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Je T'adore à L'égal De L'égal De La Voûte Nocture

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Par   •  7 Mars 2014  •  2 032 Mots (9 Pages)  •  5 044 Vues

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Commentaire

Ces vers s'adressaient à Marie Daubrun, jeune et belle comédienne, aux «cheveux d'or», aux mystérieux yeux verts et aux «plantureuses épaules», que, le 18 août 1847, Baudelaire avait vue, débutant sur la scène du théâtre de la Porte Saint-Martin, et dont il s’éprit, semblant chercher en elle l’oubli de ses précédents tourments amoureux. Il lui envoya une lettre passionnée : «Par vous, Marie, je serai fort et grand. Comme Pétrarque, j’immortaliserai ma Laure. Soyez mon Ange gardien, ma Muse et ma Madone, conduisez-moi sur la route du Beau». Il lui jura «I'amour du chrétien pour son Dieu», car elle incarnait pour lui l’amour idéalisé quoique baigné de sensualité. Leur liaison, intermittente mais tendrement sincère, allait durer quelque dix ans. Mais il n’est pas sûr qu’elle fut sa maîtresse, d’autant plus qu’elle aimait Théodore de Banville. Elle fut pour Baudelaire plus une sœur qu’une amante, et il dit d’elle, dans ‘’L’invitation au voyage’’ : «Mon enfant, ma sœur / Songe à la douceur / D’aller là-bas vivre ensemble». Ce poème s’inscrivit dans un cycle de poèmes où se dessina vite la critique de sa froideur sinon de sa frigidité : “Sonnet d'automne” («Ô ma froide Marguerite !...»), ‘’Le poison’’, ‘’Ciel brouillé’’...

Au commencement de I'automne de 1859, Baudelaire avait écrit pour elle ‘’Chant d'automne’’, où il lui demandait d'être la douceur de son arrière-saison. Mais, quelques semaines plus tard, elle quittait Paris avec Théodore de Banville, et s’installait avec lui dans un coin de la Côte d'Azur. Un mouvement de jalousie inspira à Baudelaire la cruauté de son poème, qu’il intitula ‘’À une madone’’ et qu’il sous-titra ironiquement «ex-voto dans le goût espagnol», un ex-voto (réduction de la formule latine «ex-voto suscepto», «suivant le voeu fait») étant habituellement un tableau, un objet symbolique, une plaque portant une formule de reconnaissance, qu’on place dans une église, une chapelle, pour marquer l’accomplissement d’un voeu, pour remercier d’une grâce obtenue. Ainsi était bien annoncée la tonalité à la fois sensuelle et religieuse du poème.

Il n'existe aucune raison de penser qu’il ait eu besoin de modèles littéraires pour comparer Marie Daubrun à une madone espagnole. Son goût pour l'art espagnol remontait aux premières années de sa vie littéraire, et son ami Prarond révéla qu'entre 1842 et 1845, au cours de ses visites du Louvre, il s'arrêtait de préférence dans la salle des peintres espagnols.

Pourtant, il put s’inspirer d’‘’Un roman à faire’’, texte de Gérard de Nerval paru dans ‘’La sylphide’’ en 1843, où fut évoqué, dans l’épisode de Naples, «une madone noire, couverte d'oripeaux […] une figure de Sainte-Rosalie […] un beau désordre d'étoffes brillantes, de fleurs artificielles, de vases étrusques». Et, comme Baudelaire, il avait étrangement mêlé la dévotion et la passion sensuelle : «Jamais je n'ai été si convaincu de cette vérité que mon amour pour vous est une religion.» Ce rapprochement prend quelque consistance lorsqu'on observe que d'autres endroits d'’’Un roman à faire’’ font penser assez précisément aux lettres de Baudelaire à Mme Sabatier.

Il semble aussi qu'il ait beaucoup appris du ‘’Voyage en Espagne’’ de Théophile Gautier (1843) et que certains poèmes d'’’España’’ l’aient aidé à comprendre le baroque espagnol. Dans ce dernier ouvrage notamment, il pouvait lire I'horrible description de ‘’Sainte Casilda’’ :

«La vierge découverte

Montre sur sa poitrine, albâtre éblouissant

À la place des seins, deux ronds couleur de sang

Distillant un rubis par chaque veine ouverte,

Et les seins déjà morts, beaux lis coupés en fleur […]

Dans les bassins d'argent gisent au pied d'un arbre.»

Les Vierges aux couteaux, les «Virgenes de los cuchillos», étaient un sujet particulièrement familier à cet art à la fois somptueux et barbare.

D’autre part, Baudelaire avait de la poésie baroque une connaissance assez intime pour qu'il lui fut facile d'imaginer cette confusion du sentiment religieux et de I'amour charnel qui fait le caractère propre de son poème. Il aurait pu se souvenir de ce beau sonnet de Desportes :

«Solitaire et pensif dans un bois écarté,

Bien loin du populaire et de la tourbe épaisse,

Je veux bâtir un temple à ma grande Déesse,

Pour y ofrir mes voeux à sa divinité.

Là, de jour et de nuit par moi sera chanté

Son pouvoir, ses vertus, sa gloire et sa hautesse,

Et, dévot, son beau nom j'invoquerai sans cesse,

Quand je serai pressé de quelque adversité.

Mon oeil sera la lampe, et la flamme immortelle

Qui me va consumant servira de chandelle ;

Je servirai d'autel à mes soupirs et voeux.

Par mille et mille vers je chanterai I'office,

Puis, épanchant mes pleurs et coupant mes cheveux,

Je ferai de mon coeur tous les jours sacrifice.»

Les différences sautent aux yeux. Mais une même conception baroque a inspiré les deux poètes qui, partant de l’idée d'un temple ou d'un autel dressé à leur dame, la développent jusqu'au détail qui étonne, et font sentir fortement que pour eux la passion est un culte, que I'aimée est un être sacré, et que I'amant est prêtre et victime.

Baudelaire put aussi ne pas être insensible à ce qu’Aloysius Bertrand avait dit, en 1842, dans ‘’Gaspard de la nuit’’, de la Vierge noire de Dijon, de sa couronne, de sa lourde robe : «La Vierge noire, Ia vierge des temps barbares, haute d'une coudée, à la tremblante couronne de fil d'or, à la robe raide d'empois et de perles.»

Le poème est constitué de quarante-quatre alexandrins aux rimes suivies, qui sont divisés

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