Modéles De bureaucratique

R.K. Merton et la personnalité bureaucratique

Dans deux articles célèbres, le sociologue américain R.K. Merton a montré que l’organisation bureaucratique entraîne des conséquences secondaires inattendues, contraires à ses objectifs et à ses principes.

Pour Merton, la discipline nécessaire pour obtenir le comportement standardisé souhaité entraîne le développement, chez les fonctionnaires, d’une attitude ritualiste, d'une sorte de "personnalité bureaucratique" qui consiste, par exemple, à considérer que la règle est « sacrée ». Il part, pour le démontrer, des concepts d' “ incapacité acquise ” de Veblen et de “ psychose professionnelle ” de Dewey et Warnotte. Les fonctionnaires reçoivent une formation et finissent, à force de pratique, par acquérir une personnalité qui est adaptée à la situation professionnelle au moment de leur embauche. Ainsi, on leur demande d'être méthodiques, prudents, disciplinés, en un mot, de se conformer exactement aux prescriptions de leur poste. Pour parvenir à cet endoctrinement, les organisations bureaucratiques développent des procédures idéologiques pour inculquer l'adhésion aux règles.

Mais les conditions peuvent changer et, du coup, la personnalité acquise n'est plus adaptée. Or, comme ce qui a été acquis c'est essentiellement un fort attachement aux règles, les individus ne vont pas accepter facilement de changer leurs comportements. Autrement dit, la formation peut être un handicap (on va privilégier l'application du règlement, plutôt que l'intérêt du destinataire du service). Et ce, parce que le fonctionnement bureaucratique lui-même encourage cette attitude. Merton parle des “ origines structurelles de la sur-conformité ”.

En effet, la mise en oeuvre de règles strictes, de programmes précis encadrant le comportement des salariés a pour conséquence de :

- diminuer les relations interindividuelles (mais, bien sûr, cela a l'avantage de diminuer l'arbitraire et la compétition) ;

- provoquer une intériorisation des règles au point qu'elles apparaissent comme des fins en soi et non plus des moyens d'atteindre des fins (“ déplacement des buts ”) ;

- faire renoncer à chercher des alternatives (on se contente de piocher dans des réponses toutes faites).

La rigidité comportementale qui en résulte leur rend difficile de répondre aux exigences particulières de leur activité. De plus, le fait d'appartenir à un groupe égalitaire crée un esprit de caste qui renforce cette rigidité et crée un fossé entre le fonctionnaire et son public. La règle est impersonnelle, générale, universelle. Or, chaque destinataire du service public veut être traité de façon unique, spéciale. Si un fonctionnaire s'y essaie, il risque de rencontrer l'hostilité de ses pairs et de la hiérarchie : on lui reprochera d'être corrompu ou de favoriser telle ou telle personne. Il va donc s'en abstenir. D'où une incompréhension mutuelle et des plaintes récurrentes.

En outre, la rigidité de comportement, les difficultés d’adaptation et les conflits avec le public renforcent le besoin de contrôle et de réglementation. Donc les conséquences inattendues et dysfonctionnelles tendent à renforcer l’emprise de la bureaucratie. Pour Merton, la dysfonction apparaît comme la résistance du facteur humain à un comportement qu’on essaie d’obtenir mécaniquement. A la suite de Merton, des travaux empiriques ont confirmé ces premières hypothèses.

On pourrait résumer son apport en comparant sa conception de la bureaucratie à celle de Weber (ou de Fayol).

Weber Merton

L'objectivité des règles constitue la réalité de l'organisation L'organisation formelle interagit avec une organisation informelle

La règle est rationnelle (spécifie les moyens pour atteindre l'objectif) La règle est produite également pour réduire les tensions dans la bureaucratie

L'ordre est impersonnel La règle peut légitimer les sanctions

La subjectivité du dirigeant s'efface derrière la règle On évite le face à face

La règle ne s'interprète pas La règle peut servir de marchandage

La hiérarchie et la division du travail sont des gages d'efficacité Elles conduisent également au comportement ritualiste et à l'apathie

Toutefois, comme le souligne Michel Crozier (1963, p. 220), Merton ne s'est pas demandé pourquoi, puisque les bureaucraties sont si dysfonctionnelles, si génératrices de cercles vicieux, continue-t-on à les développer. Pourquoi ne s'écroulent-elles pas, à force de dysfonctions ?

Philip Selznick et les rôles divergents des bureaucrates

Présentation

S'inspirant des travaux de Elton Mayo, et de l'importance des groupes dans le fonctionnement des organisations, Philip Selznick veut essayer de comprendre comment font les gouvernements, dans les sociétés contemporaines, pour respecter et promouvoir les principes démocratiques (BALLE, 1990). Pour lui, “ la démocratie a un rapport direct avec des moyens, des outils, des instruments qui définissent les rapports entre l'autorité et l'individu ” . Il veut, plus précisément, vérifier dans quelle mesure les institutions publiques, surtout celles qui se présentent comme démocratiquement fondées, échappent à la tendance à la technocratisation. En d'autres termes, les décisions et le fonctionnement des administrations publiques sont-elles sous le contrôle de la majorité des citoyens ou d'une élite d'experts ?

Pour répondre, Selznick va montrer que les structures informelles des organisations sont susceptibles d'en préciser et d'en modifier les buts (DESMAREZ, 1986, p. 133). L'étude la plus représentative de cette démarche est celle concernant la Tennessee Valley Authority (TVA), une institution publique, créée aux Etats-Unis en 1933, dans le cadre du New Deal, pour matérialiser la volonté de décentralisation et ainsi, contribuer au développement économique et social de la vallée du Tennessee . Elle avait pour mission, notamment, d'assurer l'approvisionnement des habitants

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