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La Vie D'apres Montaigne

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Par   •  10 Février 2013  •  1 561 Mots (7 Pages)  •  787 Vues

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J'ai un dictionnaire tout à part moi : je passe le temps, quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le veux pas passer, je le retâte, je m'y tiens. Il faut courir le mauvais et se rasseoir au bon. Cette phrase ordinaire de passe-temps et de passer le temps représente l'usage de ces prudentes gens, qui ne pensent point avoir meilleur compte de leur vie que de la couler et échapper, de la passer, gauchir, et, autant qu'il est en eux, ignorer et fuir, comme chose de qualité ennuyeuse et dédaignable. Mais je la connais autre, et la trouve, et prisable, et commode, voire en son dernier decours, où je la tiens; et nous la nature mise en mains, garnie de telles circonstances, et si favorable que nous n'avons à nous plaindre qu'à nous si elle nous presse et si elle nous échappe inutilement. "La vie de l'insensé est sans joie, elle est agitée, elle se porte toute entière dans l'avenir." Je me compose pourtant à la perdre sans regrets, mais comme perdable de sa condition, non comme moleste et importune. Aussi ne sied-il proprement bien de ne déplaire à mourir qu'à ceux qui se plaisent à vivre. Il y a du ménage à la jouir; je la jouis au double des autres, car la mesure en la jouissance dépend du plus ou moins d'application que nous y prêtons. Principalement à cette heure que j'aperçois la mienne si brève en temps, je la veux étendre en poids; je veux arrêter la promptitude de sa fuite par la promptitude de ma saisie, et par la vigueur de l'usage compenser la rapidité de son écoulement; à mesure que la possession de vivre est plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine.

(...)

Ce sont gens qui passent vraiment leur temps; ils outrepassent le présent et ce qu'ils possèdent, pour servir à l'espérance et pour des ombrages et vaines images que la fantaisie leur met devant,

Semblables à ces fantômes qui voltigent, dit-on, après la mort

Ou à ces songes qui trompent nos sens endormis,

Lesquelles hâtent et allongent leur fuite à même qu'on les suit. Le fruit et but de leur poursuite, c'est poursuivre, comme Alexandre disait que la fin de son travail, c'était travailler,

Croyant n'avoir rien fait tant que quelque chose restait à faire.

Pour moi donc, j'aime la vie et la cultive telle qu'il a plu à Dieu de nous l'octroyer. Je ne vais pas désirant que soit supprimée la nécessité de boire et de manger, et me semblerait faillir non moins excusablement de désirer qu'elle l'eût double (" Le sage recherche avec beaucoup d'avidité les richesses naturelles"), ni que nous nous sustentissions mettant seulement en la bouche un peu de cette drogue par laquelle Epiménide se privait d'appétit et se maintenait ni qu'on produisît stupidement des enfants par les doigts ou les talons, mais, parlant en révérence, plutôt qu'on les produise encore voluptueusement par les doigts et par les talons, ni que le corps fût sans désir et sans chatouillement. Ce sont plaintes ingrates et iniques. J'accepte de bon cœur et reconnaissant ce que nature a fait pour moi, et m'en agrée et m'en loue. On fait du tort à ce grand tout puissant donneur de refuser ce don, l'annuler et défigurer. Tout bon, il a fait tout bon. « Tout ce qui est selon la nature est digne d'estime.

Dans cet extrait, tiré du dernier chapitre des Essais (chapitre XIII du Livre III), Montaigne montre son adhésion pleine et entière à une morale de l'instant et du plaisir. Il défend en effet l'épicurisme qu'il présente comme une morale d'existence.

Montaigne et l'éloge de l'épicurisme : une morale de l'instant et du plaisir

Montaigne fait l'éloge de la vie, c'est pourquoi il souhaite en apprécier les moindres délices. Jouir ainsi de la vie lui laisse moins de regret face à la mort, qu'il accepte d'autant mieux comme finalité de la vie humaine.

En donnant un sens particulier à sa vie, en la vivant pleinement, Montaigne essaie de compenser sa vacuité : « Il me la faut rendre plus profonde et plus pleine. » C'est à dire l'enrichir par différentes expériences, notamment en distinguant ce qui est bon et ce qui ne l'est pas. La répétition du verbe « jouir » souligne la volonté de Montaigne de prendre en main sa vie, de s'y consacrer pleinement. Certes, il a conscience que sa vie est limitée dans le temps, mais contrairement aux autres il veut jouir de tous les plaisirs qu'elle offre. La métaphore du temps, considéré comme un

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