Eden ou limbe

2. ^[1]ÉDEN OU LIMBE             

AU COMMENCEMENT DIEU CRÉA LE CIEL ET LA TERRE,IL Y EUT LE JOUR ET LA NUIT

IL Y EUT L’HOMME ET LA FEMME…

Je l’avais aimé éperdument ! Pourquoi aime-t-on ? Est-ce bizarre de ne plus voir dans le monde qu’un être ,de n’avoir dans l’esprit qu’une pensée,dans le cœur qu’un désir et dans la bouche qu’un nom,un nom qui monte incessamment ,qui monte comme de l’ eau d’une source ,des profondeurs de l’âme,qui monte aux lèvres,et qu’on murmure sans cesse partout telle une prière.

Je ne conterai point notre histoire,l’amour n’en a qu’une,toujours la même et sans exception,je l’avais rencontré et aimé,voilà tout,j’avais vécu pendant des années dans sa tendresse dans ses bras dans sa caresse dans son regard dans sa parole enveloppée lié emprisonné dans ce qui venait de lui d’une façon si complète  que je ne savait plus s’il faisait jour ou nuit, si j’étais morte ou vivante sur la terre ou ailleurs .

Et voila qu’il mourut.Comment ? Je ne sais pas ,je ne sais plus il rentra mouiller un soir de pluie et le lendemain il toussait .Que s’est-il passé ? Je ne sais plus son front brûlant et humide , son regard brillant et triste je lui parlais il me répondait que nous sommes nous dit je ne sais plus j’ai tout oublié ! Il mourut je me rappelle très bien de ce petit soupir,le dernier…

Après l’enterrement je rentrai chez moi .Quand je revis ma chambre notre chambre notre lit nos meubles toute cette maison où est resté tout  ce qui reste de la vie d’un être après sa mort . Je fus saisie par un retour de chagrin si fort que je faillis ouvrir la fenêtre et me jeter dans la rue .Ne pouvant plus demeurer au milieu de ces choses ,de ces murs qui l’avaient enfermé,abrité et qui devait garder dans leur imperceptibles fissures mille atomes de lui de sa chair et de son souffle.

Je sortis malgré moi sans savoir sans le vouloir , j’allais vers le cimetière je trouvais sa tombe toute simple une croix en marbre avec ces quelques mots «  il aima fut aimé et mourut » il était là dessous ! Pourri ! Quelle horreur ! Je sanglotais le front sur le sol je restais longtemps , longtemps .puis je m’aperçus que le soir venait , alors un désir bizarre ,fou un désir d’amante désespérée s’empara de moi je voulu passer une dernière nuit près de lui , une dernière nuit à pleurer sur sa tombe.

Quand la nuit fut noire très noire , j’entendis mon cœur battre et j’entendis autre chose aussi ! Quoi ? Un bruit confus innommable ! Était-ce dans ma tête , dans la nuit impénétrable ou sous la terre mystérieuse ensemencée de cadavres humains.Je regardais autour de moi ! Combien de temps suis je resté là?Je ne sais pas . J’étais paralysé par la terreur ,j’étais ivre d’épouvante prête a hurler prête a mourir .Et soudain il me sembla que le dalle de marbre sur la quelle j’étais assise remuait. D’un bond je me jetai sur le tombeau voisin et je vis la pierre que je venais de quitter se dresser toute droite ; le mort apparut comme un squelette nu qui de son dos courbé la rejetait.Je voyais très bien , quoique la nuit fut profonde .Sur la croix je pus lire : «  ici repose Antony Bridgerton décédé a l’age de cinquante et un ans , il aimait les siens fut honnête , bon et mourut dans la paix du seigneur »

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