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Commentaire Composé de la pièce de théâtre Île Des Esclaves de Marivaux: scène VI

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Par   •  1 Mai 2014  •  2 356 Mots (10 Pages)  •  1 510 Vues

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MARIVAUX (1688-1763), L'Île des esclaves (1725) Scène VI

INTRODUCTION

L’Île des esclaves, comédie en un acte et en prose, fut écrite par Marivaux et

représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens le lundi 5 mars 1725. Si elle n’a pas la complexité psychologique des autres comédies en un acte écrites par le même auteur, L’Île des esclaves est une des plus rigoureusement construites. En onze scènes se succèdent l’expression du ressentiment, la satire, la bouffonnerie, le tragique, l’attendrissement, selon la logique nécessaire de l’action, avec la rapidité et la variété propres au Nouveau Théâtre Italien de Riccoboni. La scène VI se place au milieu de la pièce et on peut en attendre que l'enjeu dramatique y soit à son apogée. Trivelin a quitté la scène, satisfait des portraits railleurs qui ont composé la première épreuve infligée aux maîtres par leurs esclaves. Ceux-ci se trouvent maintenant face à face sans la médiation du gouverneur de l'île. Que pourra-t-il en résulter ? La scène ne peut manquer de représenter un tournant qui, lançant un nouvel enjeu, décidera du dénouement. Mais comment cette scène sert-elle les besoins dramatiques de la pièce ? Cette problématique présente une triple perspective d’étude. L’analyse de la parodie du discours galant, du discours théâtral, ainsi que de l’espace scénique est indispensable si l’on veut y répondre de manière efficace et complète.

I. LA PARODIE DU DISCOURS GALANT

Il est important en effet d’examiner la manière dont les deux personnages réagissent

devant leur nouveau rôle. Alors qu’ils présentent une attitude commune, ils arrivent à se différencier par la manière dont ils envisagent le sérieux de cette aventure.

Ia. Une attitude commune

Il faut d'abord remarquer la relation de complicité entre Arlequin et Cléanthis, qui se manifeste par des rôles strictement parallèles. Cléanthis donne l'idée de l'entretien amoureux (« la belle conversation »), et les deux valets s'emploient avec autant d'initiative à le préparer puis à le jouer : « Eh bien, faites. Soupirez pour moi ». Arlequin suggère ensuite de conquérir les maîtres, et tous deux à nouveau en fixent chacun les règles. Leur dialogue est marqué par autant d'injonctions et de conseils : « n’épargnez ni compliments ni révérences », « Et vous, n’épargnez point les mines ». Cette fusion renforce le clan des valets comme elle exclut les maîtres dans le même silence consterné. L’objectif commun est clair : « nous moquer de nos patrons ». Il s’agit de parodier le discours galant, maniéré et artificiel, voire hypocrite et faux. De la même manière, les deux valets rivalisent de verve dans la parodie du langage galant. Ils en reprennent tous les poncifs, révélant par là quels spectateurs, voire quels espions, ils ont su être. Le vocabulaire employé appartient au code précieux, alors que l’évitement du pronom de la présence (« quand on se trouve en tête à tête, on n'en croira rien, vous ne persuaderez pas, faut-il vous dire qu'on vous aime ») marque une distance aristocratique. Les interjections (« palsambleu! »), l'abus des exclamations et des interrogations expriment les désordres du cœur ; la fausse pudeur est particulièrement singée par Cléanthis, qui prétend résister pour n'appeler qu'à plus d'assauts.

Ib. Une attitude différenciée

Cependant les personnages diffèrent sensiblement. Arlequin désamorce par le rire le jeu galant, pendant que Cléanthis s'identifie à son personnage : Je crains que cela ne nous fasse bâiller, j’en bâille déjà. ». L’anadiplose met en valeur l’ennui qu’accompagne un tel discours, surtout pour ceux qui n’en sont pas concernés. Les didascalies (« A ce mot il saute de joie», «riant à genoux») et les interjections («Oh! oh! oh! oh!», «Ah! ah! ah!») accompagnent sans équivoque l’attitude distanciée et franche d’Arlequin. À cette

bouffonnerie, le valet substitue une entreprise jugée raisonnable qui pourrait être beaucoup plus subversive : se faire aimer des maîtres paraît concevable à qui se trouve « un visage de condition » ou ne s'estime « pas désagréable ». Cléanthis trouve même à cette occasion un argument sur lequel le dramaturge ne s'étendra pas, mais qui constitue un réquisitoire révolutionnaire : « me voilà dame et maîtresse d'aussi bon jeu qu'une autre : je la suis par hasard ; n'est-ce pas le hasard qui fait tout ? » Justifier par le hasard la différence des conditions est en effet priver l'aristocratie de toute légitimité. Trivelin dira le contraire (et la morale de la pièce aussi) lorsqu'il présentera cette différence comme « une épreuve que les dieux font sur nous ». Pourtant Cléanthis se prend à son propre jeu. Jouer à la grande dame ne tarderait pas, sans Arlequin, à la transformer durablement : le langage, ici, fait le moine. Après quelques répliques galantes, Cléanthis avoue que pour aimer Arlequin, « il ne s'en fallait pas plus que d'un mot ». Lorsqu'elle demande à Arlequin de parler pour elle à Iphicrate, c'est en vertu de codes de bienséance qu'elle semble idéaliser. On peut penser ici encore à Molière ; dans la première scène de Dom Juan, Sganarelle fait le portrait de son maître en pérorant, et, bien qu'il renâcle à servir « un grand seigneur méchant homme », nous le voyons dans la pièce l'imiter maladroitement. Arlequin, au contraire, ne se fait pas faute de se révéler moins complaisant en rappelant à Cléanthis que « le grand monde n'est pas si façonnier ».

Aussi, par un jeu de « théâtre dans le théâtre », les valets parodient-ils les manières galantes de leurs maîtres, dont l’artifice est accentué jusqu’au ridicule. Ce discours amoureux s’inscrit dans le double héritage de l’amour courtois médiéval et du courant précieux du XVIIe siècle, que Molière avait caricaturé dans Les Précieuses ridicules et Les Femmes savantes.

II. LE DISCOURS THEATRAL

La mise en abyme et le triple mouvement selon lequel la scène est construite donnent

l’avantage au naturel et s’inscrivent dans le propos moral de la pièce. Le dialogue, tout en manifestant la fusion des deux personnages, en signale aussi les différences. Sans Arlequin, qui prend sensiblement l'avantage, la parodie aurait manifesté plus encore l'ambiguïté de

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