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La Littérature Au Quotidien. Poétiques Journalistiques Au XIXe Siècle

Lettre type : La Littérature Au Quotidien. Poétiques Journalistiques Au XIXe Siècle. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  26 Septembre 2013  •  Lettre type  •  1 896 Mots (8 Pages)  •  675 Vues

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Cet ouvrage est sans conteste de ceux à propos desquels il arrive qu'on se demande rétrospectivement comment on parvenait à s'en passer avant leur parution. En le dotant d'un outil de vulgarisation scientifique exigeant, fort de la légitimité d'une maison d'édition prestigieuse et rendu particulièrement lisible à travers le calibrage de la collection « Poétique », ce livre emblématise le tournant amorcé depuis une dizaine d'années dans les études littéraires, particulièrement sous l'impulsion de Marie-Ève Thérenty dont les recherches et les co-directions d'ouvrages collectifs avec Alain Vaillant ont donné lieu à de nombreuses publications et journées d'étude consacrées au vaste domaine d'investigation qui s'ouvrait autour d'une histoire et d'une poétique littéraires de la presse. Seul un travail de groupe semblait pouvoir rendre compte de la complexité et des nombreuses facettes du sujet, raison pour laquelle cette orientation de la recherche s'est employée à multiplier les rencontres et à croiser les points de vue.

2 Une poétique du médium journalistique est bien davantage qu'une question de bibliographie matérielle ou une description du support. Elle intègre plus globalement des considérations sur la constitution et l'évolution des systèmes d'écriture, leurs dynamiques génériques, leurs hybridations. Elle convoque conjointement la stylistique, la narratologie, la rhétorique et la pragmatique, les théories de l'énonciation et d'analyse du discours, l'histoire culturelle des pratiques de l'objet-livre et de l'objet-journal, ainsi que la sémiotique des représentations convoquant ces objets éminemment sociaux.

3 Le changement de paradigme dont se réclament ces travaux s'est opéré par extension et transposition des outils et méthodes d'étude du littéraire à un objet non seulement longtemps déconsidéré comme illégitime, mais surtout prisonnier d'une irréductible opposition à la littérature depuis les premiers moments de l'autonomisation du champ littéraire. Le déni des écrivains à l'égard du journalisme et l'idéologie sécrétée par ce procès d'autonomisation ont longtemps occulté les collusions manifestes de la littérature avec la presse. Travailler à rebours de ces discours et de ces représentations, c'est aussi aller à l'encontre de l'observation exclusive et essentialisante du littéraire, contre laquelle s'est également développée la sociologie de la littérature. Le regard sur l'objet a donc désormais changé, il reste à en prendre pleinement acte : la presse constitue, elle aussi, un vaste réservoir de micro-genres en constante évolution, un terrain très riche d'innovations stylistiques et un formidable laboratoire de postures auctoriales et de manières de se dire (non-)écrivain.

4 L'ouvrage justifie son approche en s'appuyant sur cet apparent paradoxe selon lequel la littérature en est venue à se définir par opposition aux pratiques journalistiques alors que c'est elle qui fournit initialement son matériau à la presse. Dès sa naissance, le journal puise dans la littérature. Au moment où n'existe aucun véritable protocole d'écriture du journal, le « grand » journaliste se définit par son style littéraire. Ce phénomène demande à être questionné après sa longue minimisation en raison de l'état actuel de la presse résultant d'une professionnalisation du métier, d'une régularisation des statuts et du formatage de codes loin d'être fixés au XIXe siècle.

5 Dans la mouvance du siècle se produisent les changements qui font que l'écrivain publiciste et échotier de 1830 cède progressivement la place au grand reporter à la fin du siècle. Le tournant de 1850-1860 est le témoin du passage d'entreprises monographiques et auctoriales (l'auteur fondant son journal et y contribuant presque en intégralité) à des réalisations collectives dans des rubriques de plus en plus hybrides et polyphoniques. Un intérêt majeur de cette étude centrée sur le quotidien parisien – support le plus généraliste et le plus génériquement créatif, dont la presse régionale assure régulièrement le démarquage – est de situer très précisément ces poétiques d'écriture en diachronie, dans la dynamique de leurs réélaborations successives. Une telle « chronologie stylistique du périodique » (p. 122) réintroduit le facteur temps dans l'évolution des formes et des esthétiques à partir de leur observation interne – on appréciera par exemple une « histoire de la rubrique » (pp. 80-82) – et non comme cadre rigide ou principe transcendant qui prédéterminerait d'emblée les genres d'écriture. C'est dire que cette étude est bien davantage qu'un panorama de l'évolution en trois phases bien connues : presse élitiste d'opinion, presse populaire, modèle informationnel à l'anglo-saxonne.

6 Examinant ces transactions esthétiques et ces forces de renouvellement de l'écriture, Thérenty opte pour une modélisation explicative sous la forme très schématique de deux matrices en interactions, offrant une combinatoire à haut potentiel heuristique : d'un côté, la presse et ses quatre principes fondamentaux (périodicité, collectivité, rubricage, actualité), de l'autre la littérature, avec ses deux types de traitement de l'information (fictionnalisation et ironisation) et deux modalités de mise en forme du discours (modèle conversationnel et écriture intime). Sont ainsi considérés des systèmes de médiation, de filtrage et de retraduction des discours sociaux, autrefois perçus comme antagonistes mais gagnant à être réévalués à la lumière l'un de l'autre. Thérenty n'ignore pas l'ambiguïté inhérente à cette approche : pourquoi persister à distinguer deux systèmes que l'ouvrage nous montre comme constitués dans la réciprocité et par imbrication mutuelle ? Le terme « matrice » doit en réalité s'entendre au sens le plus large, comme faisceau de caractéristiques éminemment reconfigurables selon la densité et la diversité des échanges au sein de ce vaste laboratoire des poétiques d'écriture. Évitant de surfaire quelques caractéristiques considérées tantôt comme des « règles » (p. 46), tantôt comme des « principes stables dans leur essence » (p. 47), l'ouvrage montre en quoi elles sont au contraire modulables et renégociables.

7 La matrice médiatique est particulièrement intrusive et expansive. L'écriture oblique et le système des rubriques permet aisément d'infléchir

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