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La nuit de cristal

Fiche de lecture : La nuit de cristal. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  19 Octobre 2022  •  Fiche de lecture  •  3 424 Mots (14 Pages)  •  289 Vues

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La Nuit de cristal : récit d'un pogrom

Interview de Saul Friedländer dans L’Histoire, mensuel N°218, daté de février 1998

Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, une vague de violence sans précèdent se déchaîne contre les Juifs dans toute l'Allemagne nazie. A l'origine de ce pogrom : Hitler lui-même qui a mobilisé les troupes de la SS. Comment les « Allemands ordinaires » ont-ils réagi à cette tragédie ? Comment l'opinion internationale y a-t-elle répondu ? Et les Juifs, quelle a été leur attitude face à la persécution ? Les réponses de Saul Friedlànder.

L'HISTOIRE : La nuit du 9 au 10 novembre 1938 est restée dans l'histoire comme la « Nuit de cristal ». Pouvez-vous nous expliquer dans le détail ce qui s'est passé à ce moment-là ?

SAUL FRIEDLÀNDER : Pour bien comprendre l'enchaînement des événements, il faut remonter deux jours plus tôt. Le 7 novembre, un jeune Juif polonais habitant à Paris, Herschel Grynszpan, désireux de protester contre le sort réservé aux Juifs polonais, dont ses propres parents, brutalement chassés, quelques jours auparavant, par-delà la frontière de Pologne, achète un revolver, se présente à l'ambassade d'Allemagne, demande à voir un responsable et est envoyé au bureau du premier secrétaire, Ernst vom Rath. Il lui tire dessus et le blesse mortellement : vom Rath vivra encore deux jours, jusqu'au 9, et c'est important, car en Allemagne même il y a eu un début d'émeutes antijuives, mais très localisées, entre le 7 et le 9.

L'H. : Des émeutes spontanées, populaires ?

S. F. : On ne le sait pas très bien. Elles ont sans doute été déclenchées par des cadres locaux du parti, mais ce n'est pas non plus un déchaînement tout à fait organisé.

L'H. : Contrairement à ce qui s'est passé le 9?

S. F. : Rappelons d'abord que, tous les 9 novembre, les vétérans du parti se réunissaient à Munich pour commémorer le putsch manqué de 1923, et que Hitler était toujours présent à ces réunions ou se retrouvait la vieille garde du parti. Donc, le 9 dans l'après-midi, vom Rath meurt à Paris. Hitler l'apprend le soir à Munich, lors d'un dîner de la vieille garde. S'ensuit une conversation entre lui et Goebbels. Puis Hitler quitte précipitamment la salle. On sait aujourd'hui, parce qu'un fragment du journal de Goebbels a été retrouvé en ex-Union soviétique et publié très récemment, que Hitler lui a donné à ce moment-là l'ordre de mettre en route le mécanisme d'un pogrom à l'échelle nationale. 

Hitler parti, Goebbels fait devant les dignitaires du parti un bref discours leur annonçant que vom Rath est mort, et utilisant cette formule ambiguë et en fait parfaitement comprise par les assistants : là où la colère populaire se manifestera, il ne faudra pas que la police intervienne pour l'empêcher de s'exprimer. Ce qui signifie qu'il faut que la violence se déchaîne et que rien ne doit l'arrêter. Suivent des instructions très précises : il faut mettre le feu aux synagogues, détruire les magasins juifs.

L'H. : Il s'est agi, du début à la fin, de crimes commis par les SS ?

S. F. : C'était quelque chose de tout à fait organisé, et perpétré par des SA, des SS, des membres des Jeunesses hitlériennes et du Front du travail ; mais tous avaient reçu l'ordre de se présenter en civil pour donner l'impression qu'ils étaient des « Allemands ordinaires ».

L'H. : Revenons à la soirée du 9. Une fois ces ordres donnés... ?

S. F. : Cela se déclenche de la manière suivante : toute la vieille garde qui était présente à Munich - ce sont tous des Gauleiter (chefs régionaux) ou de très hauts membres du parti - se rue vers les téléphones pour informer ses troupes de ce qui vient d'être décidé. Et la machine se met en marche. Cela se passe partout de la même façon : les unités de SS et de SA se présentent à des points de rassemblement d'où elles se dirigent vers les quartiers juifs.

Prenons un exemple précis, celui de la ville d'Innsbruck - l'Autriche a été annexée à l'Allemagne par l'Anschluss de mars 1938. Il y a encore quelques familles juives à Innsbruck, bien que l'ordre ait été donné aux Juifs de province de se rassembler à Vienne s'ils ne pouvaient pas émi-grer. De petits groupes de SS se rendent d'une adresse à l'autre et exécutent les responsables de la communauté, tandis que d'autres mettent à sac les magasins juifs et brûlent les synagogues. Richard Berger, le plus haut dignitaire de la communauté, est sorti de son lit et emmené en voiture, en pyjama ; il est très nerveux : on lui dit qu'on va au siège de la Gestapo mais il se rend compte qu'on n'emprunte pas la bonne direction ; la voiture s'arrête au bord de l'Inn et on le jette dans la rivière après l'avoir tué à coups de crosse de revolver et lui avoir tiré dessus.

Quelles étaient exactement les instructions ? A-t-on donné l'ordre de tuer ? Sans doute, implicitement. Lorsque Goebbels est officiellement informé de la première mort, celle d'un Juif de nationalité polonaise, il répond qu'on ne va pas faire une histoire pour un Juif polonais. Ce qui indique à ceux qui l'entourent qu'on peut continuer dans ce sens. Très vite, il y a à peu près une centaine de morts.

L'H. : Les violences prennent fin au matin ?

S. F. : Cela continue pendant la matinée du 10, puis Hitler décide qu'il est temps d'arrêter, et le fait savoir à Goebbels.

L'H. : Au total, il y aura eu environ une centaine de morts ?

S. F. : Oui, sur le moment. Il y a eu des meurtres, mais aussi des suicides. Par la suite, environ trente mille hommes sont arrêtés et envoyés dans des camps, ce qui alourdit évidemment le bilan. Pour ce qui est des suicides, j'ai retrouvé un document qui dévoile parfaitement l'horreur et l'absurdité du système : la Gestapo d'Ingolstadt a fait un rapport sur Y«action» du 9 au 10 novembre, où il apparaît que tout «s'est passé sans difficultés » ; seulement, un couple juif s'est jeté dans le Danube, où il s'est noyé : le rapport s'interroge le plus sérieusement du monde sur les motifs de ce geste !

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