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Analyse littéraire la place

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Par   •  4 Novembre 2021  •  Commentaire de texte  •  3 169 Mots (13 Pages)  •  6 828 Vues

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ANALYSE LINÉAIRE texte 12 : extrait de La Place (1983) Annie Ernaux

Annie Ernaux est née en Normandie en 1941 et a grandi à Yvetot dans une famille d'ouvriers devenus commerçants. Ses études supérieures et son métier d'enseignante créent un clivage avec son milieu d'origine : par le savoir, elle est passée de la classe des « dominés » à celui des « dominants ». Le malaise qu'elle éprouve à l'impression de trahir les siens par sa culture croissante et le regard ambivalent qu'elle est amenée à porter sur ses parents, à la fois critique et admiratif, sont des sujets souvent évoqués dans ses livres. Ses œuvres, qualifiées par elle-même de « auto-soci-biographiques », entremêlent l'intime et le social.

La Place, publié en 1983, est à la croisée des  récits biographique et autobiographique : en effet, elle retrace le destin de son père, décédé, mais aussi le sien et leurs relations.

Dans ce passage, la narratrice-auteure retrace son adolescence et l'évolution des relations père-fille. C'est l'occasion pour A. Ernaux de retrouver le thème du clivage social qui lui est cher.

Problématique : Comment l'écriture du passage  met-elle en avant l'évolution de la jeune fille, ainsi que  la relation entre le père et sa fille ?

Le passage peut s'articuler en  3 mouvements :

Du début à la ligne 12 : mode de vie et vision du  monde de l'adolescente qui, peu à peu, s'éloigne d'elle-même et ce qu'elle était avant l'adolescence, ainsi que  de ses parents.

De la ligne 13 à la ligne 23 : éloignement, incompréhension entre la jeune femme et son père.

De la ligne 24 à la fin : Honte du père devant les gens des études de sa fille.

1er mouvement : Du début à la ligne 12 : mode de vie et vision du  monde de la jeune femme qui, peu à peu, s'éloigne d'elle-même, de ce qu'elle était avant l'adolescence, et de ses parents.

    Je travaillais mes cours, j’écoutais des disques, je lisais, toujours dans ma chambre. Je n’en descendais que pour me mettre à table. On mangeait sans parler. Je ne riais jamais à la maison. Je faisais de « l’ironie ». C’est le temps où tout ce qui me touche de près m’est étranger. J’émigre doucement vers le monde petit-bourgeois, admise dans ces surboums (1) dont la seule condition d’accès, mais si difficile, consiste à ne pas être cucul (2). Tout ce que j’aimais me semble péquenot,(3) Luis Mariano (4), les romans de Marie-Anne Desmarets, Daniel Gray (5), le rouge à lèvres et la poupée gagnée à la foire qui étale sa robe de paillettes sur mon lit. Même les idées de mon milieu me paraissent ridicules, des préjugés, par exemple, « la police, il en faut » ou « on est pas un homme tant qu’on n’a pas fait son service ». (6) L’univers pour moi s’est retourné.

Je lisais la « vraie » littérature, et je recopiais des phrases, des vers, qui, je croyais, exprimaient mon « âme », l’indicible de ma vie, comme « Le bonheur est un dieu qui marche les mains vides »… (Henri de Régnier) (7).

