LaDissertation.com - Dissertations, fiches de lectures, exemples du BAC
Recherche

Le Songe d'un habitant du Mogol (Fables, XI, IV)

Commentaire de texte : Le Songe d'un habitant du Mogol (Fables, XI, IV). Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  18 Mars 2013  •  Commentaire de texte  •  3 020 Mots (13 Pages)  •  3 589 Vues

Page 1 sur 13

Commentaire de texte : Le Songe d’un habitant du Mogol (Fables, XI, IV)

Les enjeux du texte

Le Songe d’un Habitant du Mogol est l’une des quelques fables dont la moralité prend la forme d’une méditation personnelle longue de plusieurs dizaines de vers : petit poème à part entière où La Fontaine, sur le ton de la confidence lyrique, fait l’éloge de la retraite en célébrant la douceur d’une vie consacrée à la rêverie et à la poésie. Au XVIIe siècle, le terme de retraite désignait aussi bien le mouvement d’abandon du monde, de fuite de soucis et de contraintes de la vie en société, que le lieu écarté où l’on cultivait cette solitude en méditant, et, le plus souvent, en priant. L’extrême beauté de cet éloge a souvent conduit à détacher le passage du récit qui donne son titre à la fable : entre les deux parties du texte existent pourtant des liens complexes et subtils, susceptibles d’aider le lecteur à mieux comprendre l’idéal de vie rêvé par le poète.

I- Du récit à la méditation lyrique

Un apologue en forme de paradoxe.

Avant de commenter l’éloge de la solitude que La Fontaine entreprend dans la seconde partie de la fable, il est indispensable de s’intéresser au récit qui en est le prétexte (v. 1-17). Cette petite histoire est plus complexe qu’il n’y paraît : elle est construite sur deux niveaux de récit, et sa signification repose sur quelques sous-entendus qu’il importe de bien comprendre. Au premier niveau de narration, deux personnages : un dormeur qui donne son titre à la fable (« certain Mogol », v. 1) et un songe capable d’interpréter les songes du premier (« L’interprète », v. 12). A l’intérieur de ce récit, une autre histoire, énigmatique (second niveau de narration) : le songe lui-même (v. 1-6), qui donne à voir un Ermite aux Enfers (« entouré de feux, v. 5) et un Vizir aux « champs Elysiens » (v. 2), autrement dit au Paradis. Pourquoi ce songe est-il paradoxal (« étrange, et contre l’ordinaire », v. 7) ? En toute logique, l’Ermite aurait dû gagner le Paradis, s’étant retiré du monde pour prier, alors que le vizir, sans doute moralement corrompu par la vie à la cour et l’exercice du pouvoir, semblait a priori voué aux flammes infernales… Or c’est l’inverse qui apparaît au dormeur d’où son étonnement (v. 9) : le juge des Enfers (« Minos », v.8) aurait-il commis une erreur ? Le réveil du Mogol surpris marque un retour au premier niveau de narration (v. 9-15).

La clé du songe.

Pour découvrir le « sens » caché (v. 13) de cette vision mystérieuse, il faut recourir à l’interprète. Celui-ci complète le songe sur deux points importants (retour au second niveau de narration, v. 15-17) : le Vizir a su parfois s’abstraire de la cour pour chercher la solitude (v. 16) ; il a gardé ses distances avec les charmes trompeurs du monde et fait preuve d’une sagesse salutaire. L’Ermite, au contraire, se faisait volontiers courtisan (v. 17) : malgré les apparences, il n’a pas su se détacher de ses désirs (l’ambition, la vanité ?) pour se consacrer tout entier à la prière ; pire, il a dissimulé ces désirs sous le masque de la dévotion – conduite hypocrite qui lui vaut un châtiment éternel. Au terme du récit, le paradoxe est résolu : le sage n’était pas celui que l’on croyait. Comme La Fontaine l’écrit un peu plus loin dans ce même livre XI, « Il ne faut point juger les gens sur l’apparence » (Le Paysan du Danube).

Un récit seulement esquissé ?

Ce petit récit, malgré la séduction de sa couleur orientale et le charme qu’il tire du va-et-vient entre songe et « réalité », diffère sur bien des points de la manière habituelle de La Fontaine. On remarque d’abord qu’aucun des personnages n’est réellement caractérisé, évoqué à l’aide de petits détails pittoresques : le dormeur n’existe guère que par le songe étrange qui nous est rapporté ; l’interprète, bien que ses paroles soient transcrites au discours direct, n’a d’autre fonction que de révéler le sens de la vision du Mogol. Le plus étrange est que le fabuliste n’ait pas précisé d’avantage le caractère des deux personnages du récit intérieur : de l’Ermite hypocrite abandonnant la solitude et la prière pour faire sa cour, il aurait pu tirer une satire comparable au cruel portrait du Rat qui s’est retiré du monde (VIII,3) ; le vizir aurait pu prendre les traits d’un personnage attendrissant, désabusé de la vanité des intrigues de cour, comme le berger dans Le Berger et la roi. Ce n’est pas le cas : La Fontaine semble ne s’intéresser qu’à la valeur symbolique du récit : pour lui, le songe est « un avis des Dieux » v. 15) surtout parce-qu’il invite à rechercher la solitude ; c’est la seule leçon qu’il retient dans sa moralité, en l’étendant à des proportions considérables.

On voit comment La Fontaine a orienté sa fable dans une direction précise, alors que le récit qu’il emprunte aux conteurs de l’Orient (en l’occurrence le poète persan Saadi) offrait d’autres voies possibles. Il faut maintenant étudier les caractéristiques propres de l’éloge de la solitude, sans perdre de vue pour autant ses liens avec le récit.

II- Lyrisme, harmonie et douceur

L’art de la transition.

Le long commentaire se différencie d’abord du récit du point de vue de la métrique. Les vers 1-17 mêlent quelques octosyllabes à des alexandrins, ce qui leur donne un rythme varié ; variété renforcée par le jeu des rimes : rimes plates (v. 1-6), rimes embrassées (v. 7-10), rimes croisées (v. 14-17). L’éloge de la solitude se présente au contraire comme un discours sérieux entièrement composé en alexandrins à rimes plates (à une exception près : le vers 22 qui rime avec les vers 18-19, ce que l’on nomme une rime redoublée ; il y en a une également dans le récit, au v. 11 qui rime avec les v. 7-9). Ce passage à une forme beaucoup plus régulière indique immédiatement au lecteur que ce qui fait suite au récit est d’une nature plus grave et plus profonde. Autre élément de rupture : le passage d’une narration impersonnelle à un discours sur le ton de la confidence, qui recourt avec une fréquence inhabituelle dans les Fables au pronom « Je » (impossible ici dans faire le relevé : en 22 vers, 16 tournures renvoient à la première personne). La Fontaine semble presque s’excuser de cet épanchement, et souligne en tout cas le changement de nature

...

Télécharger au format  txt (18.1 Kb)   pdf (168.7 Kb)   docx (15.4 Kb)  
Voir 12 pages de plus »
Uniquement disponible sur LaDissertation.com