extraordinaires de Jules Verne, si elle ne s'inscrit pas toujours dans une démarche réaliste, est en premier lieu une œuvre-monde commerciale dont l'écriture est contrainte par son lectorat et son support. Le support du journal pour enfant Le Magasin d'éducation et de récréation. Dans la continuité de l'objectif de ce journal, les œuvres de Verne ont donc pour double finalité d'éduquer et de récréer. Verne a pratiquement inventé une forme d'écriture pédagogique et didactique, ainsi dans le roman Le tour du monde en 80 jours, les descriptions d'événements historiques, des paysages des pays dans lequel se passe l'intrigue ou des descriptions architecturales, techniques, animales ou humaines sont constamment entrelacées au récit dans le but de transmettre à l'enfant une connaissance du monde de son époque.

On peut donc voir que tant les phénomènes historiques, qui servent de cadre à l'intrique des romans de La Comédie Humaine,

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