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L'absence de pouvoir de modulation du juge en présence d'une sanction à taux unique satisfait-elle aux exigences de l'article 6, § 1 de la Convention ?

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Par   •  12 Octobre 2014  •  2 508 Mots (11 Pages)  •  1 014 Vues

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puis plusieurs années, une question taraude les fiscalistes et spécialistes de contentieux : l'absence de pouvoir de modulation du juge en présence d'une sanction à taux unique satisfait-elle aux exigences de l'article 6, § 1 de la Convention ? Telle était précisément la question posée à la Cour de Strasbourg dans l'affaire Segame. Sa réponse était d'autant plus attendue que le Conseil d'État avait conclu, dans la même affaire (CE, 27 juin 2008, n° 301343, Sté Segame : JurisData n° 2008-081349 ; Dr. fisc. 2008, n° 38, comm. 501, concl. L. Olléon), à l'absence de violation de l'article 6, § 1 et que le Conseil constitutionnel avait déclaré conforme à la Constitution diverses sanctions fiscales à taux unique (Cons. const., déc., n° 2010-103 17 mars 2011 QPC, Sté Seras II. - Cons. const., déc., n° 2010-104 17 mars 2011 QPC, Épx Bertrand : Dr. fisc. 2011, n° 27, comm. 416, F. Subra, M. Le Tacon. - M. Afroukh, QPC et droit européen des droits de l'homme. La modulation des peines : RFDA 2012, à paraître).

En l'espèce, la société requérante, gérante d'une galerie d'art, fit l'objet de redressements fiscaux concernant des rappels sur la taxe sur les objets d'art, rappel assorti de l'amende prévue par le Code général des impôts, qui était alors égale à 100 % des droits éludés. La requérante forma en vain une réclamation auprès de l'administration fiscale, arguant de l'incompatibilité de cette taxe avec le droit de l'Union européenne ainsi qu'avec la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Elle saisit alors les juridictions administratives de recours de plein contentieux. Durant la procédure, une ordonnance (Ord. n° 1512, 7 nov. 2005) réduisit l'amende de 100 % à 25 % des droits éludés, ce qui permit à la requérante de bénéficier du dégrèvement subséquent, mais ses recours furent rejetés. Enfin, le Conseil d'État rejeta sa requête en juin 2008 estimant que le pouvoir de pleine juridiction du juge administratif n'impliquait pas qu'il puisse moduler le taux de l'amende lorsque le législateur avait retenu un taux unique.

Devant la Cour européenne, la requérante invoquait une violation de l'article 6, § 1 de la Convention estimant qu'en vertu de la disposition litigieuse, le juge de l'impôt ne disposait pas d'un pouvoir de pleine juridiction qui lui permette de moduler l'amende en proportion de la gravité des faits reprochés au contribuable.

2. ANALYSE

L'apport de l'arrêt se mesure aux incertitudes entourant jusqu'ici la notion de pleine juridiction en matière pénale. Certes, l'arrêt Segame ne lève pas toutes les ambiguïtés mais il participe à clarifier la position de la Cour en la matière.

A. - La pleine juridiction en matière pénale, une notion aux contours incertains

La notion de « compétence de pleine juridiction » est un critère de définition du « tribunal » au sens européen (V. notre thèse, Le droit à un tribunal au sens de la CEDH : Dalloz, 2006, p. 377 et s.). C'est essentiellement dans le cadre des sanctions administratives ou disciplinaires que cette notion a trouvé son utilité, dans ces contentieux, le juge n'étant pas amené à trancher directement le litige mais à contrôler la décision prise par un organe administratif ou disciplinaire intervenu antérieurement. Toutefois, le contenu précis de la notion de pleine juridiction en matière pénale a soulevé, ces dernières années, de nombreuses interrogations.

La position de principe de la Cour est exprimée dans les affaires rendues en 1995 (V. CEDH, 23 oct. 1995, n° 15523/89, Schmautzer c/ Autriche, § 36), d'ailleurs citées dans l'arrêt Segame (§ 55), dans lesquelles elle considère que « parmi les caractéristiques constitutives d'un organe judiciaire de pleine juridiction » figure « le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise, rendue par l'organe inférieur ». Restait à déterminer la signification de ce pouvoir de réformation. Dans les arrêts de 1995, la Cour a condamné l'impossibilité pour le juge de substituer sa propre appréciation des faits à celle de l'Administration, le pouvoir de réformation semblait donc impliquer un pouvoir de substitution. La question de la conventionalité des sanctions forfaitaires est cependant venue semer le doute quant à l'étendue de ce pouvoir. Ces sanctions sont problématiques au regard de l'exigence de pleine juridiction dans la mesure où c'est le législateur qui fixe le barème des sanctions en fonction de la gravité des faits, le pouvoir du juge se limitant à vérifier que les conditions légales sont remplies sans pouvoir individualiser la sanction. Ce type de sanctions étant très répandues dans le droit fiscal et dans le contentieux du permis de conduire, rapidement la question de leur conformité aux exigences de l'article 6, § 1 s'est posée aux juges français. Révélateur des difficultés à appréhender le contenu de la notion de pleine juridiction, les juges judiciaire et administratif ont adopté des solutions opposées. La Cour de cassation a ainsi jugé que lorsque la loi ne prévoit pas de modulation de la sanction en fonction du comportement du contrevenant, c'est au juge, dans l'exercice de son pouvoir de pleine juridiction, d'exercer cette modulation (Cass. com., 29 avr. 1997, n° 95-20.001 : JurisData n° 1997-001869 ; JCP G 1997, II, 22935, note F. Sudre). Le Conseil d'État a quant à lui estimé que l'exigence de pleine juridiction ne signifiait aucunement que le juge doive disposer d'un pouvoir de modulation (CE, avis, n° 176611, 12 avr. 1996, Houdmond : Dr. fisc. 1996, n° 25, comm. 765, concl. J. Arrighi de Casanova. - CE, avis, n° 195664, 8 juill. 1998, Fattell : RJF 1998, p. 637, concl. J. Arrighi de Casanova, avis rendu sous l'angle de la CEDH).

Tempérant les implications de la jurisprudence Schmautzer, les organes de Strasbourg vont également admettre la conventionnalité de ces sanctions forfaitaires, qu'il s'agisse de pénalités fiscales (Comm. EDH, 29 juin 1998, n° 36118/97, Taddéi c/ France) ou de sanctions de retrait de points du permis de conduire (CEDH, 23 sept. 1998, n° 27812/95, Malige c/ France). La portée de cette jurisprudence restait cependant incertaine, il semblait que la conventionnalité résultait du fait que le législateur ait lui-même prévu un barème de sanctions en fonction des faits reprochés. La jurisprudence ultérieure va définitivement ruiner tout effort de mise en cohérence de la position du juge européen. Ainsi, dans un arrêt concernant une

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