Le jour d'avant plaidoyer

Bonjour Mesdames et Messieurs les jurés,

Nous sommes Aline Albert et Solène Pirotte représentantes de Monsieur Flavent, accusé de tentative de meurtre sur Monsieur Dravelle et d’homicide involontaire sur Joseph Flavent, son frère ainé surnommé Jojo.

Après lecture des chefs d’accusation envers Monsieur Flavent et analyse des faits, nous plaidons coupable pour la tentative de meurtre mais non-coupable pour l’homicide involontaire sur Joseph Flavent.

Dans la nuit du 26 décembre 1974, l’innocence d’un enfant s’est transformée en fardeau d’adulte. Après avoir bu quelques verres avec les copains de la mine, Michel et Jojo sont partis se balader en mobylette. Un fragment de seconde et c’est le drame ! Déconcentré par son frère, Michel lâche le guidon et la mobylette heurte le mur de la mine. Certes, Michel conduisait et a perdu le contrôle. Mais qui était l’adulte responsable ? Qui a fait boire Michel ? Qui a tenté de le chatouiller ? Qui a provoqué cet accident ? Mesdames et Messieurs les jurés, la réponse est Joseph Flavent et non Michel. Jojo a prononcé ses derniers mots avant de succomber à ses blessures 26 jours plus tard. « La mine va tous nous tuer ! » Mais dans quel état d’esprit était donc Jojo ? 12 heures de travail pénible, dans le noir, dans la chaleur, dans la poussière, dans la douleur, dans la peur des coups de grisou et le tout pour à peine quelques sous. Combien de temps un homme peut-il endurer ce calvaire ? Combien de temps un homme peut-il endosser ce rôle avant de craquer ? Vous est-il envisageable que Jojo ait voulu en finir, en victime de la mine ?

Vous allez nous demander pourquoi emmener son frère mais l’évidence est là, il a voulu le protéger et l’empêcher de lui aussi devenir une victime de la mine.

En une nuit, la vie d’un jeune homme calme, sociable, entouré d’une famille aimante bascule. Il se retrouve seul sans son modèle, sans son pilier, sans son élément stabilisateur. Alors, il se sent perdu, abandonné, en détresse et personne ne vient en aide à cet adolescent de 16 ans. Cet homme, innocent, est resté opprimé par les regrets et une sensation de culpabilité pour un acte dont il n’est aucunement responsable. Notre client a besoin d’un soutien psychologique et de liberté. Comment pouvez-vous souhaiter emprisonner un homme chaste qui est déjà emprisonné depuis 43 ans par des remords invalidés? Nous vous le demandons Mesdames et Messieurs les jurés !

Coupable, meurtrier, assassin, meurtrier, coupable, assassin, coupable… Qui pourrait supporter cette petite voix interne pendant des années ? Qui pourrait supporter d’être l’assassin de son frère aimé et aimant ? Personne, pas même un homme endurci par la vie. Certes, Michel a menti à la cour et sous serment mais pouvons-nous considérer cela comme un mensonge si inconsciemment il était persuadé de dire la vérité. Scientifiquement, ce comportement est le déni, une défense psychologique que s’est créé Michel. L’idée d’avoir pu tuer Jojo lui était insoutenable alors, inconsciemment, il a modifié les faits et a été jusqu’à réécrire la lettre de son père. « J’avais deux fils. L’un a tué l’autre. J’ai choisi de ne plus vivre.» Ce sont les mots d’un père qui accuse son fils. Accablé par ces inculpations et la perte de son père, Michel a eu besoin d’un bouc-émissaire pour survivre. Qui de mieux que la mine qui lui a tout pris, qui lui a arraché tout ceux qu’il aimait ? Le courrier de son père s’est transformé en « Venge-nous de la mine ». Cette phrase a donné un sens à sa vie, une raison de continuer à vivre et plus les années sont passées, plus Michel s’est enfermé dans le déni.

Ambitieux, Michel est parti à Paris, l’opportunité d’un nouveau départ, d’une nouvelle vie loin de ses démons et de la mine. Il y a trouvé un emploi chez un garagiste, Monsieur Delgove, qui n’a eu que des éloges à son égard. Il l’a décrit comme un homme assidu, appliqué, consciencieux, fiable et digne de confiance. Cette profession était le domaine de prédilection de Jojo et non de Michel mais celui-ci a choisi de faire vivre son frère à travers ses propres choix. Il y a aussi rencontré Cécile, la femme qu’il a aimé jusqu’à la fin, dans le meilleur et dans le pire mais l’injustice de la vie n’a pas semblé vouloir le lâcher ; Cécile est tombée malade début 2014. Intentionné et aimant, Michel est resté à son chevet jusqu’à son dernier souffle. Pour la troisième fois, la vie lui prenait un être qu’il aimait profondément. Les souvenirs de son frère et de sa mort revinrent en lui le terrant dans une spirale infernale de douleurs et de peines. Plus rien ne le retenait à Paris et il repartit vers Liévin afin de se retrouver. Quelle réaction aurait-il dû avoir face à Monsieur Dravelle, le meurtrier de 42 personnes, qui n’a jamais été condamné

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