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Lautréamont : Le Surréalisme

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Par   •  16 Avril 2013  •  3 446 Mots (14 Pages)  •  679 Vues

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Texte tiré de la revue littéraire mensuelle

europe

64e Année – n° 700-701 août-septembre 1987

LAUTRÉAMONT

ET LES SURRÉALISTES

par Gabriel-Aldo Bertozzi

Le binôme Lautréamont/Surréalisme n’est que trop évident désormais. Et il peut même arriver que des personnes peu averties situent le poète dans le groupe de Breton, sans se soucier aucunement des registres de l’état civil. Les spécialistes du Surréalisme en général, comme en témoignent leurs livres, études ou anthologies, lui consacrent de nombreuses pages et le placent parmi les grands précurseurs, confondant souvent le paradis et les limbes. Il est même, par excellence, le plus grand ou, en tout cas, le moins contesté d'entre eux. D’où l'erreur du lecteur non initié qui s'est contenté de feuilleter son livre. Mais – tout paradoxe mis à part – pouvons-nous vraiment affirmer que Lautréamont est le plus grand devancier du Surréalisme? Son nom est souvent cité en même temps que celui de Sade, autre divinité nobiliaire, et entre comtes et marquis, le pauvre Rimbaud, coupable d'avoir permis certaines interprétations dangereuses pour l'orthodoxie du mouvement, ne peut que passer au second plan. La poiësis cependant est tout autre chose. La sensibilité moderne, dont le Surréalisme n’est qu’une expression, considère dans sa lente révolution que Lautréamont est plus proche de Rimbaud que ne l’est Sade, quoique les rapprochements avec ce dernier soient plus aisés. Les deux premiers demeurent en effet des poètes exemples pour les auteurs d'aujourd’hui et c'est en tant que tels qu’on continue à les suivre; le Divin Marquis n’est, quant à lui, qu’objet d'admiration auprès d’un groupe assez restreint d'intellectuels. Ceux-là ont ouvert d'innombrables voies nouvelles à la poésie; celui-ci, plutôt monotone en ce qui concerne son imagination assez limitée (pour ceux qui se rangent de son côté), reste – élucubrations mises à part – simplement un champion, contre ce côté de la morale qui, avec le temps, s’était dégradé. Plutôt que de parler d’une découverte des surréalistes, il vaudrait mieux dire que le temps était venu pour faire une lecture plus avancée de Lautréamont; ce qui ne leur ôte rien quant au choix et à la divulgation. Cette précision est plus qu'une nuance. Que l’on pense à Walter Benjamin qui dans ses écrits sur l'avant-garde milite en faveur de Lautréamont et rejette pourtant Philippe Soupault qui, de tous les surréalistes, en fut l’un des interprètes les plus actifs. On ne pourrait que dire la même chose si au lieu de «redécouverte» on parlait de «précurseurs». Lautréamont n’annonce pas le Surréalisme, il annonce le 20e siècle. Certaines étiquettes se décolorent; on ne peut garder celle de «poète maudit» que si on l'entend dans le plus pur sens verlainien qui signifie «poète absolu» et de plus pas du tout (ou pas assez) connu, compris par la société. De nos jours, le second terme n’aurait plus lieu d’être car Lautréamont est désormais «assez glorieux», mais à l’époque des surréalistes son nom n’avait pas encore triomphé. Il n’avait pas été inclus par Verlaine dans son anthologie et ils réparèrent donc l’oubli. Nous pensons que Breton avait songé à Verlaine en préparant l’Anthologie de l’humour noir dont le thème était plus intensifié, plus exemplifié quand cela était possible, que défini. Une œuvre comme la première édition des Poètes maudits avec Corbière, Rimbaud, Mallarmé ne pouvait être conçue de nouveau, vu le très haut degré de concentration qu’elle présentait; le fondateur du Surréalisme y renonça en faveur d’un panorama plus vaste et plus complet. Ce n’est pas un travail qui appartient aux années héroïques du mouvement, mais il correspond aux intentions de systématisation de son «historien». Isidore Ducasse y est donc inséré avec force titres comme poète absolu, c’est-à-dire comme poète total. Breton parle à propos des Chants de Maldoror et des Poésies de «révélation totale»; de la «manière la plus totale» de son humour.

Les textes de Lautréamont choisis pour l’anthologie sont la strophe 2, en entier, du Chant IV («Deux piliers, qu’il n’était pas difficile et encore moins possible de prendre pour des baobabs...») et la strophe 2, également en entier, du Chant VI («Avant d’entrer en matière, je trouve stupide qu’il soit nécessaire...») ; la «Lettre» [A Monsieur Darasse] du 22 mai 1869. La présentation de Breton ne se limite pas à ces textes; il réalise, en effet, pour chaque auteur choisi, un véritable «médaillon» composé de trois parties qui se distinguent plus par leur architecture interne que par les paragraphes («à la ligne») ou les sujets traités. Du «lyrisme» de la première partie on passe à l’exposition critique et théorique de la seconde pour aboutir à une définition-conclusion qui est aussi un mot d’ordre (selon l’habitude de Breton). Les références aux composantes «surréalistes» de l’œuvre de Ducasse abondent. Remarquons qu’il place la figure éblouissante de lumière noire du comte de Lautréamont dans une «atmosphère extra-littéraire». Parmi ces composantes, il en identifie deux en particulier et ce sont – quel hasard! – précisément les composantes, voire les structures portantes, du Surréalisme: le langage automatique et l’humour noir. Le premier fut même pour Breton capable à lui seul de concrétiser le mouvement dans son ensemble, sa seule définition possible. Breton pense que Ducasse, ainsi que Rimbaud, avait adopté ce procédé que lui-même codifiera. On peut lire dans l’anthologie:

l’inspiration poétique, chez Lautréamont, se donne pour le produit de la rupture entre le bon sens et l’imagination, rupture consommée le plus souvent en faveur de cette dernière et obtenue d’une accélération volontaire, vertigineuse du débit verbal (Lautréamont parle du « développement extrêmement rapide » de ses phrases. On sait que de la systématisation de ce moyen d’expression part le surréalisme).

Passons à l’humour noir. Dans la préface de toute l’anthologie («Paratonnerre»), Breton affirme qu’il est très difficile de le définir parce qu’il est impossible de bien l’appréhender; nous savons toutefois qu’il s’agit avant tout d’un mécanisme de subversion intellectuelle, comme nous le révèlent les lignes consacrées à Lautréamont :

surenchère sur l’évidence, appel à la cohue des comparaisons les plus hardies, torpillage du

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