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Jeu politique: pourquoi Louis XIV n'a pas condamné Molière

Étude de cas : Jeu politique: pourquoi Louis XIV n'a pas condamné Molière. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  22 Juin 2013  •  Étude de cas  •  3 276 Mots (14 Pages)  •  725 Vues

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Etude d’œuvre :

Dom Juan de Molière

1. Une pièce hybride

2. Une pièce politique : pourquoi Louis XIV n’a pas condamné Molière

3. Une pièce à scandale

1. Une pièce hybride

Dom Juan a choqué. Par l’audace de ses thèmes, mais également par l’hybridité de sa forme. Atypique dans la création dramatique de l’époque, elle l’est également dans l’œuvre de Molière. Dom Juan ou le festin de pierre réécrit un mythe largement mis au goût du jour par la littérature de l’époque dans une facture en rupture avec les conventions. La pièce mêle les registres, ne respecte pas la règle des unités, met en péril vraisemblance et bienséance.

L’histoire « vécue » d’un certain Dom Juan Tenorio, seigneur espagnol du XVIe siècle, entre en littérature grâce à la comédie espagnole du moine Tirso de Molina dans les années 1620-1630. Les spécialistes discutent pour savoir si Molière connaissait ou non l’original. Peu importe. L’histoire s’était diffusée et il ne fait pas de doute que Molière fréquentait les tragi-comédies de ses contemporains Dorimond et Villiers, toutes deux intitulées Le Festin de pierre, ainsi que les versions farcesques qu’en donnaient les Italiens. Molière complexifie le schéma de la pièce et mêle tragique, tragi-comique, farce, merveilleux et burlesque.

Le tragique est principalement incarné par les personnages d’Elvire et de Dom Louis, mais également par Dom Juan dans sa confrontation prométhéenne à l’au-delà. Tragique en effet est la situation d’Elvire, qui aime encore un Dom Juan, qui l’a séduite, enlevée et épousée, et n’en est plus aimée. Elle sait, malgré le désir qu’elle a de continuer à espérer, qu’elle n’a rien à attendre de lui. L’émotion et la passion affleurent dans son discours qui prend un tour déjà racinien. Le ton de Dom Louis n’est pas très différent, qui déplore d’avoir honte de ce qui a fait l’objet de tant de vœux, de prières et de chagrins.

Mais Dom Juan, qui à bien des moments joue les metteurs en scène de ses interlocuteurs, ne laisse pas le tragique envahir la scène. D’un mot ironique ou cynique, il casse le ronflement d’une prose trop belle, d’une tirade trop longue et larmoyante. Ainsi dans la scène VI de l’acte IV, quand Elvire revient le voir, chargée d’un amour épuré, détaché, qui n’a plus d’autre objet que le salut de l’homme qu’elle a chéri, Dom Juan l’interrompt en s’adressant à Sganarelle d’un « tu pleures, je pense ».

Il est aussi un autre tragique : celui du destin de Dom Juan, engagé dans une lutte avec Dieu, qui attire sur lui menaces et malédictions.

Mais l’affrontement ne se fait pas tant dans les discours que dans une série d’actions provocatrices. Dom Juan joue cyniquement avec les paroles des autres, qui ne sont pour lui que pause et incapacité à défier la transcendance.

Ainsi la rhétorique tragique est sans cesse mise à distance et relayée par d’autres registres. La pièce puise dans une tradition tragi-comique : la scène se passe en Espagne. Les personnages défendent leur honneur et ont l’épée à fleur de peau. Dom Juan est poursuivi par douze hommes armés, il rencontre Dom Carlos aux prises avec des voleurs et court à son secours. La vengeance et la mort rodent. Tout se passe comme si la menace d’un châtiment divin se doublait sans cesse de la menace d’une mort humaine pour conférer à la pièce une unité d’action et un dynamisme dramatique.

Tragique et tragi-comique sont également agrémentés d’une parodie de pastorale à l’acte II, qui se déroule dans un environnement champêtre, où les paysans parlent patois en lieu et place du langage alambiqué des bergers et où le cynisme de Dom Juan et l’attitude intéressée de Charlotte font office de comportements nobles sincères. La farce n’est pas non plus absente, dont Sganarelle est le parangon. Valet, il est également le bouffon d’un Dom Juan, qui à bien des moments, l’autorise, pour son plus grand plaisir, à se laisser emporter dans des déguisements, des raisonnements douteux, des gesticulations qui l’entraînent par terre. A deux reprises, à l’acte II, quand il reçoit le soufflet destiné à Pierrot, et à l’acte IV, quand les laquais jouent à lui retirer son assiette, il est la cible du comique. On trouve également du burlesque dans la cohabitation des genres et des visions du monde, dans la réécriture de motifs héroïques, tel le naufrage, dans un patois de fantaisie, dans l’éloge du tabac par Sganarelle… Mais ce qui fait la particularité de Dom Juan par rapport aux autres comédies de Molière, c’est la présence d’un fantastique, qui, à partir de la fin de l’acte III, gagne en puissance. Il apparaît d’abord dans le hochement de tête d’une statue, puis dans le déplacement de celle-ci, puis, à l’acte V, il se démultiplie : l’apparition d’une femme voilée se change en spectre, et l’enfer s’ouvre sous les pas de Dom Juan, brûlé par un feu invisible.

Pièce hybride qui mêle des registres parfois antipodiques, Dom Juan est également une pièce en marge, qui ne respecte pas les unités, ni les règles de bienséance et de vraisemblance.

L’unité de lieu est d’emblée mise à mal par l’action. Dom Juan est sans cesse en partance ou en fuite : il quitte son palais pour tâcher d’enlever une belle à qui son fiancé a proposé une balade en mer. Il manque de faire naufrage et se retrouve dans un univers champêtre, dont il est obligé de fuir pour échapper à ses détracteurs. Il erre ensuite à travers la forêt jusqu’à ce qu’il tombe nez à nez avec la statue du commandeur. Seul l’acte IV se déroule entièrement dans un univers domestique. On est donc loin de l’appartement bourgeois du Bourgeois Gentilhomme, de L’Avare, du Malade imaginaire, ou du salon de Célimène où défilent petits marquis, fâcheux, médecins, importuns, notaires, vieux amis… La scène de Dom Juan déborde l’espace restreint des univers bourgeois. Ce débordement spatial suppose à lui seul l’utilisation d’une machinerie complexe.

L’unité de temps n’est pas non plus respectée, qui voudrait que l’action se déroule en vingt-quatre heures. Molière fait un effort pour faire croire au spectateur que l’ensemble tient en trente-six heures, mais c’est alors la vraisemblance qui est doublement mise à mal.

Celle-ci est en effet problématique. Molière met en scène des personnages français (Charlotte, Mathurine) sur une scène espagnole

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