L'importance de la scène du bal à la Vaubyessard

       Flaubert marque son roman de plusieurs grandes scènes qui développent un événement. En effet parmi ces scènes nous pouvons citer par exemple l'arrivée à l'auberge du Lion d'Or ou encore les Comices agricoles. La scène qui nous intéresse aujourd'hui est inspirée d'un bal qui a réellement eu lieu au château du Héron : c'est la scène du bal à la  Vaubyessard. Cette scène , Flaubert y accorde une importance particulière dès son deuxième scénarios dans ses brouillons le décrivant comme "un bal d'automne". Dans le roman, le passage se situe au chapitre VIII de la première partie marquant à jamais Emma Bovary. Nous nous demanderons donc en quoi cette scène constitue un moment-clé du roman.

     Ce bal va jouer un rôle décisif dans la vie d'Emma qui commence à être déçue de ses premiers mois de mariage avec Charles Bovary. Dans ce chapitre nous remarquons que la description se fait du point de vue d'Emma puisque les commentaires fait sur ce bal relèvent de l'éveil de tous ses sens. Elle y voit une propriété luxueuse ainsi que des mets raffinés tel que le vin de Champagne ou encore du sucre en poudre qui "lui parut plus blanc et plus fin qu'ailleurs". Son ouïe aussi, lui permet d'entendre les premiers sons du bal qui la fit se précipiter dans la salle principale "se retenant de courir" et qui marqua sa mémoire des semaines après le bal. De plus, cette scène cristallise un peu plus son illusion romanesque par des personnages comme le Marquis ou la Marquise caractérisant s le conte de fée ainsi que les invités du bal qui "avaient le teint de la richesse, ce teint blanc que rehaussent la pâleur des porcelaines". Flaubert tendant vers le romantique, intègre même un élément emblématique des romans d'amour quand un papier est échangé discrètement entre deux amants, remarqué par Emma. Elle est complètement émerveillée par ce bal qui lui paraît irréel, qu'elle "doutait presque de l'avoir vécue". Cette scène participe du monde de l'illusion dans lequel Emma vit à l'image de ses romans. Dans ses impressions, elle décrit même une frontière floue entre le rêve et la réalité : "l'heure présente, sa vie passée, si nette jusqu'alors, s'évanouissait tout entière [...]". Malgré tout la réalité la rattrape quand elle aperçoit par la fenêtre des paysans regardant cet événement luxueux et qu'elle se remémore sa vie dans les champs avec son père.

      C'est dans cette frontière floue que notre personnage féminin se perd puisqu'elle continue de vivre dans cette illusion même après le bal notamment lorsqu'elle décide de renvoyer la bonne Nastasie sans grande raison. Ce bal renforce aussi son ennuie déjà présent auparavant, comparant son cœur à ses souliers de satin qui "au frottement de la richesse, il s'était placé dessus quelque chose qui ne s'effacerait pas." faisant ainsi référence à la cire utilisée pour le parquet au Château. Nous remarquons aussi qu'Emma souhaite se distinguer de Charles lors de cette scène mondaine et se moque de lui tout en étant gênée de sa présence auprès d'elle notamment lorsqu'il souhaite danser. Cela renforce donc l'écart entre elle et son mari qui va continuer tout au long du roman. Ainsi cette vie luxueuse à laquelle elle a participé l'espace d'une nuit va la pousser à acheter beaucoup de vêtements par la suite, ce qui l'a conduira à son endettement. Nous constatons donc que c'est lors de ce bal que les thèmes principaux du roman s'installent comme celui de l'endettement mais aussi celui de la vie adultère qu'Emma découvre lorsqu'un message est échangé entre les deux amants.

     Dès la scène du bal, plusieurs indices laissent entrevoir que cet épisode orientera donc de manière négative le destin d'Emma. Par exemple, la fenêtre cassée par un domestique fait référence aux rêves brisés d'Emma en la renvoyant à ses origines paysannes et son passé aux Bertaux.

    Cette scène du bal à la Vaubyessard joue donc un rôle essentiel dans la structure du roman puisqu'elle fait notamment avancer l'action. Elle peut être interprétée comme l'élément déclencheur de leur départ de Tostes pour Yonville où Emma rencontrera ses deux amants, Léon et Rodolphe. C'est aussi dans cette grande ville que la carrière de Charles va prendre une mauvaise tournure avec l'opération du pied-bot, scène clé du roman, qui va nuire à la réputation de Charles. Cette scène fait aussi écho à d'autres dans le roman puisqu'elle rappelle notamment l'opéra à Rouen où Emma goûte de nouveau à un monde luxueux. Enfin dans un autre genre, ce bal luxueux rappelle le bal masqué à Rouen, de manière dégradée puisque le champagne est remplacé par le punch par exemple et où les nobles du château sont remplacés par "un clerc, deux carabins et un commis". De plus, ses problèmes d'argent n'étaient pas d'actualité lors du bal à la Vaubyessard or lors du bal masqué elle reçoit un protêt de "Maître Hareng, huissier à Buchy".

     Flaubert installe dans ces scènes clés des objets qui font échos dans le roman comme le morceau de papier que les deux amants s'échangent lors du bal qui rappelle dans le Chapitre I, la boulette de papier lancée au nouveau de la classe : Charles Bovary, ainsi qu'à la lettre de rupture de Rodolphe. Nous pouvons ajouter aussi le porte-cigares qu'Emma remarque lors de leur retour du bal dans le "boc" et dont elle attribue automatiquement l'appartenance au Vicomte avec qui elle a dansé et qui hante ses pensées longtemps. Emma offrira un porte-cigares identique à Rodolphe qui apparaît comme un double dégradé du Vicomte, habitant dans le château de la Huchette.

     Tout au long du roman nous avons pu remarquer que ces détails de la haute bourgeoisie ne sont présent que dans cette scène du bal puisqu'elle met en parallèle le monde paysans dont est issue Emma Bovary. Ainsi Flaubert s'immisce dans la scène pour contredire de façon ironique la point de vue d'Emma qui voit un monde où tout brille et où tout est luxueux comme les bijoux des femmes ou les meubles vernis. Pour l'héroïne tout est mieux dans ce monde bourgeois et c'est sans cacher son ironie que Flaubert insiste sur "les yeux noirs [d'Emma qui] semblaient plus noirs." comme si ce bal rendait les gens issus de la campagne plus beaux et plus riches. L'auteur marque ainsi cette scène de bal, de clichés en tout genre comme les conversations entretenues les uns avec les autres ou encore l'importance fondamentale des chevaux de course.

   Toujours dans cette optique de décrire l'aristocratie face à la réalité du monde paysans dans lequel Emma vit, il place son personnage de manière à ce qu'elle soit exclue de ce monde qui la fait tant rêver. Tout d'abord elle ne maîtrise absolument pas la valse et c'est le Vicomte qui doit la guider et "elle faillit tomber, et, un instant, s'appuya la  tête sur sa poitrine" manquant donc de s'évanouir.

Emma rejoint donc Charles en ce qui concerne la mise à l'écart de cette société bourgeoise puisque lui non plus ne semble pas tout à fait être à sa place lorsqu'il passe plusieurs heures à regarder des gens jouer au whist sans y rien comprendre.

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