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L'amant De Duras

Rapports de Stage : L'amant De Duras. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  28 Novembre 2013  •  3 305 Mots (14 Pages)  •  1 037 Vues

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L’univers représenté d’une fiction romanesque est un entrelacement d’actes de langage, tels qu’adresser la parole à quelqu’un ou réagir verbalement à la parole d’autrui, et d’actions de nature non langagière, telles que prendre un café ou traverser la rue : un tel mélange du verbal et du non verbal peut être traduit par le narrateur uniquement au moyen des mots. Partant de ce principe, Gérard Genette (1972) propose de distinguer deux modes de récit, à savoir le récit de paroles où le narrateur se sert des signes linguistiques pour rapporter d’autres signes du même type, et le récit d’événements où le narrateur est obligé de convertir les « faits et gestes » des personnages en mots. Genette sépare rigoureusement ces deux réalités en disant que le récit peut raconter soit des paroles prononcées par les personnages, soit leurs actions1. Pourtant, comme le remarquent les linguistes, l’acte de parole ne se compose pas uniquement d’énoncés produits par les interlocuteurs :

Tout acte d’énonciation se réalise dans une situation de communication particulière, caractérisée par plusieurs éléments constitutifs

– des protagonistes fondamentaux, acteurs de la communication, le locuteur et l’allocuteur, qui se prêtent mutuellement des connaissances ;

– un temps et un lieu spécifiques ;

– des objets présents, qui constituent l’environnement perceptible des protagonistes. (Riegel et al., 2005 : 575)

2En corollaire, si l’objet d’un discours est une situation de communication, le rapporteur doit, s’il veut que le message d’origine soit compréhensible, l’accompagner d’un minimum d’informations esquissant les conditions de sa production. Certains linguistes insistent sur cet aspect du rapport des paroles autres (entre autres Authier-Revuz, 1992, 1993 et Maingueneau 19862), mais il semble ne pas être encore communément admis dans la narratologie3. Il nous semble donc nécessaire de nuancer la définition du récit de paroles proposée par Genette. Par ce terme, nous voulons entendre les segments du récit qui relatent la composante verbale de la situation de communication d’origine et verbalisent certains éléments de nature non linguistique participant à la production de l’énoncé rapporté. En appliquant cette définition à l’analyse du discours rapporté dans la narration, nous nous heurtons d’emblée au problème de la délimitation du récit de paroles, et plus précisément, du discours citant des autres segments du récit d’événements. N’ayant pas la possibilité de développer ici cette problématique, nous nous limiterons à signaler que plusieurs facteurs de nature textuelle peuvent être pris en considération dans cette délimitation, à savoir le critère syntaxique, sémantique et compositionnel4.

3Les commentaires narratoriaux aux répliques des personnages peuvent référer à un nombre infini d’objets : notre analyse se limitera au discours citant qui relate les comportements mimo-gestuels des personnages impliqués dans un type particulier de situation de communication, à savoir dans la relation basée sur des liens affectifs entre les interlocuteurs. Depuis plusieurs années (notamment les années 605), les éthologues, anthropologues, sociologues et linguistes accordent une attention particulière aux signes corporels émis pendant les interactions verbales. Les romanciers, comme le remarque Rousset (1998), se rendaient compte de leur importance bien avant les recherches scientifiques :

Ce sont les romanciers eux-mêmes, Marivaux le premier, Balzac, Stendhal, Proust qui ont éveillé ma curiosité sur un fait évident : on ne s’exprime pas avec les mots seuls, mais avec le corps tout entier. Il ne leur suffit pas d’inventer des personnages, de les faire vivre et penser, ils les font parler, interrompant le récit pur pour y introduire cette diction hétérogène – de l’oral dans l’écrit – qu’est le dialogue à deux ou plusieurs voix ; et les faisant parler, ils ne négligent pas ce qui accompagne la parole, parfois s’y substitue et, de toute façon, la modifie : la gestualité sous toutes ses formes. (pp. 77-78).

4Comme objet de notre analyse, nous avons choisi deux romans de Marguerite Duras : Un Barrage contre le Pacifique et L’Amant, basés sur le même motif-clé : une relation « passionnelle » entre une jeune Française et un riche Chinois. Chez Duras, les interactions qui découlent de cette relation sont accompagnées d’un discours narratorial thématiquement et stylistiquement épuré. Le moyen privilégié de la communication non verbale est le regard, dénoté le plus souvent par le verbe peu recherché « regarder ». En outre, l’accompagnement narratif nous informe, mais seulement dans Un Barrage, de quelques sourires, gestes de la main et mouvements de la tête. Cela ne veut pas dire pourtant que le « langage du corps amoureux » chez Duras est négligé ou méprisé, car grâce à une tactique informationnelle précise, le narrateur véhicule de nombreuses pistes pour l’interprétation de la valeur pragmatique des énoncés rapportés. Cette tactique se dévoile déjà dans la description de la première rencontre.

5Dans Un Barrage, elle a lieu dans une cantine de Ram où une femme vieillissante, accablée par la misère provoquée par l’escroquerie de l’administration française, arrive avec ses deux enfants, Suzanne et Joseph. Ils veulent s’y distraire provisoirement de leur vie quotidienne, et en entrant à la cantine, ils aperçoivent au bout de la salle un riche Chinois assis à table, paré d’une bague avec un diamant. Celui-ci remarque l’arrivée de la famille, mais avant tout la présence de la fille, et pour nouer un contact avant de passer aux présentations officielles, il lui envoie un message visuel trahissant ses intentions. Nous ne savons pas, puisque le narrateur ne le dit pas, si Suzanne répond à ce regard, mais grâce à la réplique de la mère, nous apprenons que la mimique de la fille sert plutôt à décourager le prétendant potentiel. Le premier message non verbal envoyé par Suzanne est le sourire, qui traditionnellement est interprété comme signal d’ouverture de contact6. Le lecteur averti est pourtant conscient (contrairement au planteur du Nord) que c’est un sourire forcé, donc non sincère :

Il était seul, planteur, et jeune. Il regardait Suzanne. La mère vit qu’il la regardait. La mère à son tour regarda sa fille (…)

— Pourquoi tu fais une tête d’enterrement ? dit la mère. Tu ne peux pas avoir une fois l’air aimable ? Suzanne sourit au planteur du Nord. (Barrage, p. 347)

6Ce

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