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« Comment Gargantua fit bâtir pour le moine l’abbaye de Thélème » (Gargantua, chapitre LII)

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Par   •  12 Novembre 2018  •  Commentaire de texte  •  2 875 Mots (12 Pages)  •  3 933 Vues

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Le XVIe siècle en Europe connaît la naissance d’un nouveau courant culturel que l’on nomme l’Humanisme; il prône une nouvelle conception de l’Homme et ses rapports face la société. Il favorise l’éducation et l’enrichissement personnel et est associé aux notions de curiosité, d’indépendance mais surtout de liberté. Un des porte-étendards de ce mouvement en France est François Rabelais, qui commence une vie monastique avant de poursuivre des études de médecine pour enfin unir ces deux mondes en réintégrant l’ordre bénédictin tout en poursuivant sa carrière médicale. Il s’essaye aussi à l’écriture en publiant plusieurs romans qu’il signe sous un pseudonyme du nom de Alcoyfribas Nasier. Ses ouvrages sont condamnés à la censure à cause de leur caractère obscène et vulgaire. Il publie en 1532 son roman Gargantua, dans lequel le personnage éponyme, très instruit, aide son père à défendre ses terres contre l’ennemi. En gage de remerciement, il offre à son ami le moine Jean la possibilité de construire une abbaye à Thélème. Ce dernier passage, crucial pour le roman, est introduit au chapitre 52 qui s’intitule « Comment Gargantua fit bâtir pour le moine l’abbaye de Thélème ». Il se situe vers la fin du livre et relate l’élaboration de la fondation de l’édifice. A travers ce chapitre, Rabelais rappelle sa proximité avec la religion et la vie monastique, il propose sa version idéale d’une vie religieuse mais aussi énonce ses critiques envers le pouvoir religieux. Notre analyse portera sur la naissance du projet grandiose de l’abbaye de Thélème puis nous verrons comment la description qu’en fait Gargantua révèle une utopie religieuse et enfin comment les notions de liberté et restriction sont illustrées tout au long du texte.

Le titre du chapitre est un parfait indicateur du projet des deux protagonistes, c’est-à-dire la fondation d’une abbaye. Il est tout d’abord pensé par le moine Jean qui dès sa première réplique énonce l’idée « S’il vous semble que je vous ai rendu et que je puisse à l’avenir vous rendre quelque service agréable, permettez-moi de fonder une abbaye à mon idée » (l.2-3). Le contraste entre les temps du verbe « rendre », le premier au passé et le second au futur montre que Jean en s’adressant à Gargantua cherche à mettre en avant et à affirmer son rôle auprès du géant, justifiant ainsi son désir d’approbation pour la construction d’une abbaye. De plus, l’élaboration de son projet se présente sous la forme d’un souhait « demanda » (l.5) « la requête » (l.4) « permettez » (l.3), les termes associés au champs lexical de l’autorisation couplés au vouvoiement de Jean expriment le respect qu’éprouve celui-ci envers Gargantua et son désir que l’idée soit approuvée.

Gargantua en effet acquiesce des intentions de son ami comme le montre le titre « comment Gargantua fit bâtir pour le moine l’abbaye de Thélème ». Le projet se concrétise tout au long du récit, « faudra » (l.7), « ordonna » (l.27), « seraient distribuées » (l.16), « seraient reçus ». La multiplication des impératifs et des futurs antérieurs souligne le processus envisagé pour bâtir l’édifice. Cependant on comprend rapidement que c’est Gargantua qui prend les devants, l’opposition des adjectifs possessifs « mon idée » (l.4) et « son ordre » (l.5) du discours de Jean et de l’impératif « il ne faudra pas » (l.7) de Gargantua montre le paradoxe entre l’idée émise par Jean et le règlement instauré par le géant. Il semble surprenant que ce soit Gargantua qui annonce le règlement alors que c’est lui qui a offert le pays pour construire l’abbaye. De plus, le paradoxe est accentué par le fait que c’est le géant qui est l’instigateur de ce projet et non le moine dont le rôle aurait été plus judicieux pour l’élaboration des principes religieux. La figure du moine est donc remise en question, il ne propose aucune idée et se contente seulement d’approuver les recommandations de Gargantua comme le montrent les expressions d’affirmation « C’est vrai » (l.9) et « C’est ça » (l.26). Au début Jean désirait un projet avec ses propres principes mais en consentant aux idées de son ami, comme s’ils avaient exactement le même point de vue, il dévoile une forme de soumission. Gargantua mène le discours tandis que Jean se met en retrait et complète les règles que suggère l’ogre. Ses interventions sont d’ordre comique « là où il y a des murs devant aussi bien que derrière, il y a force murmures, envies et conspirations réciproques » (l.9-10), dans ce cas-ci la paranomase produit un effet cocasse pour le lecteur de même que le jeu de mot que l’on retrouve aux lignes 24 à 26 entre les termes « toile » et « chemise ». Dans ce passage la sonorité de toile est rapprochée de celle de « telle » qui désigne les femmes et ainsi toile et chemise appartenant au même champ lexical entrainent un effet comique et absurde qui vient casser le rythme du récit, jusqu’à là menée par Gargantua dont le ton était sérieux.                                                                                                            La fondation de l’abbaye de Thélème semble être un projet grandiose pensé par Jean mais dont l’organisation est décidée par Gargantua, à travers les règles qu’il énonce, il proclame son ambition religieuse pour le moins utopique.

        En effet, la visée même de son discours est associée à un rêve irréalisable qu’est pour Gargantua la vie religieuse. Son idéal passe avant tout par une critique sévère et une satire religieuse des principes du catholicisme. Dans un premier temps, le géant dénonce l’architecture habituelle des abbayes « toutes les autres abbayes sont sauvagement murées » (l.8), il est intéressant de voir que dans la version originale l’adverbe « fierement » est utilisé, il peut avoir une connotation méliorative comme péjorative. Cependant comme sa traduction correspond à « sauvagement » on comprend alors que Gargantua condamne cette structure plus qu’il n’en fait l’éloge. Le géant fait aussi la critique des occupations des religieux « la plus sûre perte de temps qu’il connût c’était de compter les heures […] et que la plus grande sottise du monde c’était de se gouverner au son d’une cloche » (l.18-19). L’anaphore de « la plus » et donc l’hyperbole dénonce le caractère mécanique et ennuyeux de la vie monastique. De plus, la question rhétorique et l’apostrophe au lecteur « qu’en retire-t-on de bon? » (l.18) l’invitent à partager la même opinion que le géant. Par la suite, Gargantua fait la satire du profil des personnes qui composent traditionnellement une abbaye, il reproche tout d’abord dans la version originale que les femmes n’étaient pas admises « en icelluy temps on ne mettoit en religion des femmes » (l.21), puis il détaille les caractères physiques et morals de celles qui pouvaient se trouver dans l’édifice « borgnes, boiteuses, bossues, laides, folles, insensées, maléficiées et tarées » (l.22). L’énumération de ces termes péjoratifs accompagnée du registre familier montre une rupture avec le reste du récit beaucoup plus sérieux et soutenu : « gouverner autrui » (l.1), « demeurer perpétuellement » (l.33). Par ce procédé il cherche à choquer le lecteur sur la composition des couvents de son époque. Il est important aussi de signaler que malgré son dénigrement envers les rites catholiques, Gargantua nuance son discours en associant les pratiques à des termes tels que « il est d’usage » (l.11), « certains » (l.11), « à l’habitude » (l.36), ainsi il ne veut pas condamner les traditions religieuses de toutes les abbayes.

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