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Commentaire Composé sur le roman l'Oeuvre d'Emile Zola

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Par   •  30 Novembre 2014  •  5 944 Mots (24 Pages)  •  1 905 Vues

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Émile Zola, L'Œuvre (1886), chapitre IX, Le Livre de poche classique (éd. Marie-Ange Voisin-Fougère), p. 348-350 ou Les Rougon-Macquart, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade (éd. Henri Mitterand), tome IV, p. 244-245.

Texte :

Pendant des mois, la pose fut ainsi pour elle une torture. La bonne vie à deux avait cessé, un ménage à trois semblait se faire, comme s'il eût introduit dans la maison une maîtresse, cette femme qu'il peignait d'après elle. Le tableau immense se dressait entre eux, les séparait d'une muraille infranchissable ; et c'était au-delà qu'il vivait, avec l'autre. Elle en devenait folle, jalouse de ce dédoublement de sa personne, comprenant la misère d'une telle souffrance, n'osant avouer son mal dont il l'aurait plaisantée. Et pourtant elle ne se trompait pas, elle sentait bien qu'il préférait sa copie à elle-même, que cette copie était l'adorée, la préoccupation unique, la tendresse de toutes les heures. Il la tuait à la pose pour embellir l'autre, il ne tenait plus que de l'autre sa joie ou sa tristesse, selon qu'il la voyait vivre ou languir sous son pinceau. N'était-ce donc pas de l'amour, cela ? et quelle souffrance de prêter sa chair, pour que l'autre naquît, pour que le cauchemar de cette rivale les hantât, fût toujours entre eux, plus puissant que le réel, dans l'atelier, à table, au lit, partout ! Une poussière, un rien, de la couleur sur de la toile, une simple apparence qui rompait tout leur bonheur, lui, silencieux, indifférent, brutal parfois, elle, torturée de son abandon, désespérée de ne pouvoir chasser de son ménage cette concubine, si envahissante et si terrible dans son immobilité d'image !

Et ce fut dès lors que Christine, décidément battue, sentit peser sur elle toute la souveraineté de l'art. Cette peinture, qu'elle avait déjà acceptée sans restrictions, elle la haussa encore, au fond d'un tabernacle farouche, devant lequel elle demeurait écrasée, comme devant ces puissants dieux de colère, que l'on honore, dans l'excès de haine et d'épouvante qu'ils inspirent. C'était une peur sacrée, la certitude qu'elle n'avait plus à lutter, qu'elle serait broyée ainsi qu'une paille, si elle s'entêtait davantage. Les toiles grandissaient comme des blocs, les plus petites lui semblaient triomphales, les moins bonnes l'accablaient de leur victoire ; tandis qu'elle ne les jugeait plus, à terre, tremblante, les trouvant toutes formidables, répondant toujours aux questions de son mari :

« Oh! très bien !… Oh ! superbe !… Oh ! extraordinaire, extraordinaire, celle-là ! »

Cependant, elle était sans colère contre lui, elle l'adorait d'une tendresse en pleurs, tellement elle le voyait se dévorer lui-même. Après quelques semaines d'heureux travail, tout s'était gâté, il ne pouvait se sortir de sa grande figure de femme. C'était pourquoi il tuait son modèle de fatigue, s'acharnant pendant des journées, puis lâchant tout pour un mois. À dix reprises, la figure fut commencée, abandonnée, refaite complètement. Une année, deux années s'écoulèrent, sans que le tableau aboutît, presque terminé parfois, et le lendemain gratté, entièrement à reprendre.

Ah ! cet effort de création dans l'œuvre d'art, cet effort de sang et de larmes dont il agonisait, pour créer de la chair, souffler de la vie ! Toujours en bataille avec le réel, et toujours vaincu, la lutte contre l'Ange ! Il se brisait à cette besogne impossible de faire tenir toute la nature sur une toile, épuisé à la longue dans les perpétuelles douleurs qui tendaient ses muscles, sans qu'il pût jamais accoucher de son génie. Ce dont les autres se satisfaisaient, l'à-peu-près du rendu, les tricheries nécessaires le tracassaient de remords, l'indignaient comme une faiblesse lâche ; et il recommençait, et il gâtait le bien pour le mieux, trouvant que ça ne « parlait » pas, mécontent de ses bonnes femmes, ainsi que le disaient plaisamment les camarades, tant qu'elles ne descendaient pas coucher avec lui. Que lui manquait-il donc, pour les créer vivantes ? Un rien sans doute. Il était un peu en deçà, un peu au-delà peut-être. Un jour, le mot de génie incomplet, entendu derrière son dos, l'avait flatté et épouvanté. Oui, ce devait être cela, le saut trop court ou trop long, le déséquilibrement des nerfs dont il souffrait, le détraquement héréditaire qui, pour quelques grammes de substance en plus ou en moins, au lieu de faire un grand homme, allait faire un fou. Quand un désespoir le chassait de son atelier, et qu'il fuyait son œuvre, il emportait maintenant cette idée d'une impuissance fatale, il l'écoutait battre contre son crâne, comme le glas obstiné d'une cloche.

Indications préliminaires

Le texte à commenter est forcément « choisi » pour ses qualités esthétiques et parce qu'il tolère l'extraction et l'exhibition, voire qu'il l'appelle. Le paradoxe, que tout commentaire réussi sait exploiter, réside dans la tension entre le rapport au tout et l'invite interprétative. C'est parce qu'il occupe une position stratégique et qu'il renvoie à des enjeux — génériques, idéologiques, herméneutiques… — importants pour situer et comprendre l'œuvre, que l'extrait a été choisi. Si le choix est correct, on est dans une « entrée » privilégiée, le texte est lisible à plusieurs niveaux, il est une mise en abyme de l'ensemble, il a valeur de symbole. Sa mise en situation est donc une nécessité du commentaire, et une réponse à la question implicite : pourquoi ce texte a-t-il été choisi ? Si l'on n'a pas connaissance du contexte immédiat, il faut tout de même opérer des rapprochements d'histoire littéraire et apercevoir des similitudes thématiques…

La perspective adoptée ensuite est heuristique, suggestive. C'est celle de l'expérience de lecture personnelle. Le cadre herméneutique est évidemment un cercle « magique » peuplé de références prestigieuses, il met à la disposition de chacun des outils bien connus et appelle des usages conformes à l'éthique du lector, mais le commentaire tolère aussi une vision personnelle très rapprochée. Non par empathie sentimentaliste, mais en vertu de cette idée que l'être habite la variété phénoménale et s'épuise somptueusement en elle. Le choix de la bonne distance est laissé à l'appréciation de chacun. Il faut doser les

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