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L Homme Revolte

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Par   •  31 Janvier 2013  •  5 790 Mots (24 Pages)  •  2 025 Vues

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L'homme révolté : Albert Camus

Le monde libertaire de février 1960

MM. Sartre, Bourdet, Roy, Daniel et quelques autres s'interrogent, inquiets, sur la révolte de Camus "qui malgré la lucidité des analyses débouche sur le vide, exaltant finalement la révolte individuelle aux dépens de toutes révolutions...". Rassurons vite ces "bonnes âmes" auxquelles les pages que nous publions ci-dessous ont certainement échappé.

Quant à savoir si une telle attitude (la défense de l'individu dans la révolution) trouve son expression politique dans le monde contemporain, il est facile d'évoquer, et ceci est un exemple, ce qu'on appelle traditionnellement le syndicalisme révolutionnaire. Ce syndicalisme même n'est-il pas inefficace ? La réponse est simple : c'est lui qui, en un siècle, a prodigieusement amélioré la condition ouvrière depuis la journée de seize heures jusqu'à la semaine de quarante heures. L'empire idéologique, lui, a fait revenir le socialisme en arrière et détruit la plupart des conquêtes du syndicalisme. C'est que le syndicalisme partait de la base concrète, la profession, qui est à l'ordre économique ce que la commune est à l'ordre politique, la cellule vivante sur laquelle l'organisme s'édifie tandis que la révolution césarienne part de la doctrine et y fait rentrer de force le réel. Le syndicalisme comme la commune est la négation, au profit du réel, du centralisme bureaucratique et abstrait. La révolution du XXèm" siècle au contraire prétend s'appuyer sur l'économie ; mais elle est d'abord une politique et une idéologie. Elle ne peut, par fonction, éviter la terreur et la violence faite au réel. Malgré ses prétentions, elle part de l'absolu pour modeler la réalité. La révolte inversement s'appuie sur le réel pour s'acheminer dans un combat perpétuel vers la vérité. La première tente de s'accomplir de haut en bas, la seconde de bas en haut. Loin d'être un romantisme, la révolte au contraire prend le parti du vrai réalisme. Si elle veut une révolution, elle la veut en faveur de la vie, non contre elle. C'est pourquoi elle s'appuie d'abord sur les réalités les plus concrètes, la profession, le village, où transparaissent l'être, le coeur vivant des choses et des hommes. La politique pour elle doit se soumettre à ces vérités. Pour finir, lorsqu'elle fait avancer l'histoire et soulage la douleur des hommes, elle le fait sans terreur, sinon sans violence et dans les conditions politiques les plus différentes.

Mais cet exemple va plus loin qu'il ne paraît. Le jour précisément où la révolution césarienne a triomphé de l'esprit syndicaliste et libertaire, la pensée révolutionnaire a perdu en elle-même un contrepoids dont elle ne peut, sans déchoir, se priver. Ce contrepoids, cet esprit qui mesure la vie, est celui-là même qui anime la longue tradition de ce qu'on peut appeler la pensée solaire et où, depuis les Grecs, la nature a toujours été équilibrée au devenir. L'histoire de la Première Internationale, où le socialisme allemand lutte sans arrêt contre la pensée libertaire des Français, des Espagnols et des Italiens, est l'histoire des luttes entre l'idéologie allemande et l'esprit méditerranéen.

Albert Camus ou les chemins difficiles

L'émotion s'apaise et la pensée n'a pas encore eu le temps de mesurer le vide que l'écrivain laisse derrière lui. Son image a quitté l'actualité pour se réfugier entre les pages des revues savantes qui pèsent les opinions, inventorient les styles, décident de l'immortalité.

Dans ce journal, qui fut parfois le reflet de ses pensées, il nous faut à notre tour essayer de dégager de son oeuvre quelques idées essentielles sur lesquelles la presse fut unanime à faire le silence.

La presse littéraire a surtout insisté sur l'artiste au langage robuste, à la phrase longue, sur le moraliste. La presse, les hebdomadaires de gauche se sont gravement interrogés sur la portée de son oeuvre philosophique. Les uns comme les autres ont insisté sur l'aspect solitaire de son message, car pour les uns comme pour les autres refuser de choisir entre les clans est faire oeuvre de solitaire. En réalité, si l'écrivain avait résolument refusé de se laisser agripper, il ne fût jamais isolé. Les milliers de lecteurs où se mêlait tout ce qui avait une fois pour toutes refusé la bestialité, lui firent un cortège singulièrement plus dense que les cohortes du "Flore" qu'il avait parait-il perdues.

Albert Camus avait choisi les chemins les plus difficiles en s'interdisant de séparer le comportement de l'homme de son action révolutionnaire. En touchant du doigt les iniquités, il devait dresser contre lui ceux qui abritent leur confort intellectuel à l'ombre des religions politiques au nom desquelles ces iniquités se perpétuent. Le premier, il avait dénoncé l'absurde de la condition de l'homme corseté dans une morale de circonstances, dans des lois, dans des coutumes tissées par des siècles et qui l'obligent à des démarches qui ne le concernent pas. Poussant la rectitude intellectuelle à sa limite logique, il devait traquer "l'absolutisme historique qui fait se lever la cohorte ricanante de ces petits rebelles, graines d'esclaves qui finissent par s'offrir aujourd'hui sur les marchés de l'Europe, à n'importe quelle servitude", ce qui lui avait attiré la hargne de ces socialistes en dentelles, véritables "Rastignac" de la politique, qui ne lui pardonnaient pas d'avoir refusé de porter le harnais.

Il était leur mauvaise conscience, l'image de ce qu'ils auraient pu être si leur appétit eût été moins exigeant. L'"Homme Révolté" d'abord, le Prix Nobel ensuite, sa disparition enfin, ont été les occasions qui permirent à ces personnages aux mains blanches, qui prétendent parler au nom du prolétariat, de déverser un peu de leur fiel.

Mais pour les ouvriers Albert Camus restera l'écrivain qui, le premier, s'est élevé contre l'oppression coloniale en Algérie. La "solution brésilienne", qui fut la sienne, fusion des races dans l'indépendance, et qui tenait compte de l'apport culturel, vint certes trop tard et, conscient de son impuissance à faire triompher "la mesure qui féconde la révolte" comme certains

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