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L'avocat a reconnu la folie. Comment expliquer autrement ce crime étrange?

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Par   •  13 Février 2014  •  Commentaire de texte  •  1 943 Mots (8 Pages)  •  639 Vues

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L'avocat avait plaidé la folie. Comrnent expliquer autrement ce crime étrange?

On avait retrouvé un matin, dans les roseaux, près de Chatou, deux cadavres enlacés, la femme et l'homme, deux mondains connus, riches, plus tout jeunes, et mariés seulement de l'année précédente, la femme n'étant veuve que depuis trois ans.

On ne leur connaissait point d'ennemis, ils n'avaient pas été volés. Il semblait qu'on les eût jetés de la berge dans la rivière, après les avoir frappés, I'un après l'autre, avec une longue pointe de fer.

L'enquête ne faisait rien découvrir. Les mariniers interrogés ne savaient rien; on allait abandonner l'affaire, quand un jeune menuisier d'un village voisin, nommé Georges Louis, dit "Le Bourgeois", vint se constituer prisonnier.

A toutes les interrogations, il ne répondit que ceci:

- Je connaissais l'homme depuis deux ans, la femme depuis six mois. Ils venaient souvent me faire réparer des meubles anciens, parce que je suis habile dans le métier.

Et quand on lui demandait:

- Pourquoi les avez-vous tués?

Il répondait obstinément:

- Je les ai tués parce que j'ai voulu les tuer.

On n'en put tirer autre chose.

Cet homme était un enfant naturel sans doute, mis autrefois en nourrice dans le pays, puis abandonné. Il n'avait pas d'autre nom que Georges Louis, mais comme, en grandissant, il devint singulièrement intelligent, avec des goûts et des délicatesses natives que n'avaient point ses camarades, on le surnomma: "Le Bourgeois", et on ne l'appelait plus autrement. Il passait pour remarquablement adroit dans le métier de menuisier qu'il avait adopté. Il faisait même un peu de sculpture sur bois. On le disait aussi fort exalté, partisan des doctrines communistes et même nihilistes, grand liseur de romans d'aventures, de romans à drames sanglants, électeur influent et orateur habile dans les réunions publiques d'ouvriers ou de paysans.

L'avocat avait plaidé la folie.

Comment pouvait-on admettre, en effet, que cet ouvrier eût tué ses meilleurs clients, des clients riches et généreux (il le reconnaissait), qui lui avaient fait faire, depuis deux ans, pour trois mille francs de travail (ses livres en faisaient foi)? Une seule explication se présentait: la folie, I'idée fixe du déclassé qui se venge sur deux bourgeois de tous les bourgeois; et l'avocat fit une allusion habile à ce surnom de "Le Bourgeois", donné par le pays à cet abandonné; il s'écriait:

- N'est-ce pas une ironie, et une ironie capable d'exalter encore ce malheureux garcon qui n'a ni père ni mère? C'est un ardent républicain. Que dis-je? il appartient même à ce parti politique que la République fusillait et déportait naguère, qu'elle accueille aujourd'hui à bras ouverts, à ce parti pour qui l'incendie est un principe et le meurtre un moyen tout simple.

Ces tristes doctrines, acclamées maintenant dans les réunions publiques, ont perdu cet homme. Il a entendu des républicains, des femmes même, oui, des femmes! demander le sang de M. Gambetta, le sang de M. Grévy; son esprit malade a chaviré; il a voulu du sang, du sang de bourgeois!

Ce n'est pas lui qu'il faut condamner, messieurs, c'est la Commune!

Des murmures d'approbation coururent. On sentait bien que la cause était gagnée pour l'avocat. Le ministère public ne répliqua pas.

Alors le président posa au prévenu la question d'usage:

- Accusé, n'avez-vous rien à ajouter pour votre défense?

L'homme se leva.

Il était de petite taille, d'un blond de lin, avec des yeux gris, fixes et clairs. Une voix forte, franche et sonore sortait de ce frêle garcon et changeait brusquement, aux premiers mots, I'opinion qu'on s'était faite de lui.

Il parla hautement, d'un ton déclamatoire, mais si net que ses moindres paroles se faisaient entendre jusqu'au fond de la grande salle:

- Mon président, comme je ne veux pas aller dans une maison de fous, et que je préfère même la guillotine, je vais tout vous dire.

J'ai tué cet homme et cette femme parce qu'ils étaient mes parents.

Maintenant, écoutez-moi et jugez-moi.

Une femme, ayant accouché d'un fils, l'envoya quelque part en nourrice. Sut-elle seulement en quel pays son complice porta le petit étre innocent, mais condamné à la misère éternelle, à la honte d'une naissance illégitime, plus que cela: à la mort, puisqu'on l'abandonna, puisque la nourrice, ne recevant plus la pension mensuelle, pouvait, comme elles font souvent, le laisser dépérir, souffrir de faim, mourir de délaissement?

La femme qui m'allaita fut honnête, plus honnête, plus femme, plus grande, plus mère que ma mère. Elle m'éleva. Elle eut tort en faisant son devoir. Il vaut mieux laisser périr ces misérables jetés aux villages des banlieues, comme on jette une ordure aux bornes.

Je grandis avec l'impression vague que je portais un déshonneur. Les autres enfants m'appelèrent un jour "bâtard". Ils ne savaient pas ce que signifiait ce mot entendu par l'un d'eux chez ses parents. Je l'ignorais aussi, mais je le sentis.

J'étais, je puis le dire, un des plus intelligents de l'école. J'aurais été un honnête homme, mon président, peut-être un homme supérieur, si mes parents n'avaient pas commis le crime de m'abandonner.

Ce crime, c'est contre moi qu'ils l'ont commis. Je fus la victime, eux furent les coupables. J'étais sans défense, ils furent sans pitié. Ils devaient m'aimer: ils m'ont rejeté.

Moi, je leur devais la vie - mais la vie est-elle un présent? La mienne, en tout cas, n'était qu'un malheur. Après leur honteux

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