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Parole De Peintre

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Par   •  6 Février 2013  •  2 218 Mots (9 Pages)  •  1 173 Vues

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Analyse du texte «Parole de peintre»

Extrait du discours de Fernand Léger au 4ème Congrès International d'Architecture Moderne (CIAM), à Athènes, en 1933.

Introduction

Fernand Léger (1881-1955) est un peintre français qui sera souvent désigné comme le « pionnier du cubisme ». Dès son adolescence, il travaille avec un architecte, en Normandie, sa région natale, avant de s’installer à Paris pour fréquenter l’Ecole des Arts décoratifs tout en continuant à travailler chez un photographe et un architecte. En peinture, ses début sont plutôt marqués par l’impressionnisme, et il n’introduira que plus tard la notion de contraste, puis de mécanique, qui lui permettra de rendre compte de la vie moderne. Ami de Paul Cézanne, il rencontre en 1920 Le Corbusier et Piet Mondrian, avec lesquels il échange notamment ses idées modernistes. Après La Joconde aux clés (1930), sa recherche picturale s’oriente vers un retour à la figure d'une part et un développement de recherches décoratives, en liaison avec l'architecture et le mur, de l'autre.

Au début des années 1930, l'œuvre de Fernand Léger est saluée par une reconnaissance internationale. Ses liens avec les architectes l'incitent à participer au Congrès International d’Architecture Moderne (CIAM) de 1933 où il prononce le discours dont est extrait notre texte.

Les congrès internationaux d'architecture moderne sont animés par le réseau principal des architectes européens du courant moderne. Fondés en 1928 et dissous en 1959, ils sont destinés à élaborer et consolider les théories urbanistiques de ces architectes qui visent à promouvoir une architecture et un urbanisme fonctionnels. L’année 1933 est par ailleurs marquée par le lancement de programmes de logements sociaux de grande ampleur et de restructuration urbaine, et marque un véritable tournant dans l’histoire de l’architecture.

Dans cet extrait du défenseur d'idées modernistes et autorité en matière d’art, le propos s’articule autour de deux axes principaux, le constat accusateur, que Fernand Léger dresse de l’architecture et des architectes, et l’esquisse de solutions en la matière, tout en élaborant, en filigrane, un véritable manifeste sur le métier d’architecte.

1. Un constat ou une accusation ?

Fernand Léger interpelle vivement les architectes dès la première ligne, « Vous êtes partis à toute allure sans souci de dégâts », en utilisant le pronom « vous », mais aussi un terme plutôt négatif puisqu’il leur fait reproche de « dégâts ». La première phrase renvoie également à la notion de temps (« à toute allure ») omniprésente dans le texte. L’accusation de Léger se fait encore plus prononcée, voire violente, dans l’image du mur contre lequel on ne peut s’empêcher de visualiser des condamnés au peloton : « vous les déshabillez, et vous les collez complètement ahuris devant le « mur » » (l. 33-34) ; comme si les architectes imposaient leur vision sans aucun respect pour la liberté ou l’humain qu’ils déshabillent. D’autant que devant ce mur envoie à une fin, sans aucune échappatoire, qui serait ici la fatalité de l’histoire. Une expression imagée qui cherche à secouer les architectes, mais qui renvoie également à une notion réelle de ce que les architectes modernes sont en train de faire : imposer un mur monochrome sans essayer de faire un lien avec le passé, « vous l’imposez radicalement » (l. 37).

Léger souhaite faire comprendre aux architectes que leur raisonnement n’est pas le bon, et que le fait qu’ils n’en soient pas conscients et une aberration. « Le mot « urbanisme » veut désormais dominer la question esthétique » (l. 21-22), il personnifie le mot « urbanisme » pour mettre en évidence la domination de l’esthétique par l’urbain. Il tourne en dérision les architectes qu’il juge totalement aveugles à de telles évidences. De même, Fernand Léger emploie l’ironie afin de mettre l’accent sur le hors sujet des architectes, « Messieurs les architectes, au point de vue artistique je vous dis : bravo ! » (l. 44-45). Il veut mettre l’attention sur l’humain.

Le peintre, dans cette critique, souligne également la notion de durée qui soulève une question majeure dans la démarche architecturale esthétique. Dans les deux paragraphes de la fin du texte traitant des extérieurs et des maisons nouvelles l. 69 à 88, on remarque la présence d’un vocabulaire négatif témoignant du temps lorsqu’il parle des architectures du moment : « vieillissent mal » l.70, « l’usure » l.73, « s’effacent » et « disparaît » l.77 ; alors que lorsque qu’il traite les architectures anciennes ce vocabulaire prône le positif « cette patine » l.80. Léger veut ici montrer par ces termes que la notion de temps dans les architectures plus anciennes a été prise en compte alors que dans celle du moment cette-dernière a malheureusement été perdue, « actuellement ; elles ne se patinent pas ; elles se salissent ».

