La Blague Du Monde
Commentaire de texte : La Blague Du Monde. Recherche parmi 298 000+ dissertationsPar dissertation • 3 Novembre 2013 • Commentaire de texte • 1 045 Mots (5 Pages) • 709 Vues
fiancée une séance de dissection : ainsi procèdent les manuels scolaires qui présentent un fragment d’œuvre recouvert d’un
compliqué appareillage : notes, notules, astérisques, encadrés, flèches pointillées, renvois, rubriques, sous-notules. Un
morceau de littérature s’offre à nous comme le bœuf en effigie chez le boucher : gîte à la noix, macreuse, tendron, contre-filet,
second talon, bavette, flanchet, échine et jambonneau…Un morceau de texte est là comme un cadavre sur la page, ouvert et
prêt à être décortiqué…Juste à côté, la panoplie de scalpels : adjuvants séquentiels, dislocuteur-sujet, morphème vectorisant,
charmeur sensoriel, moteur de temporalisation, levier métaphorique, pinces carnatives, transvaseur potentiel, locutant,
brumisateur spatiotemporel, prélocuteur second, écarteur de doute, phonorisateur de e muet, vecteur de métachronie, agent
discursif, désagisseur vocalisant, excitant du circuit œil-corde vocale dans la lecture subvocalisée, mobilisateur oculaire du
nominateur par défaut, dénominateur causal, agent chronotrope.
205. Devant le cadavre – la page arrachée au livre et que l’on épingle, devenue un objet étale et fléché- livré aux
Sciences de la Communication, élèves et professeurs deviennent médecins légistes. Tout le monde est rassemblé et les
instruments sont prêts pour que s’ouvre une leçon de Littérature légale.
206. Seul le cadavre sera atteint…L’utilité d’une dissection est surtout de nous enseigner comme la vie nous échappe :
l’esprit du texte ne peut être touché par le scalpel…L’esprit du texte, c’est le souffle donné par toi, lecteur : l’action de ton
haleine qui soulève les mots, trouve le mouvement, l’émotion, rassemble les pages, les nage, redonne vie aux lettres mortes et
fait du livre un seul corps dansant. L’esprit du texte, son souffle, est une réalité matérielle invisible et très concrète, qui restera à
jamais hors d’atteinte des flèches pédagogiques. (…)
212. En ces temps de communication galopante, c’est à dessein que les manuels coupent le souffle. Otent l’esprit. Ils
veulent faire de chacun d’entre nous des écouteurs de signaux, des obéisseurs dociles, des exécuteurs à deux temps, des
parleurs monosyllabiques. De parfaits sujets dressés à acheter, rire et pleurer, s’indigner, s’enthousiasmer tous ensemble – où
il faut, quand il faut ; ils nous ôtent le souffle pour tenter de nous assujettir aux formules, slogans – et que nous devenions des
animaux bien dressés à exécuter, à brandir des mots creux : abrégés, comprimés, décharnés, compactés, formatés et vite dits,
des « mots surgelés » - et que nous devenions des télégraphes à saisir au plus vite et à instantanément transmettre les signaux
reçus ! C’est très-très sciemment que la chair très obscure et très impure du langage : son ombre, son sous-sol, sa mémoire,
ses méandres, son esprit spiral, ses volutes, sont partout interdits – et de partout chassés –, et qu’il faut désormais parler clair
en langue aseptique – et écrire en déjà traduit.
213. Au lieu qu’il faudrait descendre de plus en plus dans le langage, dans son corps profond, dans son labyrinthe, dans
sa caverne incandescente, dans son drame. Parce que, dans l’intériorité du langage,- dans la profondeur de son corps, dans
son passage inverse, dans son théâtre paradoxal, dans son carnaval de renversement –opèrent – en toi et devant toi –,
t’agissent, les forces qui régissent le monde matériel…Aussi les hommes ne devraient-ils plus dire : « Voyons le monde et par
le langage communiquons
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