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Sujet dissertation - garder en mémoire

Dissertation : Sujet dissertation - garder en mémoire. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  6 Juin 2020  •  Dissertation  •  1 542 Mots (7 Pages)  •  526 Vues

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Garder en mémoire

 

Le cose disunite s’uniranno e riceveranno in sé tal virtù che renderanno la persa memoria alli omini. Cioè i palpiri che sono fatti di peli disuniti e tengano memoria delle cosse e fatti delli omini.

« Les choses désunies s’uniront et acquerront la faculté de rendre aux hommes leur mémoire perdue : ce sont les papyrus, qui sont faits de brins désunis et gardent la mémoire des choses et des actions humaines. »

Léonard de Vinci, Maximes, fables et devinettes

Remarques méthodologiques.

Sujet à la fois simple et compliqué, parce que l’expression, prise en un sens très général, veut dire tout simplement « mémoriser », et le risque est alors de se noyer dans un cours sur la mémoire. Il faut donc au contraire donner des sens forts au verbe. Garder c’est certes conserver, et le sujet renvoie déjà à l’idée même que la fonction de la mémoire serait essentiellement conservatrice, ce qui ne va pas forcément de soi. Mais il y a aussi le sens de « protéger » : garder un dépôt, ce n’est pas seulement l’ « avoir », c’est faire en sorte qu’il ne soit pas volé. On peut certes garder des prisonniers, mais aussi des secrets.

On peut aussi voir une nuance entre deux expressions : garder « en » mémoire, et garder « la » mémoire (« j’ai gardé toute ma vie la mémoire de cet événement », au sens du souvenir bien sûr). La première renvoie à l’intériorité, à l’idée bien connue de la mémoire comme lieu, profondeur, intimité etc. La deuxième plutôt à la façon dont nous sommes marqués par des souvenirs. Beaucoup de copies ont d’ailleurs construit leur propos sur l’opposition du volontaire et de l’involontaire, ce qui était pertinent au sujet, même si un peu répétitif pour le correcteur.

Surtout, comme je l’ai indiqué, si les résultats ont été corrects, j’ai été frappé par le peu d’intérêt pour les aspects matériels de la conservation. Comme le dit Léonard de Vinci, l’objet matériel possède une capacité de garder la mémoire humaine par sa construction même. Aujourd’hui nous avons les moyens de « tout » garder en mémoire, mais que signifie ce « tout » ? Nous nous déchargeons sur des supports justement parce que nous savons que notre mémoire est faible. Sachant cela, la question n’est pas tant de savoir s’il serait « bien » de pouvoir tout conserver, car cela conduit au retour éternel de Funès, exemple qui n’en est justement pas un : aucun homme ne souhaite devenir comme Funès, mais peut-être rêvons-nous d’acquérir une mémoire extraordinaire. Le paradoxe du personnage de Borgès c’est justement qu’il ne « garde » rien en mémoire (au sens de quelque chose sur lequel il pourrait veiller), parce qu’il « garde » tout (au sens d’une pure conservation).

  1. Le propre de la mémoire est-elle la conservation ?

  1. Il semble bien, puisque c’est la fonction première qui définit cette faculté : si l’on enregistrait sans conserver, on ne pourrait rappeler… Mais l’idée de garder donne l’impression que la mémoire est comme un « réservoir » qui « stockerait » l’information. Pourtant, alors même que les neurologues utilisent le terme de « stocker », ils ne l’entendent pas comme un contenu fixe situé dans un lieu précis, mais comme des excitations plus ou moins facilitées, sur le modèle de la potentialisation à court ou à long terme. C’est bien pour cela que les souvenirs ne sont pas des réalités fixes, mais des circuits se recombinant.
  1. Faut-il en déduire que l’image de la conservation serait fausse ? En fait, elle a une fonction. Quand les rhéteurs expliquent comment nous pouvons construire des lieux pour mieux « garder en mémoire », ils ne prennent pas partie sur le fonctionnement matériel, mais sur le pouvoir que nous avons sur une partie de notre mémoire. Nous « gardons » des images comme nous conservons des livres dans une bibliothèque. Et, comme toute métaphore, il faut prendre garde qu’elle ne dit pas tout sur la mémoire : il va de soi que si ces lieux ne sont pas régulièrement « entretenus », les images disparaîtront, alors que les livres demeurent (à moins évidemment d’une destruction physique, incendie, inondation…).
  1. Plus même, on peut penser que « garder en mémoire » exprime la profondeur même de l’esprit humain. Si nous ne gardions rien, que serions-nous ? Certes, Locke dit que les souvenirs ne sont à proprement parler « nulle part ». Ce qui lui importe, ce n’est pas l’idée de conserver, mais de se rapporter à… Mais on peut au contraire envisager notre âme comme ce qui garde notre passé, et davantage : nos idées. C’est le modèle augustinien de la mémoire, qui n’est en fait pas contradictoire avec l’idée dynamique du « rappel » : nous puisons dans un « palais », mais nous puisons toujours au présent.

Transition : On voit que l’idée de « garder » n’est finalement rien d’autre que l’image même de la puissance de la mémoire. Or, n’est-ce pas paradoxalement sa fragilité qui devrait conduire à défendre l’idée d’une préservation ?

  1. Garder, une tâche nécessaire.
  1. Il est en effet curieux que l’on valorise tant cette capacité conservatrice de l’âme alors même qu’elle ne cesse de révéler des failles : défaillances diverses, oublis, interruptions, modifications, reconstructions… L’image augustinienne est donc peut-être douteuse justement parce qu’il faudrait la prendre à la lettre : ce n’est pas notre mémoire qui est un « palais », ce sont des « palais » qui sont la vraie mémoire… En d’autres termes, que vaudraient la fonction conservatrice de la mémoire sans la capacité d’en confier le contenu à la « garde » de supports solides ?
  1. À ce titre, on pourrait envisager la culture dans son ensemble comme un système de garde, de préservation, on pourrait presque dire de sauvetage de la mémoire. La culture orale ne fait pas exception. Le fait même de transmettre de générations en générations implique une conscience de la fragilité d’une mémoire qui ne reposerait que sur un individu : il faut sans cesse qu’il y ait des élèves, disciples, fils etc. qui recueillent la tradition. La mémoire des exploits d’Achille et d’Ulysse a été conservée jusqu’à nous parce qu’une tradition s’est mise en place bien avant Homère, et que son texte a fait l’objet d’une transmission régulière.
  1. Mais derrière le prestige des grands évènements, il ne faut pas oublier que l’homme est peut-être cet être obsédé par l’idée de « tout » garder en mémoire. L’écriture a été inventée pour tenter de contrôler l’administration et l’histoire officielle. Aujourd’hui, jamais les capacités de conservation n’ont été aussi grandes. Les supports électroniques constituent la plus vaste mémoire jamais conçue. L’idée de « tout » garder prend peut-être un sens concret.

Transition : Mais cela laisse pendante une question majeure : quel est le sens d’une conservation quasi-intégrale du passé ? Ce que nous gardons, savons-nous le « garder », non pas seulement au sens d’une protection physique, mais d’une protection éthique : sommes-nous les gardiens de notre passé (Caïn : « suis-je le gardien de mon frère ? »).

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