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Clochette de Guy de Maupassant

Mémoire : Clochette de Guy de Maupassant. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  8 Avril 2013  •  1 662 Mots (7 Pages)  •  2 076 Vues

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Sont-ils étranges, ces anciens souvenirs qui vous hantent sans qu'on puisse se défaire d'eux?

Celui-là est si vieux, si vieux que je ne saurais comprendre comment il est resté si vif et si tenace dans mon esprit. J'ai vu tant de choses sinistres, émouvantes ou terribles, que je m'étonne de ne pouvoir passer un jour, un seul jour, sans que la figure de la mère Clochette ne se retrace devant mes yeux, telle que je la connus, autrefois, voilà si longtemps, quand j'avais dix ou douze ans.

C'était une vieille couturière qui venait une fois par semaine, tous les mardis, raccommoder le linge chez mes parents. Mes parents habitaient une de ces demeures de campagne appelées châteaux, et qui sont simplement d'antiques maisons à toit aigu, dont dépendent quatre ou cinq fermes groupées autour.

Le village, un gros village, un bourg, apparaissait à quelques centaines de mètres, serré autour de l'église, une église à briques rouges, devenues noires avec le temps.

Donc, tous les mardis, la mère Clochette arrivait entre six heures et demie et sept heures du matin et montait aussitôt dans la lingerie se mettre au travail.

C'était une haute femme maigre, barbue, ou plutôt poilue, car elle avait de la barbe sur toute la figure, une barbe surprenante, inattendue, poussée par bouquets invraisemblables, par touffes frisées qui semblaient semées par un fou à travers un grand visage de gendarme en jupes.

Elle en avait sur le nez, sous le nez, autour du nez, sur le menton, sur les joues; et ses sourcils d'une épaisseur et d'une longueur extravagantes, tout gris, touffus, hérissés, avaient tout à fait l'air d'une paire de moustaches placées là par erreur.

Elle boitait, non pas comme boitent les estropiés ordinaires, mais comme un navire à l'ancre. Quand elle posait sur sa bonne jambe son grand corps osseux et dévié elle semblait prendre son élan pour monter sur une vague monstrueuse, puis, tout à coup, elle plongeait comme pour disparaître dans un abîme, elle s'enfonçait dans le sol. Sa marche éveillait bien l'idée d'une tempête, tant elle se balançait en même temps; et sa tête toujours coiffée d'un énorme bonnet blanc, dont les rubans lui flottaient dans le dos, semblait traverser l'horizon, du nord au sud et du sud au nord, à chacun de ses mouvements.

J'adorais cette mère Clochette. Aussitôt levé, je montais dans la lingerie où je la trouvais installée à coudre, une chaufferette sous les pieds. Dès que j'arrivais, elle me forçait à prendre cette chaufferette et à m'assoir dessus pour ne pas m'enrhumer dans cette vaste pièce froide, placée sous le toit.

« Ca te tire le sang de la gorge », disait-elle.

Elle me contait des histoires, tout en reprisant le linge avec ses longs doigts crochus, qui étaient vifs; ses yeux derrière ses lunettes aux verres grossissants, car l'âge avait affaibli sa vue, me paraissaient énormes, étrangement profonds, doubles.

Elle avait, autant que je puis me rappeler les choses qu'elle me disait et dont mon coeur d'enfant était remué, une âme magnanime de pauvre femme. Elle voyait gros et simple. Elle me contait les événements du bourg, l'histoire d'une vache qui s'était sauvée de l'étable et qu'on avait retrouvée, un matin, devant le moulin de Prosper Malet, regardant tourner les ailes de bois, ou l'histoire d'un oeuf de poule découvert dans le clocher de l'église sans qu'on eût jamais compris quelle bête était venue le pondre là, ou l'histoire du chien de Jean-Jean Pilas, qui avait été reprendre à dix lieues du village la culotte de son maître volée par un passant tandis qu'elle séchait devant la porte après une course à la pluie. Elle me contait ces naïves aventures de telle façon qu'elles prenaient dans mon esprit des proportions de drames inoubliables, de poèmes grandioses et mystérieux; et les contes ingénieux inventés par des poètes et que me narrait ma mère, le soir, n'avaient point cette saveur, cette ampleur, cette puissance des récits de la paysanne.

II

Or, un mardi, comme j'avais passé toute la matinée à écouter la mère Clochette, je voulus remonter près d'elle, dans la journée, après avoir été cueillir des noisettes avec le domestique, au bois des Hallets, derrière la ferme de Noirpré. Je me rappelle tout cela aussi nettement que les choses d'hier.

Or, en ouvrant la porte de la lingerie, j'aperçus la vieille couturière étendue sur le sol, à côté de sa chaise, la face par terre, les bras allongés, tenant encore son aiguille d'une main, et de l'autre, une de mes chemises. Une de ses jambes, dans un bas bleu, la grande sans doute, s'allongeait sous sa chaise; et ses lunettes brillaient au pied de la muraille, ayant roulé loin d'elle.

Je me sauvai en poussant des cris aigus. On accourut; et j'appris, au bout de quelques minutes, que la mère Clochette était morte.

Je ne saurais dire l'émotion profonde, poignante, terrible, qui crispa mon coeur d'enfant. Je descendis à petits pas dans le salon et j'allai me cacher dans un coin sombre, au fond d'une immense et antique bergère où je me mis à genoux pour pleurer. Je restai là longtemps sans doute, car la nuit vint.

Tout à coup, on entra avec une lampe, mais on ne me vit pas et j'entendis mon père et ma mère causer avec le médecin dont je reconnus la voix.

On l'avait été chercher bien vite et il expliquait les causes de l'accident.

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