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Extrait d'une oeuvre.

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Par   •  9 Décembre 2013  •  Lettre type  •  2 268 Mots (10 Pages)  •  790 Vues

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Partir à pied, quand le soleil se lève, et marcher dans la rosée, le long des champs, au bord de la mer calme, quelle ivresse !

Quelle ivresse ! Elle entre en vous par les yeux avec la lumière, par la narine avec l'air léger, par la peau avec les souffles du vent.

Pourquoi gardons-nous le souvenir si clair, si cher, si aigu de certaines minutes d'amour avec la Terre, le souvenir d'une sensation délicieuse et rapide, comme de la caresse d'un paysage rencontré au détour d'une route, à l'entrée d'un vallon, au bord d'une rivière, ainsi qu'on rencontrerait une belle fille complaisante.

Je me souviens d'un jour, entre autres. J'allais le long de l'Océan breton, vers la pointe du Finistère. J'allais, sans penser à rien, d'un pas rapide, le long des flots. C'était dans les environs de Quimperlé, dans cette partie la plus douce et la plus belle de la Bretagne.

Un matin de printemps, un de ces matins qui vous rajeunissent de vingt ans, vous refont des espérances et vous redonnent des rêves d'adolescents.

J'allais, par un chemin à peine marqué, entre les blés et les vagues. Les blés ne remuaient point du tout, et les vagues remuaient à peine. On sentait bien l'odeur douce des champs mûrs et l'odeur marine du varech. J'allais sans penser à rien, devant moi, continuant mon voyage commencé depuis quinze jours, un tour de Bretagne par les côtes. Je me sentais fort, agile, heureux et gai. J'allais.

Je ne pensais à rien ! Pourquoi penser en ces heures de joie inconsciente, profonde, charnelle, joie de bête qui court dans l'herbe, ou qui vole dans l'air bleu sous le soleil ? J'entendais chanter au loin des chants pieux. Une procession peut-être, car c'était un dimanche. Mais je tournai un petit cap et je demeurai immobile, ravi. Cinq gros bateaux de pêche m'apparurent remplis de gens, hommes, femmes, enfants, allant au pardon de Plouneven.

Ils longeaient la rive, doucement, poussés à peine par une brise molle et essoufflée qui gonflait un peu les voiles brunes, puis, s'épuisant aussitôt, les laissait retomber, flasques, le long des mâts.

Les lourdes barques glissaient lentement, chargées de monde. Et tout ce monde chantait. Les hommes debout sur les bordages, coiffés du grand chapeau, poussaient leurs notes puissantes, les femmes criaient leurs notes aiguës, et les voix grêles des enfants passaient comme des sons de fifre faux dans la grande clameur pieuse et violente.

Et les passagers des cinq bateaux clamaient le même cantique, dont le rythme monotone s'élevait dans le ciel calme ; et les cinq bateaux allaient l'un derrière l'autre, tout près l'un de l'autre.

Ils passèrent devant moi, contre moi, et je les vis s'éloigner, j'entendis s'affaiblir et s'éteindre leur chant.

Et je me mis à rêver à des choses délicieuses, comme rêvent les tout jeunes gens, d'une façon puérile et charmante.

Comme il fuit vite, cet âge de la rêverie, le seul âge heureux de l'existence ! Jamais on n'est solitaire, jamais on n'est triste, jamais morose et désolé quand on porte en soi la faculté divine de s'égarer dans les espérances, dès qu'on est seul. Quel pays de fées, celui où tout arrive, dans l'hallucination de la pensée qui vagabonde ! Comme la vie est belle sous la poudre d'or des songes !

Hélas ! c'est fini, cela.

Je me mis à rêver. A quoi ? A tout ce qu'on attend sans cesse, à tout ce qu'on désire, à la fortune, à la gloire, à la femme.

Et j'allais, à grands pas rapides, caressant de la main la tête blonde des blés qui se penchaient sous mes doigts et me chatouillaient la peau comme si j'eusse touché des cheveux.

Je contournai un petit promontoire et j'aperçus, au fond d'une plage étroite et ronde, une maison blanche, bâtie sur trois terrasses qui descendaient jusqu'à la grève.

Pourquoi la vue de cette maison me fit-elle tressaillir de joie ? Le sais-je ? On trouve parfois, en voyageant ainsi, des coins de pays qu'on croit connaître depuis longtemps, tant ils vous sont familiers, tant ils plaisent à votre coeur. Est-il possible qu'on ne les ait jamais vus ? qu'on n'ait point vécu là autrefois ? Tout vous séduit, vous enchante, la ligne douce de l'horizon, la disposition des arbres, la couleur du sable !

Oh ! la jolie maison, debout sur ses hauts gradins ! De grands arbres fruitiers avaient poussé le long des terrasses qui descendaient vers l'eau, comme des marches géantes. Et chacune portait, ainsi qu'une couronne d'or, sur son faîte, un long bouquet de genêts d'Espagne en fleur !

Je m'arrêtai, saisi d'amour pour cette demeure. Comme j'eusse aimé la posséder, y vivre, toujours !

Je m'approchai de la porte, le coeur battant d'envie, et j'aperçus, sur un des piliers de la barrière, un grand écriteau : "A vendre."

J'en ressentis une secousse de plaisir comme si on me l'eût offerte, comme si on me l'eût donnée, cette demeure ! Pourquoi ? oui, pourquoi ? Je n'en sais rien !

"A vendre." Donc elle n'était presque plus à quelqu'un, elle pouvait être à tout le monde, à moi, à moi ! Pourquoi cette joie, cette sensation d'allégresse profonde, inexplicable ? Je savais bien pourtant que je ne l'achèterais point ! Comment l'aurais-je payée ? N'importe, elle était à vendre. L'oiseau en cage appartient à son maître, l'oiseau dans l'air est à moi, n'étant à aucun autre.

Et j'entrai dans le jardin. Oh ! le charmant jardin avec ses estrades superposées, ses espaliers aux longs bras de martyrs crucifiés, ses touffes de genêts d'or, et deux vieux figuiers au bout de chaque terrasse.

Quand je fus sur la dernière, je regardai l'horizon. La petite plage s'étendait à mes pieds, ronde et sablonneuse, séparée de la haute mer par trois rochers lourds et bruns qui en fermaient l'entrée et devaient briser les vagues aux jours de grosse mer.

Sur la pointe, en face, deux pierres énormes, l'une debout, l'autre couchée dans l'herbe, un menhir et un dolmen, pareils à deux époux étranges, immobilisés par quelque maléfice, semblaient regarder

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