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Le mère Aux Montres

Mémoire : Le mère Aux Montres. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  7 Mai 2014  •  1 773 Mots (8 Pages)  •  737 Vues

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LA MÈRE AUX MONSTRES

Guy de MAUPASSANT

Je me suis rappelé cette horrible histoire et cette horrible femme en voyant passer l'autre jour, sur une plage aimée des riches, une Parisienne connue, jeune, élégante, charmante, adorée et respectée de tous.

Mon histoire date de loin déjà, mais on n'oublie point ces choses.

J'avais été invité par un ami à demeurer quelque temps chez lui dans une petite ville de province. Pour me faire les honneurs du pays, il me promena de tous les côtés, me fit voir les paysages vantés, les châteaux, les industries, les ruines ; il me montra les monuments, les églises, les vieilles portes sculptées, des arbres de taille énorme ou de forme étrange, le chêne de saint André et l'if de Roqueboise.

Quand j'eus examiné avec des exclamations d'enthousiasme bienveillant toutes les curiosités de la contrée, mon ami me déclara avec une visage navré qu'il n'y avait plus rien à visiter. Je respirai. J'allais donc pouvoir me reposer un peu, à l'ombre des arbres. Mais tout à coup il poussa un cri :

« Ah, si ! Nous avons la mère aux monstres, il faut que je te la fasse connaître. »

Je demandai : « Qui ça ? La mère aux monstres ? »

Il reprit :

« C'est une femme abominable, un vrai démon, un être qui met au jour chaque année, volontai-rement, des enfants difformes, hideux, effrayants, des monstres enfin, et qui les vend aux montreurs de phénomènes. Ces affreux industriels viennent s'informer de temps en temps si elle a produit quelque avorton nouveau, et, quand le sujet leur plaît, ils l'enlèvent en payant une rente à la mère.

Elle a onze rejetons de cette nature. Elle est riche.

Tu crois que je plaisante, que j'invente, que j'exagère. Non, mon ami. Je ne te raconte que la vérité, l'exacte vérité.

Allons voir cette femme. Je te dirai ensuite comment elle est devenue une fabrique de monstres. »

Il m'emmena dans la banlieue.

Elle habitait une jolie petite maison sur le bord de la route. C'était gentil et bien entretenu. Le jardin plein de fleurs sentait bon. On eût dit la demeure d'un notaire retiré des affaires.

Une bonne nous fit entrer dans une sorte de petit salon campagnard, et la misérable parut.

Elle avait quarante ans environ. C'était une grande personne aux traits durs, mais bien faite, vigoureuse et saine, le vrai type de la paysanne robuste, demi-brute et demi-femme.

Elle savait la réprobation qui la frappait et ne semblait recevoir les gens qu'avec une humilité haineuse.

Elle demanda :

« Qu'est-ce que désirent ces messieurs ? »

Mon ami reprit :

« On m'a dit que votre dernier enfant était fait comme tout le monde, qu'il ne ressemblait nullement à ses frères. J'ai voulu m'en assurer. Est-ce vrai ? »

Elle jeta sur nous un regard sournois et furieux et répondit :

« Oh non ! Oh non ! mon pauv'e monsieur. Il est p't'être encore pus laid que l'sautes. J'ai pas de chance, pas de chance. Tous comme ça, mon brave monsieur, tous comme ça, c'est une désolation, ça s'peut-i que l'bon Dieu soit dur ainsi à une pauv'e femme toute seule au monde, ça s'peut-i ? »

Elle parlait vite, les yeux baissés, d'un air hypocrite, pareille à une bête féroce qui a peur. Elle adoucissait le ton âpre de sa voix, et on s'étonnait que ces paroles larmoyantes et filées en fausset sortissent de ce grand corps osseux, trop fort, aux angles grossiers, qui semblait fait pour les gestes véhéments et pour hurler à la façon des loups.

Mon ami demanda :

« Nous voudrions voir votre petit. »

Elle me parut rougir. Peut-être me suis-je trompé ? Après quelques instants de silence, elle prononça d'une voix plus haute :

« À quoi qu' ça vous servirait ? »

Et elle avait relevé la tête, nous dévisageant par coups d'oeil brusques avec du feu dans le regard.

Mon compagnon reprit :

« Pourquoi ne voulez-vous pas nous le faire voir ? Il y a bien des gens à qui vous le montrez. Vous savez de qui je parle ! »

Elle eut un sursaut, et lâchant sa voix, lâchant sa colère, elle cria :

« C'est pour ça qu' vous êtes venus, dites ? Pour m'insulter, quoi ? Parce que mes enfants sont comme des bêtes, dites ? Vous ne le verrez pas, non, non, vous ne le verrez pas ; allez-vous-en, allez-vous-en. J' sais t'i c' que vous avez tous à m'agoniser comme ça ?»

Elle marchait vers nous, les mains sur les hanches. Au son brutal de sa voix, une sorte de gémissement ou plutôt un miaulement, un cri lamentable d'idiot partit de la pièce voisine. J'en frissonnai jusqu'aux moelles. Nous reculions devant elle.

Mon ami prononça d'un ton sévère :

« Prenez garde, la Diable (on l'appelait la Diable dans le peuple), prenez garde, un jour ou l'autre ça vous portera malheur. »

Elle se mit à trembler de fureur, agitant ses poings, bouleversée, hurlant :

« Allez-vous-en ! Quoi donc qui me portera malheur ? Allez-vous-en ! tas de mécréants ! »

Elle allait nous sauter au visage. Nous nous sommes enfuis le coeur crispé. Quand nous fûmes devant la porte, mon ami me demanda :

« Eh bien ! Tu l'as vue ? Qu'en dis-tu ? »

Je répondis :

...

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