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Albert Camus - Epilogue De L'Etranger

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Par   •  9 Juin 2012  •  2 669 Mots (11 Pages)  •  3 271 Vues

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Albert Camus - Epilogue de L'Etranger

Alors, je ne sais pas pourquoi, il y a quelque chose qui a crevé en moi. Je me suis mis à crier à plein gosier et je l'ai insulté et je lui ai dit de ne pas prier. Je l'avais pris par le collet de sa soutane. Je déversais sur lui tout le fond de mon cœur avec des bondissements mêlés de joie et de colère. Il avait l'air si certain, n'est-ce pas ? Pourtant, aucune de ses certitudes ne valait un cheveu de femme. Il n'était même pas sûr d'être en vie puisqu'il vivait comme un mort. Moi, j'avais l'air d'avoir les mains vides. Mais j'étais sûr de moi, sûr de tout, plus sûr que lui, sur de ma vie et de cette mort qui allait venir. Oui, je n'avais que cela. Mais du moins, je tenais cette vérité autant qu'elle me tenait. J'avais eu raison, j'avais encore raison, j'avais toujours raison. J'avais vécu de telle façon et j'aurais pu vivre de telle autre. J'avais fait ceci et je n'avais pas fait cela. Je n'avais pas fait telle chose alors que j'avais fait cette autre. Et après ? C'était comme si j'avais attendu pendant tout le temps cette minute et cette petite aube où je serais justifié. Rien, rien n'avait d'importance et je savais bien pourquoi. Lui aussi savait pourquoi. Du fond de mon avenir, pendant toute cette vie absurde que j'avais menée, un souffle obscur remontait vers moi à travers des années qui n'étaient pas encore venues et ce souffle égalisait sur son passage tout ce qu'on me proposait alors dans les années pas plus réelles que je vivais. Que m'importaient la mort des autres, l'amour d'une mère, que m'importaient son Dieu, les vies qu'on choisit, les destins qu'on élit, puisqu'un seul destin devait m'élire moi-même et avec moi des milliards de privilégiés qui, comme lui, se disaient mes frères. Comprenait-il, comprenait-il donc ? Tout le monde était privilégié. Il n'y avait que des privilégiés. Les autres aussi, on les condamnerait un jour. Lui aussi, on le condamnerait. Qu'importait si, accusé de meurtre, il était exécuté pour n'avoir pas pleuré à l'enterrement de sa mère ? Le chien de Salamano valait autant que sa femme. La petite femme automatique était aussi coupable que la Parisienne que Masson avait épousée ou que Marie qui avait envie que je l'épouse. Qu'importait que Raymond fût mon copain autant que Céleste qui valait mieux que lui ? Qu'importait que Marie donnât aujourd'hui sa bouche à un nouveau Meursault ? Comprenait-il donc, ce condamné, et que du fond de mon avenir... J'étouffais en criant tout ceci. Mais, déjà, on m'arrachait l'aumônier des mains et les gardiens me menaçaient. Lui, cependant, les a calmés et m'a regardé un moment en silence. Il avait les yeux pleins de larmes. Il s'est détourné et il a disparu.

Lui parti, j'ai retrouvé le calme. J'étais épuisé et je me suis jeté sur ma couchette. Je crois que j'ai dormi parce que je me suis réveillé avec des étoiles sur le visage. Des bruits de campagne montaient jusqu'à moi. Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes. La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée. À ce moment, et à la limite de la nuit, des sirènes ont hurlé. Elles annonçaient des départs pour un monde qui maintenant m'était à jamais indifférent. Pour la première fois depuis bien longtemps, j'ai pensé à maman. Il m'a semblé que je comprenais pourquoi à la fin d'une vie elle avait pris un « fiancé », pourquoi elle avait joué à recommencer. Là-bas, là-bas aussi, autour de cet asile où des vies s'éteignaient, le soir était comme une trêve mélancolique. Si près de la mort, maman devait s'y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne n'avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine.

De "Alors, je ne sais pas pourquoi,..." à "... avec des cris de haine."

Ce texte est un extrait de l'épilogue du roman L'Etranger de Albert Camus, grand écrivain du XXème siècle, qui, avec L'Etranger en 1942, accède à la célébrité. Il met en scène Meursault, le personnage principal accablé par son quotidien, refusant de jouer le jeu du conformisme social, il vit au jour le jour.

L'Etranger retrace une partie de la vie de cet employé de bureau qui tient une sorte de journal de bord dans lequel le lecteur plonge dans le quotidien de cet individu. Un jeu de circonstance l'amène à tuer un arabe.

A l'article de la mort, l'aumônier pénètre dans la cellule de Meursault, la conversation s'engage entre les deux hommes, les paroles de douceur et d'espoir mettent Meursault hors de lui ; la tentative de repentir Meursault échoue et ce dernier se précipite sur l'aumônier le saisit au collet et l'insulte, c'est alors que Meursault a une terrible révélation : tout homme naît pour mourir, d'une façon ou d'une autre nous sommes tous destinés à mourir.

Le passage est un long pathétique mais à la fois tragique monologue où s'opposent la croyance et la réalité, la révolte, les pensées enfouies et la nuit estivale mais aussi deux subjectivités : celle du condamné et la condition humaine.

Deux axes de lecture constitueront notre étude, le premier : La révolte de Meursault et le second, le regard de Meursault « l'homme absurde » sur la vie.

I. La révolte de Meursault

Meursault a toujours fait preuve d'impassibilité, là, dès le premier paragraphe, la colère l'a envahit sans qu'il ne sache réellement pourquoi « alors, je ne sais pas pourquoi, il y a quelque chose qui a crevé en moi ». On remarque le champ lexical de la colère qui peint l'atmosphère dans la cellule, citons « je me suis mis à crier à plein le gosier », « je l'ai insulté », « pris par le

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