Tout au long du texte, le temps joue d’ailleurs un rôle essentiel aussi en termes de réflexion et de démarche architecturale. En disant « [qu’] au point de vue urbain-social, vous avez exagéré par excès de vitesse » (l.47-48), Fernand Léger insiste sur le fait que les architectes n’ont accordé que trop peu de temps et d’attention à l’urbain, n’ont fait que survolé leur étude – et il utilisa la métaphore de l’« excès de vitesse », c’est-à-dire que leur attitude renvoie à une infraction à la justice, un délit. Selon Léger, les architectes sont en réelle infraction dans leur démarche envers l’urbain.

Les métaphores permettent également à Fernand Léger d’exposer la rupture que les architectes ont créé entre eux et l’urbain : « Vous êtes partis à une telle allure que vous n’avez pas regardé derrière vous » (l. 63-64-65). Encore une fois, l’objectif du peintre est de provoquer une prise de conscience des architectes auxquels il s’adresse au Congrès. Or, « L’urbain [...] l’a observé », l.86-87, sous-entendu que ce n’est pas le cas pour les architectes et que désormais il est de leur ressort de « trouver une solution au problème » l.88. Avant cela il se permettra de donner quelques conseils..

A présent, insiste-t-il, les architectes veulent étendre leurs « formules » au plus grand nombre alors que le plus grand nombre n'est pas forcément prêt à les recevoir et à les accepter. Il explique que la démarche est motivée, par certains aspects, au fait que dans les années 1930, la quantité d'opérations de construction de logements sociaux augmente de manière non négligeable, un nouveau champ d’exploration qui attire un certain nombre d'architectes. Ainsi, jusqu’alors, les bâtiments dessinés par les architectes étaient, d'une certaine manière, réservés à des « des élites » capables de les apprécier, alors que le biais du logement social va les rendre accessibles à tous.

2. Des solutions ?

Le peintre énonce très clairement le fait que « vous [les architectes] devez trouver une solution au problème. » (l. 87-88), « Qu’allez-vous faire ? » (l. 66).

Toutefois, loin de conclure sur cette interrogation, Fernand Léger fournit un début de solution à son auditoire. Pour lui, les architectes doivent « prendre contact, [se] tremper dans la matière première, marcher dans la même boue et la même poussière. » Les architectes doivent interroger les publics sur leur projet, en se mêlant à eux, en prenant contact avec la réalité pour laquelle et dans laquelle ils construisent. C'est dans le contexte historique des grands programmes de logements sociaux que Fernand Léger prend position, en défendant le droit de « l'urbain » de se prononcer sur une architecture issue de « l'urbanisme » mais faite pour lui dans un domaine « social. »

En vue de la disparition de toutes ces ruptures, Fernand Léger pense qu’il faut inverser le rapport entre l’urbain et l’esthétique qu’il y avait auparavant : l’urbain doit dominer l’esthétique, quitte à ce que ce dernier disparaisse, « Le mot « urbanisme » veut désormais dominer la question esthétique » l. 22-23, « Si vous voulez faire de l’urbanisme, je crois qu’il faut oublier que vous êtes des artistes. Vous devenez des sociaux. » l.48-49-50. Léger veut aussi signifier, d’après la phrase précédente, que traiter de l’urbain n’est pas une obligation, les architectes ont le choix, mais s’ils le veulent les artistes qui sont en eux doivent disparaître. Les architectes, jusqu’à ce jour, faisaient dans la qualité (artiste), mais désormais, d’après Léger, ils doivent faire dans la « quantité habitable » (social/urbain), c’est-à-dire, faire du bâti pour la majorité et non pas pour l’esthétisme. Ceci rejoint la pensée de Bernard Lassus, un de ses anciens élèves, sur le fait que les gens étaient contrariés de ce qui leur était imposé dans leurs maisons construites « sans eux, pour eux ». Lassus disait qu’il fallait faire « éponge » d’un lieu pour adopter l’« attention flottante », s’en imprégner avant d’intervenir. C’est une idéologie forte, proche de la réflexion de Léger qui reproche aux architectes de ne pas assez s’imprégner de l’humain.