  • Ce début est très caractéristique de l'écriture d'Annie Ernaux, ce que l'on appelle « l'écriture blanche ». Les phrases sont simples, brèves, avec peu d'adjectifs ou de propositions subordonnées, la narratrice préférant l'énumération et des structures épurées du style S+V+ complément.
  • C'est un moyen pour A. Ernaux, comme elle l'a expliqué dans de nombreux entretiens, de mettre l'émotion à distance. Elle cherche à approcher une vérité dans son écriture autobiographique, et souhaite éviter le danger de l'émotion et de la subjectivité.
  • Les premières lignes du texte se basent sur une série de verbes à l'imparfait retraçant les activités de l'adolescente dans un rythme ternaire (« travaillais/ écoutais/ lisais »). Il s'agit d'un imparfait d'habitude faisant surgir une vie d'adolescente qui étudie. La chute de la première phrase marque un premier éloignement entre la jeune fille et ses parents. En ce qui la concerne, le ct circonstanciel de lieu est « toujours dans ma chambre ». Par contre, en ce qui concerne  les lieux, ceux qui sont communs à ses parents et à elle, deux compléments circonstanciels de lieu « à table »   et « à la maison ». Un clivage géographique s'installe donc. La chambre est en effet un refuge, mais aussi un lieu d'isolement : voir la restriction « je n'en descendais que ». Elle décrit une atmosphère assez monotone avec des tournures négatives « on ne riait jamais » ou « on mangeait sans parler ». La narratrice se dépeint comme une adolescente qui met ses parents à distance avec de « l'ironie ».
  • A la ligne 3, un présent de narration « me touche de près m'est étranger »  surgit, pour nous plonger dans le monde adolescent des années 50 et retracer le passage progressif de l'enfance à l'adolescence qui amène la jeune fille à modifier sa vision du monde, ce qui va accentuer l'éloignement avec ses parents. Ce présent nous rapproche de ce que ressent la jeune fille, et moins de ce que ressent l'auteure adulte qui, elle, privilégie l'imparfait. Elle entame ici une réflexion sur ce qu'elle ressent aux 3 époques (goûts de l'enfant, de l'adolescente, de la femme qui écrit), puisqu'elle se vit depuis ses 17 ans comme une transfuge de classe. Tout ce qui constitue sa vie d'avant, ses goûts, ses habitudes ne lui plaisent plus à 17 ans. Elle découvre un nouveau monde, « émigre »  vers des domaines « étranger[s] » mais l'émigration n'est pas géographique, mais sociale. Elle qualifie ce monde nouveau de « petit-bourgeois » en opposition à son milieu d'origine,  une famille d'ouvriers devenus commerçants. Surgit alors un  vocabulaire adolescent des années 50 que A. Ernaux distingue par l'écriture en italique pour marquer la distance avec la jeune fille qu'elle était : « cucul », « péquenot ».  Une énumération de termes répondant au champ lexical de la culture populaire des années 50 est alors mise en place, pour donner une idée de ce qu'aimait la jeune fille avant d'  « émigrer » dans l'univers « petit-bourgeois » de ses 17 ans. Ses goûts antérieurs semblent un peu « cuculs » et « péquenots » et correspondent à ce que l'on peut qualifier de clichés. « Luis Mariano, les romans de MA Desmarets....sa robe de paillettes sur mon lit ».
  • S'y ajoute, à nouveau en italique, un terme cette fois non argotique, mais dont l'italique nous permet de repérer la distance que l'auteure adulte prend avec la jeune fille et les jugements qu'elle portait sur son milieu. Ainsi le mot « préjugés » est-il placé en italique. Ceci permet de montrer  que le temps s'est écoulé depuis, et que l'adulte qu'elle est comprend et explique le clivage qui était en train de se mettre en place entre les idées de ses parents et les siennes. Ces préjugés sont eux aussi mis à distance, cette fois par des guillemets, la narratrice indiquant ainsi que ce sont des paroles rapportées, notamment de ses parents. Ils sont livrés sous formes de maximes, de dictons populaires2 au présent de vérité générale  (presque de proverbes) « La police, il en faut »  ou « on n'est pas un homme tant qu'on n'a pas fait son service ». L'italique pour l'adolescente, le discours direct au présent de vérité générale pour les adultes, ceci est caractéristique de l'écriture du clivage chez A. Ernaux qui place la question du langage au cœur de la réflexion sur la société. Une phrase au passé composé clôture le premier paragraphe : « l'univers pour moi s'est retourné », phrase empreinte de mélancolie.
  • Des lignes 10 à 12, la narratrice complète le tableau de ce retournement à propos de ses goûts littéraires, avec une réflexion implicite sur ses goûts d'aujourd'hui qui semblent n'être ni ceux de l'enfant ni ceux de la jeune fille: la  distance qui semble séparer l'adolescente de l'enfant qu'elle a été puisqu'elle se tourne vers la « vraie » littérature ( la narratrice marquant la distance par les guillemets)  est la même que celle séparant l'adolescente de la femme d'aujourd'hui, comme nous l'indique l'incise « je croyais ».La réflexion sur la culture et son lien avec la place sociale occupée par l'individu est donc la base de ce premier mouvement.

De la ligne 13 à la ligne 23 : éloignement, incompréhension entre l'adolescente et son père.

Mon père est entré dans la catégorie des gens simples ou modestes ou braves gens. Il n’osait plus me raconter des histoires de son enfance. Je ne lui parlais plus de mes études. Sauf le latin, parce qu’il avait servi la messe, elles lui étaient incompréhensibles et il refusait de faire mine de s’y intéresser, à la différence de ma mère. Il se fâchait quand je me plaignais du travail ou critiquais les cours. Le mot « prof » lui déplaisait, ou « dirlo », même « bouquin ». Et toujours la peur ou PEUT-ÊTRE LE DÉSIR que je n’y arrive pas.

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