Le dernier paragraphe de cet extrait est particulièrement vif. Fernand Léger insiste encore sur ce que les architectes doivent (et non « devraient ») adopter comme méthode, s’adressant à eux dans un ton impératif très directif « Mettez vos plans dans vos poches, descendez dans la rue, écoutez-les respirer, vous devez prendre contact, vous tremper dans la matière première, marcher dans la même boue et la même poussière » (l.93 à 97). L’énumération souligne l’effet inéluctable de la solution qu’il propose, tout en donnant l’impression que la démarche doit se répéter sans cesse. Le peintre insiste pour dire que l’architecture est avant tout une rencontre de l’humain, un vécu, une expérience. Toutefois, il est à souligner que les propos de Fernand Léger utilisent de nombreux qualificatifs péjoratifs pour décrire la majorité à laquelle doivent s’intéresser les architectes. Les « urbains » seraient « Ces gens là, simples, lents, timides » (l.33-34), et les architectes doivent, pour les rencontrer, « marcher dans la même boue et la même poussière » (l.96-97), comme si Fernand Léger voulait rabaisser ces humains des « moyennes », de la même manière qu’il rabaisse les architectes depuis le début de son discours.

Léger veut montrer que le temps des élites est terminé, du moins en architecture et que désormais l’important est dans l’urbain, dans la majorité, pour ceux qui en ont le plus besoin. « Je crois ne pas me tromper à constater que l’architecture moderne jusqu’à ce jour est, elle aussi, admise par quelques-uns » (l.18-19-20). Pour sa part, en tant que peintre, Fernand Léger comprend le phénomène qu’il vit, lui aussi à travers l’art, mais il se sert de son statut d’artiste afin de faire une distinction entre l’art et l’architecture et inversement.

3. Art ou architecture ?

Dans son discours au CIAM d'Athènes, Fernand Léger commence son discours par un « Messieurs les architectes, au point du vue artistique je vous dis : bravo ! », introduisant dès le départ une nuance avec le mot « artistique ».

En dressant son constat du travail des architectes modernes au moment du CIAM d'Athènes en 1933, Fernand Léger aborde le fait que les architectes construisent sous des « formules pures et radicales » et qu'ils ont « découvert une nouvelle matière première architecturale, qui est « air et lumière » » (on reste dans le domaine de l'art). Jusqu'à présent, c'étaient des minorités qui admettaient les architectures soumises à ces « formules », comme Fernand Léger les appelle. Il rappelle à ce propos la parenté, avec le domaine de l'Art, soulignant que « Cette minorité, nous les peintres, nous connaissons cela. » (l.14). Il confirme que tout le monde ne comprend pas forcément l'architecture comme tout le monde ne comprend pas forcément la peinture – la réceptivité face à l’art reste du domaine des minorités – des élites.

Il précise ensuite que les architectes veulent se faire urbanistes, une fonction qu'il souligne comme différente, sinon paradoxale de l'art. Rapidement il relie l'urbanisme au social (« Urbanisme, c'est social. »), et précise que « Si vous [les architectes] voulez faire de l'urbanisme, je crois qu'il faut oublier que vous êtes des artistes. » Fernand Léger exprime donc en filigrane le concept qu'être architecte est un état complexe profondément apparenté à l'état d'artiste. Il indique que cet état peut évoluer, et s’enrichir, comme ici, de l’état d’urbaniste pour dériver vers le social (domaine inhérent à l’urbanisme), mais qui présente certaines contradictions avec l’état initial d’artiste (« oublier que vous êtes des artistes »).

Conclusion

Lors du Congrès d’Athènes, Fernand Léger tente de réveiller les architectes – avec sa sensibilité de peintre, ses connaissances en architecture, mais aussi avec sa dextérité en matière de style. Jouant sur l’ironie et sur des images fortes, il « tire la sonnette d’alarme » pour mieux éveiller les consciences. Il dresse d’abord un constat qui prend très rapidement la forme d’une véritable dénonciation avant de proposer un début de solution. Défenseur des idées modernistes, nanti d’une indéniable autorité en matière d’esthétique, il montre la voie aux architectes en critiquant d’une part la durabilité des architectures – qui ne résistent pas au temps d’un point de vue esthétique – et, d’autre part, en soulignant l’importance de l’urbain. Pour lui, l’architecture ne doit pas dépasser ceux qui la pratiquent, ces « urbains » qui forment la majorité.

Dans ce texte, Fernand Léger offre une sorte de manifeste aux architectes : l’architecture doit tenir compte de ceux qui l’habitent parce qu’elle n’est pas seulement une esthétique (destinée aux minorités élitistes, seules capables de l'apercevoir), mais aussi fonction, et doit se tourner vers les majorités qui en font usage.

Camille Lefebvre, S05.

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